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Beaucoup de missions inadaptées aux profils

Derrière le taux élevé de démissions dans les sociétés de services, se cache le malaise d’un certain nombre de leurs informaticiens. Alertées, de grandes entreprises réagissent.

Cette année, le turnover dans les sociétés de services informatiques se maintient encore autour des 20 %, voire au-delà pour certains postes, entretenant la pression du marché de l’emploi. Salaires exorbitants, exigences de stars… Les entreprises en font souvent porter la responsabilité aux informaticiens eux-mêmes.Pourtant, un certain nombre d’entre eux ont tenu à témoigner, ces derniers mois, de la dégradation de leurs conditions de travail. “Je viens de quitter les SSII. Définitivement.” Après huit ans passés dans des grandes et moyennes sociétés de services, Sophie a jeté l’éponge. Son dernier poste en tant que chef de groupe de profit a fini de la dégoûter du secteur. Elle s’est vue contrainte d’appliquer des méthodes qu’elle réprouvait. “On traite les gens comme des pions. On arnaque le client – avec de faux CV, par exemple.”Daniel Baldacci, responsable du département consulting dans une petite SSII, se souvient de ses expériences récentes : “Le salarié n’est pas considéré. Longues heures de travail, stress technologique, obsolescence des connaissances…. Il se sent mal. Et le phénomène s’est amplifié. On vieillit mal en SSII.”

Beaucoup de missions inadaptées aux profils

Premier sujet de reproche : les promesses faites lors de l’entretien d’embauche ne sont pas tenues. “Ethique et relations humaines… Ce sont ceux qui en parlent le plus qui les pratiquent le moins, prévient Daniel Baldacci. Lors du recrutement, on déroule d’épais tapis rouges. Mais, ensuite, le quotidien se révèle tout autre.”En tête des châteaux en Espagne, les formations pendant les périodes d’intercontrats. Eric, ingénieur informaticien de trente-deux ans, se souvient du mois qu’il a passé dans une filiale de Neurones. “Au fond du couloir à droite, puis au bout à gauche…”Dès le deuxième jour, il connaît par c?”ur le chemin qui le mène jusqu’à cette pièce où une dizaine d’autres recrues s’entassent autour de huit micros en attendant d’être affectées sur un projet… “On m’avait dit que, durant les intercontrats, je suivrai des formations, explique-t-il. C’est faux !”Luc de Chammard, PDG de Neurones, se justifie : “Au premier semestre 2000, le marché a ralenti, et nous avons eu pas mal d’intercontrats.” Un temps mort qui, de toute façon, n’est pas souhaitable non plus du côté de la SSII. Ce qu’explique Christophe Reille, DGA d’Umanis: “Pour nous, c’est une perte nette de notre personnel facturable (81 %), et le taux d’occupation est de 80 à 85 %. Quant à placer nos ingénieurs sur des missions inappropriées, quel intérêt ? Pour décevoir nos clients ?”Mais, plus encore que les intercontrats, c’est l’inadéquation des missions avec les profils ou avec les souhaits des candidats que l’on évoque le plus souvent comme raison du départ. Frank Maillot a ainsi quitté une grande SSII au bout d’un an : embauché pour ses compétences en Java, il s’est retrouvé bloqué sur une mission AS/400. Durant ses quatre semaines d’oisiveté chez Neurones, Eric, pourtant administrateur de systèmes NT, s’est finalement vu proposer une affectation d’ingénieur support utilisateur de premier niveau. “Une partie des démissions provient, en effet, du désintérêt des missions “, concède même Pierre Deschamps, directeur général adjoint en charge des ressources humaines chez Unilog.Par ailleurs, les trente-quarante ans s’inquiètent aussi de leur avenir. Car – c’est bien connu – embaucher un jeune coûte moins cher que reconvertir un ancien. “Le discours des directions générales est parfois vraiment surprenant : si je forme un ingénieur, se disent-ils, il va partir à la concurrence. C’est une vue à court terme. “, ancien responsable de la formation dans une SSII de deux cent cinquante personnes, Didier Pierre sait de quoi il parle. Loïc Buchet, ingénieur expert en informatique industrielle, en témoigne : “En huit ans, j’ai obtenu deux fois cinq jours de formation parce que le projet l’exigeait. On reste cantonné dans les anciennes technologies. Du coup, un grand nombre de gens âgés de quarante à cinquante ans et qui n’ont pas évolué vont être remis sur le marché.” Un processus logique, selon François, ingénieur commercial : “J’ai connu deux ingénieurs démissionnaires d’une très grande SSII qui sont revenus au bout de trois mois. Après des promesses de formation, ils ont été placés, mais pas formés. Mais un investissement en formation se mérite. On ne peut pas tout avoir !”

