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Pourquoi les appareils photo ne seront (sans doute) jamais protégés par un système de chiffrement

Les pressions de plus en plus fortes sur les médias et les scandales relatifs aux écoutes de masse ont conduit des journalistes à demander aux fabricants d’appareils de proposer des solutions de protection des sources. Une requête qui a peu de chances d’aboutir.

C’est une première : des journalistes et des réalisateurs de documentaires demandent aux constructeurs d’appareils photo et vidéo d’intégrer des systèmes de chiffrement de leurs images directement à l’intérieur de leurs boîtiers. Réalisé par la Freedom of the Press Foundation (Fondation pour la liberté de la presse, USA)  et signé par plus de 200 reporters dont Laura Poitras, réalisatrice du documentaire sur Edward Snowden, cet appel se fait dans un contexte de plus en plus répressif et dangereux pour de nombreux journalistes.

À lire : Le chiffrement, l’arme ultime pour lutter contre la NSA, selon Snowden

On pense à, raison, à celles et ceux qui essayent de sortir des informations de pays prisons comme la Corée du Nord ou le Turkménistan, aux reporters évoluant dans les zones de conflits comme le Moyen-Orient, aux journalistes citoyens et opposants au régime vivant en Iran, etc.

Personne n’est à l’abri

Vous vous dites que ces besoins ne concernent que les journalistes évoluant dans des régions “non démocratiques” ? Détrompez-vous : pas plus tard que le mois dernier, le  Canadien Ed Ou s’est vu refuser, sans justification, l’entrée sur le territoire américain alors qu’il allait couvrir les manifestations contre le pipeline dans l’état du Dakota du Nord. Avec à la clé, une fouille en bonne et due forme de son ordinateur portable et de son smartphone. Pas de guerre, pas de dictateur, juste une police de plus en plus répressive et aux pouvoirs sans cesse étendus.

Geste improbable de la part de Canon et Nikon

S’il est certes un peu péremptoire d’affirmer qu’aucun constructeur ne bougera sur la thématique, deux acteurs devraient être moins enclins à bouger que les autres : Canon et Nikon. Les « grands » entretiennent en effet de nombreux contrats, parfois à haut niveau, avec différentes forces, voire gouvernements.

En France par exemple, Nikon est un interlocuteur privilégié de la police et de l’armée, la marque au logo jaune et noir trustant les ministères de la défense et de l’intérieur.  De l’ECPAD, service image et communication de l’armée en passant par la police judiciaire, l’écrasante majorité des services français font appel à Nikon – qui est notamment apprécié pour la performance de ses boîtiers en basses lumières. La situation est inversée dans certains pays, où Canon domine, mais la résultante est que ces deux marques japonaises, un pays connu pour sa culture de la retenue du consensus et de l’obéissance, n’ont pas dans leur ADN d’endosser le rôle du chevalier blanc protégeant la société civile.

Et même si tel était le cas, les gouvernements et ministères représentent de beaux contrats et ont plus de poids qu’une liste de journalistes inquiets. A fortiori dans le contexte actuel de l’effondrement du marché de la photo, dont les volumes de ventes ont été sabrés par le succès des smartphones. Même si répondre à de tels besoins si spécifiques était dans la liste des développements possibles, « il serait tout en bas de la liste des priorités », nous explique un responsable de Nikon France, soulignant que le défi du moment « est de se battre pour proposer les meilleurs appareils photo ». Ce qui se comprend, d’autant que la solution n’est pas évidente à mettre en place. 

Casse-tête technique

Même si les constructeurs étaient partants, le chiffrement du contenu dans l’appareil pose de nombreux problèmes. Ergonomique d’abord, car il faudrait bien évidemment trouver un système – PIN, empreinte – de verrouillage/déverrouillage des données, ce qui rajouterait une étape assez longue dans la manipulation de l’appareil. Ensuite, tout système peut être cassé, rendant difficile aux constructeurs de garantir l’inviolabilité de la protection : la plupart des services gouvernementaux ont des moyens de venir à bout de tout type de protection grand public. Outre le fait qu’une telle solution augmenterait le prix des appareils de manière conséquente, les détenteurs des dits boîtiers seraient suspects de facto.

Tout cela ne veut pas dire que le problème n’a pas de solution, mais juste qu’il est assez peu probable qu’elle vienne des constructeurs d’appareils photo.

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Adrian BRANCO