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AMD nie avoir transféré des technologies clés à la Chine (et c’est sans doute vrai)

Mis en cause dans une enquête du Wall Street Journal, AMD nie en bloc le transfert d’éléments clés de conception des processeurs x86 à la Chine. Il faut se plonger dans les détails des accords entre la Chine et le concepteur de puces pour se rendre compte qu’AMD a tous les outils pour protéger son savoir-faire.

AMD a-t-il donné « les clés du royaume » des processeurs x86 à la Chine ? C’est en tout cas ce que clame cet article du Wall Street Journal paru la semaine dernière. Il avance qu’AMD aurait transféré des éléments clés de la conception des processeurs à instructions x86 (comme dans les PC/Mac) à des entités chinoises qui dépendent en partie du gouvernement de l’empire du Milieu – ce qu’AMD dément. En clair : AMD est soupçonné d’avoir vendu un secret américain à la Chine, et ce en plein conflit commercial sino-américaine. Ambiance guerre froide garantie…

L’article du 27 juin pointe du doigt le fonctionnement des coentreprises qu’AMD a constituées avec les entités chinoises pour la production de processeurs professionnels (appelés Hygon Dhyana, des puces de la classe EPYC) à destination des serveurs. Il met directement en avant le fait que Lisa Su, PDG actuelle d’AMD, soit née à Taïwan, que la valeur de l’action d’AMD à l’époque de sa prise de fonction était au plus bas et que les entités chinoises ont des liens avec la défense de l’empire du Milieu.

Adrian BRANCO / 01net.com – Le docteur Lisa SU, PDG d’AMD, présente la nouvelle génération de processeurs x86 grand public Zen 2 à la conférence d’ouverture du Computex de Taipei à Taïwan le 27 main 2019.

Surtout, cette enquête semble mettre de côté les aspects techniques du développement et de la production de semi-conducteurs. WCCFtech l’indique dans un article assez exhaustif, qui met en lumière non seulement les structures des entités communes entre AMD et les acteurs chinois, mais aussi le parcours des technologies et de la production des puces : à aucun moment AMD n’a donné les clés de la conception ni de la fabrication des processeurs. Comme dans tout business, les différentes entités (HMC pour la maîtrise de la propriété intellectuelle et Hygon pour le design de la partie propriétaire des puces « chinoises ») ont été créées pour rester dans le cadre des contraintes juridiques qui accompagnent toutes les technologies sensibles (lire plus loin).

Et selon toute vraisemblance, AMD n’a jamais livré les détails de son architecture aux Chinois, même s’il a bien dû partager certaines informations pour qu’ils développent des éléments personnalisés, notamment en matière de chiffrement. Outre cette protection des diagrammes (blueprints) de la puce, la production des processeurs – qui elle aussi comprend de nombreux secrets industriels – n’était pas sous le contrôle d’une entité chinoise… mais sous la supervision de Global Foundries USA, l’entité de production de semi-conducteurs qui appartenait à AMD avant qu’elle ne soit séparée en entreprise indépendante en 2009. Si AMD produit désormais ses puces les plus avancées chez TSMC, Global Foundries reste un partenaire de choix – et de confiance – et il y a fort à parier que là non plus il n’y a guère eu de fuites majeures, même si le risque existe. 

Les autorités US contrôlent les transferts technos

Adrian BRANCO / 01net.com – Les puces chinois co-développées par AMD et ses partenaires chinois sont issues de la première génération EPYC. Ici, la future génération présentée au Computex de Taipei le 27 mai 2019 dernier qui sera gravée en 7 nm.

Le premier argument qui plaide en faveur d’AMD est que l’entreprise a dès le début de l’opération (2015) contacté différentes entités gouvernementales américaines pour leur faire part du projet. Et a reçu le feu vert des autorités dans la foulée. Loin d’être anodin, cela montre qu’AMD a apporté, à l’époque, suffisamment de garanties quant à l’absence de transfert technologique stratégique. La domination des Etats-Unis n’est en effet pas l’œuvre du hasard, mais d’une politique planifiée depuis que la fin de la seconde guerre mondiale. Une politique autant de développement – aides financières, programmes de développement de puces notamment pour la Nasa et la Défense, etc. – que de boycott de pays « ennemis ».