35 heures par semaine ou 11 heures par jour ?

Les conditions de travail proprement dites sont aussi souvent sujettes à caution. Tout d’abord, la réduction du temps de travail (RTT) n’est souvent qu’un v?”u pieux, laissant place à de longues journées. “La RTT ? Du vent ! Nos journées atteignent onze heures en moyenne, et les heures supplémentaires ne sont comptées qu’au-delà. Il m’est arrivé de travailler quatre-vingt-dix-huit heures en une semaine “, s’insurge même Loïc Buchet. “La concurrence est actuellement très forte. Les SSII minimisent donc les évaluations de charges pour décrocher des contrats, explique Noël Lechat, secrétaire général de la fédération CGT des sociétés d’études. En conséquence, les journées de travail s’allongent. . . Et, bien entendu, les heures supplémentaires ne sont souvent pas payées. “” Normal, rétorque François, le commercial. Puisque les salaires augmentent, il est logique que les entreprises mettent davantage la pression sur les collaborateurs les mieux rémunérés. Plus question de faire cinq pauses-café par jour !”Avec un peu plus de recul, Pierre Deschamps évalue le chemin parcouru : “Les accords sur les trente-cinq heures ont eu le mérite d’attirer l’attention des managers sur les dépassements exceptionnels. Ces temps de travail sont désormais connus. Les heures supplémentaires sont récupérées au-dessus d’un certain seuil, que nous évaluons avec souplesse.”Plus grave, les mauvaises pratiques frôlent parfois la malhonnêteté. La plus connue ? La falsification de CV. Elle consiste à allonger l’expérience d’un candidat trop jeune ou à ajouter des compétences à la liste. “On m’a bombardé expert en radiocommunications, alors que je n’y connaissais strictement rien… “, se souvient amèrement Loïc Buchet. Outré, Farid, jeune ingénieur, a, lui, refusé que l’on augmente d’un an son expérience sur Oracle. Par ailleurs, que dire de la mise en compétition lors de l’entretien face au client de deux candidats pour un même poste ?

Les petites SSII, des havres de paix sociale

Plusieurs bémols doivent cependant être mis à ce qui semble un véritable malaise des informaticiens de SSII. Le premier : de l’avis unanime, celles d’entre elles qui comptent moins de cinquante personnes semblent épargnées par le phénomène. “Quand on est prestataire, on est, certes corvéable à merci. Mais la pression est proportionnelle à la taille de l’entreprise “, confirme Loïc Buchet. Si l’on excepte certaines start up, les petites SSII fonctionnent sur le consensus dans une ambiance souvent familiale. “Si nous ne fonctionnons pas en accord avec les gens, nous les perdons au bout de quelques mois “, constate sagement Serge Chvetzoff, responsable commercial de la SSII de cinquante-cinq personnes Synergie 3R.“J’ai passé trois ans et demi dans une petite structure, renchérit Eric. Ma mission a été techniquement très intéressante. Et les rapports humains excellents.”Deuxième bémol, les informaticiens des sociétés de services, des techniciens de plus en plus jeunes, sont des gens plutôt introvertis : “Nous avons mis en place trois niveaux d’encadrement dans le seul but de permettre aux gens de s’exprimer. Mais le dialogue reste très difficile “, explique Luc de Chammard.Enfin, plusieurs grandes SSII cherchent à connaître les véritables raisons du malaise des informaticiens. Pour cela, elles lancent des enquêtes auprès de leurs salariés. Atos Origin vient ainsi de mener à bien un diagnostic social dans l’une de ses branches avec l’aide d’un cabinet spécialisé. Résultat ? Les informaticiens sont, entre autres, en attente d’un système de reconnaissance fort et d’une mobilité accrue au sein même de l’entreprise.Unilog, de son côté, veut ramener le turnover de ses ingénieurs à un taux à un seul chiffre, ayant constaté que l’exigence salariale ne pouvait, à elle seule, expliquer son importance actuelle. Elle va donc se lancer très prochainement dans une opération similaire à celle d’Atos, en y associant toutefois des ingénieurs partis vers d’autres entreprises. Signe que les directions sont bien conscientes du problème…

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Corinne Zerbib et Emmanuelle Delsol