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AgoraStory

Une émission relayée par Internet donne des idées au chroniqueur. Qu’on mette donc les politiques dans le bocal de la surreprésentation permanente. Tous.

Certaines exploitations possibles de la télé-réalité donnent à rêver.Pourquoi consacrer ce genre d’émissions à de pauvres individus assez avides d’argent et de notoriété pour passer plusieurs semaines de leur vie en prise directe avec les caméras, alors qu’ils n’apportent rien à la collectivité ?Nous, citoyens d’une grande démocratie, disposons de gens infiniment plus propres à occuper la place de l’espionné permanent. Des gens qui adorent se montrer, parler, vanter l’exemplarité de leurs actions. Des gens qui souhaitent porter le poids d’une existence publique et qui sont, de plus, très officiellement nos représentants.De l’humble maire de village au président rigolard, du sénateur fatigué au fringuant député, du conseiller régional à l’ambitieux directeur de cabinet. Ils s’occupent de la chose publique : rendons-la véritablement publique, offrons-leur un loft. Qu’ils exercent leurs mandats dans les conditions de transparence qu’ils revendiquent tant. On les élit, ensuite, on les enferme. C’est la règle du jeu. Durant leur mandat, tout est filmé, tout est diffusé sur Internet.Les bonnes raisons ne manquent pas :

  • Economie. Nos élus sont rémunérés par la communauté : on peut donc produire du contenu citoyen de qualité à peu de frais.

  • Accroissement de la démocratie. Comme dans un autre loft, les spectateurs seraient en droit de voter, non pas pour exclure un des participants (il a été démocratiquement élu, après tout), mais pour commenter l’action en cours. On peut même imaginer l’instauration d’une procédure de veto populaire.

  • Justice. Moins d’affaires : l’homme politique bien surveillé serait enclin à éviter certaines dérives regrettables telles que transit de valises de petites coupures, embauches familiales, enthousiasme militant immodéré lors de la passation des marchés publics. En cas de dérogation à la loi, les juges auraient des preuves de première qualité, et des milliers de témoins.

  • Transparence. Le citoyen serait tenu informé des affaires de la Nation. On ne lui cacherait plus rien. On le traiterait comme ce qu’il aspire à être, une grande personne.

Les technologies de l’information nous offrent donc une chance unique de faire évoluer notre vie politique sur un mode conforme au principe de la représentation (je te délègue mon pouvoir personnel, mais en échange tu ne fais pas n’importe quoi).Hum, j’exagère, hein ? Ce serait dangereux : risque de démagogie et de politique spectacle, oui ? Hum, pire qu’aujourd’hui, vous croyez ?Oui, ce serait dangereux, bien sûr.Et puis, le problème n’est pas là. La télé-réalité, c’est une superbe passerelle sur l’avenir. Avec la généralisation des techniques de communication type Internet haut débit mobile, il est probable que des milliers de cinglés vont s’engager dans la mise à disposition publique de leur existence sur le Réseau.Leur téléphone mobile-caméra leur permettra de nous servir en direct leurs errances dérisoires, leurs rencontres minables, leurs discussions tendance moins de huit ans. Pas besoin d’imposer le ” flicage “, il sera réclamé par ceux qui en seront victimes comme adhésion à la dernière mode extatique du moment, un rapport entre les individus sans médiation parce que la réalité ne sera plus que ça, une immense représentation.Le vrai luxe, bien entendu, ce sera la préservation de la vie privée, réservée à une élite dont, à n’en pas douter, les politiques feront partie. Ce qu’on nous vend avec la télé réalité, c’est un mode de vie.Personnellement, je n’en veux pas. Je doute qu’un élu s’engage à faire cesser ces pitreries qui créent de l’audience, donc de la richesse…
La richesse ? Pas à nimporte quel prix.Prochaine chronique le jeudi 21 juin
2001

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Renaud Bonnet