Il faut se rappeler qu’en 2015, les USA avaient interdit à Intel de vendre des Xeon et Xeon-Phi à la Chine, sur fond de début de tensions commerciales entre les deux pays. Intel s’était plié à cette interdiction temporaire et a attendu une levée des sanctions pour reprendre les affaires avec les chinois. Tout cela pour rappeler que le domaine des processeurs et des semi-conducteurs est activement surveillé par les autorités – renseignement, défense, commerce – américaines et que rien ne sérieux ne peut être entrepris par les acteurs domestiques sans leur aval.

Souveraineté nationale

Adrian BRANCO / 01net.com – Outre les supercalculateurs, de nombreux services cloud utilisent les processeurs de la famille EPYC.

Un autre problème dans l’argumentaire de l’article est que ce processeur maison serait la condition sine qua non pour les chinois d’accéder à suffisamment de puissance pour les calculs nucléaires et autres applications de défense. Ce qui est idiot d’un point de vue technique : la Chine a déjà des supercalculateurs qui se classent parmi les plus puissants du monde et achète à la pelle des processeurs américains haut de gamme (Intel Xeon, AMD EPYC, etc.). Ainsi, Tianhe-2A, 4ème plus puissant supercalculateur du monde fonctionne avec des Intel Xeon E5-2692v2. De plus, même avec un embargo, l’Empire du milieu pourrait toujours se procurer des processeurs américains par le biais de pays amis pour alimenter ses besoins toujours plus importants en matière de calcul.

Si on ne peut jamais écarter les tentatives d’espionnage industriel – notamment de la part de la Chine ! –, il faut cependant regarder les bénéfices de la production domestique de puces x86 du point de vue chinois. Puisque la propriété intellectuelle autour des instructions x86 appartient à Intel, il semble impossible pour une entreprise qui n’ait pas l’aval du géant des microprocesseurs de pouvoir commercialiser ses clones sur le marché mondial. Le vrai intérêt pour l’état chinois semble ici de pouvoir profiter de puces x86 personnalisées – comme les Jintide M88JTMxxx couplant des Xeon d’Intel et un coprocesseur développé par une université chinoise – autant pour des besoins de calculs spécifiques que de sécurité nationale. Il faut en effet savoir qu’autant AMD qu’Intel, qui travaillent tous les deux avec des entités chinoises, n’intègrent jamais les systèmes de chiffrement américains, mais permettent à la Chine d’intégrer ses propres technologies de cryptographie. L’espionnage fonctionnant dans les deux sens – le programme américain PRISM l’a bien prouvé par le passé – il semble logique pour un état aussi puissant que la Chine de tenter de se protéger avec des solutions maison.

Intel est encore le « king » des super processeurs

Au discours alarmiste des sources citées par l’article du WSJ, qui affirment que grâce au transfert de technologie les Chinois pourraient construire des supercalculateurs plus puissants que ceux des Américains, il faut opposer le fait que les Chinois peuvent déjà les fabriquer en… achetant les processeurs. Or les puces développées conjointement par AMD via les joints-ventures chinoises sont d’ancienne génération… et ne sont pas des puces Intel ! Intel est en effet, avec ses Xeon, toujours le roi de l’ultra-puissance aussi bien dans les stations de travail que dans les supercalculateurs, où il bénéficie d’un savoir-faire unique en matière de gestion des clients dits « institutionnels ».

Quand bien même les chinois auraient-ils volé une partie du savoir-faire d’AMD – ce qu’AMD, là encore, réfute – il n’en reste pas moins que le maître de la puissance dans le domaine du calcul reste Intel et que le gouvernement américain peut à nouveau mettre un coup d’arrêt aux exportations des Xeon.

Effet surenchère dans la presse américaine ?

Avec les tensions commerciales entre les USA et la Chine, l’extrême compétition entre les journaux américains notamment économiques tend à pousser les publications à la recherche du plus gros scoop. Un travers classique qui mène parfois à des publications hasardeuses, comme « l’affaire » des puces-espionnes que la Chine aurait intégrées dans certaines cartes mères pour serveurs du constructeur Super Micro. Des puces qui n’ont jamais été découvertes après les nombreux audits et enquêtes de Super Micro, mais aussi de ses clients que sont Amazon ou encore Apple. Si Bloomberg maintient son article, l’ensemble de l’industrie rejette en bloc l’histoire et demande toujours des preuves à la publication.

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