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Analyse : l’hébergement Web en panne de croissance

Après avoir construit de gigantesques capacités d’accueil de sites, les hébergeurs subissent le ralentissement du marché. Pour certains, la survie passe sans doute par la concentration.

 En France, 200 000 m2 de salles d’hébergement de serveurs internet sont actuellement vides. ” Cette phrase d’Éric Ochs, directeur général du cabinet d’études IDC, résume bien la situation du marché de l’hébergement de sites internet dans l’Hexagone.En manque cruel de data centers (centres d’hébergement de serveurs) en 1998, la France se retrouve, aujourd’hui, avec des dizaines d’immeubles vides. D’autant qu'” il n’y a rien de plus facile que de fabriquer un centre d’hébergement, explique Rafi Haladjian, PDG de Fluxus. Vous prenez un entrepôt, vous créez un faux plancher pour faire circuler les câbles, vous l’alimentez en électricité et vous climatisez le tout. C’est à la portée du premier venu. ” Et tout le monde s’y est mis pour profiter de l’explosion du nombre de sites web.Les opérateurs télécoms ont été parmi les premiers. Disposant déjà des réseaux internet, ils n’avaient qu’à construire leur data center. Ils ont été suivis par les structures d’ingénierie, qui ont vu dans l’hébergement un relais de croissance, et par d’innombrables start-up. Parmi eux, peu sont aujourd’hui rentables et subsisteront dans deux ans. Pour le cabinet Pierre Audouin Conseil, le business de l’hébergement aura représenté 400 millions d’euros (2,6 milliards de francs) en 2001, et atteindra 690 millions en 2004. Mais cela ne suffira pas à financer les dizaines de structures qui ont construit des data centers.

Des mètres carrés inutiles

Premier poids financier pour les hébergeurs: le coût de construction de ces centres, qui oscille entre 12,2 et 15,2 millions d’euros pour 1000 m2. “ Lorsque nous avons vu le marché s’écrouler avec l’explosion de la bulle internet, nous avons revu à la baisse les constructions de nouveaux centres “, concède Guy Link, directeur marketing de KPN Qwest. De 18 centres, l’opérateur est passé à 6 et, au lieu d’ouvrir 10 000 m2 à Paris, il s’est contenté de 500. Car une fois le bâtiment construit, il faut l’amortir. World Com doit gérer 1 million de mètres carrés dans le monde. Bertrand Usunier, PDG de Verio France (groupe NTT), a une vision plus tranchée : ” Construire un bâtiment n’est pas notre métier. Si bien que lorsque nous nous sommes implantés en France, nous avons pris le parti de louer des mètres carrés dans un data center déjà construit. “L’hébergeur américain Exodus, avec 40 centres dans le monde, vient de se placer sous la protection de la loi sur les faillites. Son directeur marketing France, Philippe Martraire, estime que sa société n’est pas menacée et pourrait être rentable en France d’ici à un an. Pour l’instant, il n’héberge que 15 clients dans les 3 200 m2 de son centre de Bezons, en banlieue parisienne.Même les plus prudents, ceux qui disposent de surfaces raisonnables, se retrouvent aujourd’hui dans des situations délicates. “ Certains hébergeurs n’ont que de la surface à vendre, explique Rafi Haladjian, de Fluxus. Il faut alors dix ans pour arriver à la rentabiliser. ” C’est le cas des grands opérateurs télécoms dont l’hébergement n’était pas la spécialité. ” Pour être sérieux dans ce métier, il faut au moins deux ans d’expérience “, assène Philippe Martel, directeur de la division internet de Colt, dont l’activité est rentable. Même Dell s’y est mis en lançant Dell Hosting en Grande-Bretagne. Une activité vite arrêtée.

Rechercher la valeur ajoutée

La valeur ajoutée, source de profits, se situe maintenant dans les services complémentaires à l’hébergement. Chez Fluxus, ” on vend 90 % de prestation humaine ” : la gestion des serveurs, les créations d’infrastructures sur mesure pour le client. C’est encore plus vrai lorsque le client fait du commerce en ligne et souhaite un back-office [l’arrière boutique, l’outil de gestion du magasin en ligne, ndlr] qui lui permette de gérer ses stocks, ses commandes, etc. ” C’est là que se situe la valeur ajoutée. Et si vous ne savez pas le faire, vous devez le sous-traiter et vous perdez votre marge au passage “, insiste Philippe Martel, de Colt. City Reach, qui ne vendait que de la surface, a ainsi déposé le bilan dernièrement. La situation, déjà désespérée pour certains, a été aggravée par le ralentissement économique et la chute des start-up. En 2001, Exodus a perdu autant de clients qu’il en a gagné aux États-Unis. Fluxus reconnaît une chute de 10 % de son chiffre d’affaires. Simultanément, les hébergeurs les plus en manque de clients ont cherché à gagner des parts de marché… en cassant les prix. ” Nous n’avons pas voulu tomber dans ce cercle vicieux, rappelle Jérôme Dilouya, responsable du marketing produit chez Easynet. Si vous baissez vos prix, les services se dégradent et vos clients vont aller voir ailleurs, ce qui vous poussera encore à baisser vos prix. ” D’aucuns pronostiquent une stabilisation voire une hausse des prix avec l’élargissement des compétences des prestataires d’hébergement. Leurs clients pourraient externaliser leur messagerie d’entreprise, voire leurs progiciels de gestion intégrés.

Une forte concentration

L’étude de Pierre Audouin Conseil sur le métier de l’hébergement pronostique un mouvement fort de concentration. Les gagnants seront ceux qui créeront le plus de valeur. Il prévoit qu’ils s’associeront et absorberont ceux dont les services sont à un stade de développement intermédiaire. Quant aux opérateurs télécoms concernés, peu arriveront à maintenir la tête hors de l’eau et la majorité devront se débarrasser de leurs data centers surdimensionnés.

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Alain Steinmann