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ARM attaque Qualcomm en justice : pourquoi ces deux partenaires historiques entrent-ils en guerre ?

Le torchon brûle entre les deux firmes, qui travaillent pourtant ensemble depuis des années. ARM reproche en effet à Qualcomm d’avoir violé un accord de licence d’utilisation de ses technologies lorsque la firme américaine a racheté Nuvia l’année dernière.

Voici une affaire qui pourrait avoir de sérieuses répercussions sur le futur des puces pour smartphones et ordinateurs portables. Car l’incontournable ARM, qui fournit les designs de l’immense majorité des puces mobiles du marché, vient d’attaquer Qualcomm en justice. Il l’accuse d’utiliser illégalement certaines de ses technologies et réclame purement et simplement leur « destruction » par Qualcomm.

Ambiance… Qualcomm est pourtant l’un des partenaires les plus importants et les plus anciens d’ARM. L’entreprise de San Diego est en effet le leader incontesté des SoC pour smartphones, et met à profit les technologies d’ARM pour animer l’ensemble de ses puces.

Nuvia, un rachat au cœur de la bataille

Pour comprendre ce qui a provoqué cette plainte, il faut revenir quelques mois en arrière. En janvier 2021, Qualcomm annonce se payer Nuvia, une start-up lancée deux ans plus tôt par trois anciens d’Apple, qui avaient précédemment planché sur la conception des excellentes puces Ax des iPhone. Montant de la transaction : 1,4 milliard de dollars.

Nuvia travaillait lui aussi sur des processeurs basés sur les technologies d’ARM. Ses ingénieurs avaient au départ pour ambition de chambouler le marché des puces pour data centers, en concevant des processeurs combinant puissance et efficacité énergétique. Nuvia bénéficiait pour cela de deux licences différentes acquises auprès d’ARM.

La première, appelée TLA (pour Technology License Agreement) permet à une entreprise d’utiliser les cœurs de processeurs « sur étagère » d’ARM, baptisés Cortex, voire de les modifier légèrement. C’est pour résumer, l’option la plus « facile », notamment utilisée par Qualcomm pour ses puces Snapdragon. La seconde, baptisée ALA (pour Architecture License Agreement), est beaucoup plus rarement octroyée : elle donne plus de latitude aux ingénieurs, puisqu’elle autorise de designer des cœurs de processeurs « customisés ». C’est notamment grâce à elle qu’Apple a pu créer ses puces Ax et Mx, et que Nuvia souhaitait changer la donne dans le monde des puces pour centres de données.

Mais qu’est-ce qui motive ARM ?

Qualcomm aussi dispose bien de ces deux licences, mais il y a longtemps qu’il n’emploie plus l’ALA… Précisément depuis qu’il a renoncé à concevoir ses propres cœurs CPU, il y a quelques années. Et c’est sans doute ce qui a irrité ARM. « Bien que Qualcomm dispose d’une licence ALA, ses tentatives précédentes de créer des processeurs customisés ont échoué […] Les produits commerciaux de Qualcomm se sont ensuite appuyés sur des designs préparés par les ingénieurs d’ARM et proposés sous licence à Qualcomm via la TLA d’ARM » peut-on lire dans la plainte.

En rachetant Nuvia, Qualcomm a souhaité profiter des trouvailles de ses ingénieurs et de la permissivité de la licence ALA. Il a très rapidement indiqué qu’il implémenterait les technologies développées par la start-up non seulement dans des data centers… ainsi que dans l’ensemble de ses produits, particulièrement les célèbres puces Snapdragon.

Mais la société de San Diego est allée beaucoup trop vite en besogne, selon ARM. D’après un porte-parole de l’entreprise, cité par Android Authority, le contrat signé entre sa société et Nuvia interdisait explicitement une revente sans le consentement d’ARM, « que l’acquéreur dispose de ses propres licences ARM ou non ». 

Des considérations qu’un porte-parole de Qualcomm, cité dans la presse américaine, balaie d’un revers de main : « ARM n’a pas le droit d’interférer avec les innovations de Qualcomm et de Nuvia. Sa plainte ignore le fait que Qualcomm a des droits de licence parfaitement établis qui couvrent les CPU customisés, et nous sommes confiants dans le fait que ces droits seront réaffirmés ».

Mais au-delà de ces considérations juridiques, on peut aussi se poser la question de « l’ego » d’ARM et de l’impact de ce rachat sur son chiffre d’affaires à moyen et long terme.

En effet, le fait que l’entreprise britannique soit si pointilleuse laisse à penser qu’un second succès de cœurs CPU customisés – après celui des excellents cœurs d’Apple – pourrait diminuer ses ventes de licences. Car, à l’heure actuelle, Qualcomm, Rockchip, MediaTek, Broadcom et les autres payent pour chaque puce intégrant les cœurs CPU « vanilla », c’est-à-dire conçus par ARM et proposés dans le cadre de la licence TLA.
La licence ALA est bien est plus onéreuse à l’acquisition, mais évite de payer une licence supplémentaire de design du CPU qui s’applique à chaque puce vendue – et est une vraie manne pour ARM. Une nouvelle réussite de cœur custom pourrait encourager les autres à faire comme Qualcomm – encore que cela ne soit pas si facile, même Samsung avait jeté l’éponge en 2019 ! Dans la colonne des difficultés imposées par cette licence, évoquons également le fait que le licencié doit avoir les reins solides pour financer la R&D nécessaire à la conception de sa propre partie CPU.

Mauvaise publicité pour ARM, du pain bénit pour RISC V

Ce sont les avocats ou les tribunaux qui détermineront, avec toutes les pièces dont ils disposeront, du bien-fondé de la plainte. Mais indépendamment du résultat, cette contestation de licence fait une mauvaise publicité à ARM dans l’écosystème. Sa remise en cause d’un design extérieur (celui de Nuvia, acquis par Qualcomm) est la marque d’un manque de liberté évident autour de la conception des puces utilisant sa microarchitecture.

Une mauvaise publicité qui devient, par la bande, une excellente pub pour RISC V. Cette microarchitecture libre et ouverte, gérée par une fondation à but non lucratif basée en Suisse, a le vent en poupe. Justement parce qu’une entreprise comme SIFive peut développer ses cœurs customisés et les vendre (ou un jour se faire racheter) sans que la fondation RISC V n’ait son mot à dire. Pour l’heure, RISC V n’est pas au niveau de maturité d’ARM tant dans le domaine des designs, que des outils de conception, des logiciels de créations de puce, de vérification, sans même parler de la compatibilité logicielle. Mais ses avantages académiques (formation des étudiants facilitée par le côté ouvert) et de licence sont autant d’arguments en sa faveur.

 

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Source : Plainte d'ARM


Eric Le Bourlout et Adrian Branco