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Absolutely fabless

Assoiffé de valeur ajoutée et de génie logiciel, Alcatel se sépare peu à peu de ses usines par dizaines et de ses salariés par milliers. Et la purge n’est pas terminée.

Lancé un peu imprudemment par Serge Tchuruk en marge d’un colloque consacré aux télécoms à Londres, le concept du groupe fabless, sans usine, a fait fureur au c?”ur de l’été 2001. En quelques heures, les médias se sont mis à fantasmer sur la disparition pure et simple de dizaines d’usines de productions Alcatel aux quatre coins de la planète !

Matière grise, matière sensible

”  C’était une monumentale erreur de communication, ironise aujourd’hui un fin connaisseur du groupe. Il n’y avait rien derrière ce concept.” Rien ? “Dans notre métier, il subsistera évidemment des usines, explique Pierre Beretti (Alcatel). Mais il faut bien voir que l’amélioration des systèmes de télécommunications repose d’abord sur le logiciel, et de moins en moins sur le renouvellement du matériel.”La matière grise est donc appelée à remplacer la sueur et le cambouis… L’usinage des produits de la marque préoccupe désormais moins l’entreprise que les efforts de R & D, la conception de produits et de solutions, le marketing et la vente. L’équipementier n’en conservera pas moins quelques dizaines d’usines, ne serait-ce que pour préserver sa maîtrise dans les systèmes les plus avancés. C’est le cas en particulier dans les technologies optiques.En revanche, les centres de production liés à des produits sans grande valeur ajoutée (les modems ADSL par exemple) ou à des secteurs hors champ (métallurgie, plasturgie, etc.) sont appelés à changer de propriétaires. Bien sûr, les stratèges du groupe expliquent que, pour certains types de production à faible valeur ajoutée, Alcatel ne se sent pas en mesure de garantir une charge de travail suffisante au-delà d’un horizon de 12 à 18 mois. “Garder ces usines dans ces conditions reviendrait à les condamner à disparaître, justifie Pierre Beretti. D’où notre décision de les céder à de grands “contract manufacturers”, comme Flextronics, Jabil ou Sanmina.”Une longue série d’opérations ont été conclues, dont certaines avant même la ” sortie ” de Serge Tchuruk à Londres. En avril 2001, Alcatel annonçait ainsi que le cotraitant singapourien Flextronics reprendrait l’ensemble de la fabrication européenne des terminaux mobiles GSM d’Alcatel, localisées essentiellement dans l’usine de Laval (830 salariés). Quelques mois plus tard, en mars 2002, Alcatel se réjouissait de céder son usine de Brest (700 salariés), spécialisée dans la production des PABX, au cotraitant Jabil Circuit. Enfin, le 1er juillet dernier, Sanmina-SCI Corporation mettait la main sur le site industriel d’Alcatel à Tolède (Espagne), spécialisé dans la fabrication de systèmes d’accès filaires offrant des services bande étroite, large bande et de prochaine génération. Auparavant, le cotraitant américain avait déjà acquis les usines de Gunzenhausen (Allemagne) ?” systèmes de transmission de données et de commutation voix ?” et de Cherbourg, ?” systèmes point à point de faisceaux hertziens. Au total, 1 500 salariés étaient transférés vers un nouveau propriétaire. Quant aux activités micro-électroniques d’Alcatel (1 500 salariés), elles ont été cédées en avril 2002 à ST Microelectronics, tandis que la distribution aux entreprises en Europe (6 000 salariés) était aussi vendue.

Le souci des marges

Bref, l’heure est au grand nettoyage ! À la fin de l’année, Alcatel emploiera encore 83 000 personnes, dont un tiers en France. Lorsque Serge Tchuruk a accédé à la présidence de l’entreprise, celle-ci comptait encore près de 200 000 salariés…“Ce qui la fout mal, accuse Laurent Balcon, analyste chez Global Equities, c’est qu’Alcatel nous a sorti ce discours au moment où ses usines ne valaient presque plus rien !” Quant à Bernard Malhamé, spécialiste de la valeur à la Société générale, il replace le débat sur un plan strictement financier. S’il admet que “ce type de cession doit permettre à Alcatel d’augmenter d’environ 2 points ses marges opérationnelles”, il estime aussi “qu’à court terme, de telles cessions mettent un plafond à l’amélioration des marges : il faut bien que le vendeur partage ses marges avec l’acheteur… Du reste, Alcatel le reconnaît implicitement : avant, sa direction évoquait un objectif de 10 à 12 % en base annuelle. Maintenant, on parle plutôt de 8 à 10 %…” En d’autres termes, l’opération ne serait pas phénoménale au plan financier. Mais elle permet à Alcatel d’alléger ses structures, d’abaisser mois après mois son point mort. Et ce n’est pas fini…“Les restructurations actuellement annoncées ne tiennent pas la route, estime Laurent Balcon, si on tient compte de la baisse radicale de l’évolution du chiffre d’affaires. Quant aux budgets R & D, ils ont déjà baissé, mais pas encore les dépenses salariales liées à ces activités.”

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Michel Gassée