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Une croissance bridée pour les cent premiers des réseaux

Hormis Cisco, qui caracole devant IBM et 3Com, les spécialistes des réseaux ont marqué le pas en 1998. Cabletron, Novell et Newbridge sont distancés ; Lucent Technologies, Nortel Networks et Intel sont en embuscade. Si les bénéfices sont en hausse, la situation n’est guère florissante.

Avec 56,5 milliards de dollars de chiffre d’affaires cumulé en 1998, l’activité des cent premiers constructeurs et éditeurs spécialisés dans les réseaux (dont l’exercice se clôturait le 30 juin 1999 au plus tard) a, pour la deuxième année consécutive, nettement marqué le pas, avec une progression limitée à 4,8 %. Ce sixième classement confirme le ralentissement, déjà amorcé en 1997, d’une croissance longtemps abonnée aux valeurs à deux chiffres (9,1 % en 1997, 17,9 % en 1996 et plus de 20 % les années antérieures). Un phénomène qui s’explique notamment par une spectaculaire vague de concentrations.
De fait, une dizaine d’acteurs ?” et non des moindres ?” disparaissent de ce classement à la suite de leur rachat. C’est le cas d’Ascom TimePlex, de Bay Networks, de Digital Equipment, de FTP Software, d’Olivetti, de Racal-Datacom, de Shiva, de Xyplex, etc. Sans compter la kyrielle d’acteurs présents dans cette édition mais qui ont, entre-temps, été aussi rachetés (Ascend, Dialogic, Fore Systems, Genesys Laboratories, Kingston Technology, Level One, Netscape, Wall Data et Xylan), tandis que d’autres (Compaq, IBM, Olicom, Rockwell et Seagate) aban-donnaient plus ou moins la partie. Un phénomène de re-composition qui, au vu de la frénésie d’acquisitions des derniers mois, ne semble vraiment pas prêt de s’arrêter.

Cisco, leader incontesté des réseaux de données

Avec son impressionnante panoplie d’équipements d’in-terconnexion, Cisco Systems domine toujours cette industrie de la tête et des épaules. Et encore, sa suprématie, compte tenu du décalage de son année fiscale, qui se termine traditionnellement à la fin de juillet, est plus importante qu’il n’y paraît, le chiffre d’affaires retenu pour ce classement étant, par souci d’équité vis-à-vis des autres acteurs, celui de l’exercice qui s’est clôturé en juillet 19981. Stimulé par sa stratégie de croissance externe (une vingtaine d’acquisitions par an), Cisco accomplit, depuis une dizaine d’an-nées, un véritable sans-faute. Outre son étonnant parcours industriel, sa puissance réside aussi dans sa ca-pitalisation boursière d’environ 300 milliards de dollars, la troisième des Etats-Unis, derrière Microsoft et General Electric. Avec une telle force de frappe, Cisco peut financer, par échange d’actions, des acquisitions hors de portée de la plupart de ses concurrents. Il est vrai que le montant des sommes en jeu donne le vertige : 19,2 milliards de dollars pour le rachat d’Ascend par Lucent ; 4,2 milliards pour ceux de Fore Systems par Gec, et de Netscape par America OnLine (AOL) ; 2,1 milliards pour celui de Level One par Intel, etc. Une inflation d’autant plus frappante que la santé financière de certaines sociétés récemment acquises, tel Netscape, n’était guère florissante cape par America OnLine (AOL) ; 2,1 milliards pour celui de Level One par Intel, etc. Une inflation d’autant plus frappante que la santé financière de certaines sociétés récemment acquises, tel Netscape, n’était guère florissante. Si l’on raisonne en termes de taille des protagonistes, seuls Cisco, IBM et 3Com pèsent plus de 5 milliards de dollars dans les réseaux de données.

Une hiérarchie qui s’articule autour d’une dizaine de poids moyens

Derrière le trio de tête, la hiérarchie s’articule autour d’une dizaine de poids moyens, parmi lesquels Computer Associates (avec sa plate-forme d’administration de systèmes Unicenter/TNG), Nortel Networks et Lucent Technologies semblent les mieux placés, à condition, pour Nortel Networks et Lucent Technologies, de digérer définitivement les rachats de Bay Networks et d’Ascend, ce qui n’est pas encore acquis. Lucent évalue à 3,2 milliards de dollars son chiffre d’affaires dans les réseaux au cours de l’exercice fiscal qui s’est achevé en septembre 1999. Cabletron, Newbridge et Novell, eux, paraissent irrémédiablement distancés. Parmi ceux qui tirent discrètement leur épingle du jeu dans le haut du tableau, Intel a de grandes chances de refaire bientôt parler de lui. Initialement spécialisée dans les processeurs pour routeurs et autres commutateurs, la division Réseaux d’Intel est en passe de doubler de taille grâce à une politique d’acquisitions (Shiva, Dialogic, Level One et activité Ethernet d’Olicom) soutenue. Après les réseaux fixes, Intel ne compte d’ailleurs pas en rester là, et s’intéresse désormais de près à l’Internet mobile. Le rachat, en octobre 1999, de DSP Communications, pour 1,6 milliard de dollars, en témoigne.
Cette dynamique tranche avec la contre-performance de National Semiconductor, dont l’activité réseaux s’est effondrée au cours de son dernier exercice en raison de ” l’échec du lancement de nouveaux produits et du déclin de la demande en environnement Ethernet “, expliquent les responsables de la firme. Parmi les autres types d’acteurs à surveiller de près figurent les constructeurs issus de l’univers des télécoms. Après Nortel et Lucent ?” les premiers à avoir pris le virage des réseaux de données ?” c’est au tour d’Alcatel, d’Ericsson, de Gec, de Nokia et de Siemens de passer à l’offensive. Un repositionnement trop récent pour que l’on puisse en mesurer l’impact dès maintenant, mais qui devrait rapidement faire sentir ses effets (rachats d’ACC et de Torrent par Ericsson ; de Fore Systems par Gec ; de Redstone, Argon Networks et Castel Networks par Siemens ; d’Ipsilon et de Diamond Lane par Nokia ; de Xylan, Assured Access, Internet Devices, Packet Engines et Genesys Telecommunications par Alcatel, etc.). A titre d’exemple, le poids d’Alcatel dans les réseaux de données devrait passer d’un peu plus de 200 millions de dollars, l’an dernier, à près de 500 millions de dollars, en 1999, hors ADSL.

Compaq lève le pied dans les réseaux

Dorénavant réunies au sein d’une entité spécifique baptisée Internetworking Division, les activités d’Alcatel dans les réseaux de données pourraient atteindre 3 milliards de dollars à l’horizon 2003. Cette démarche est à rapprocher de celle de Siemens, qui vient également de fédérer ses acquisitions dans les datacoms, au sein d’une structure dédiée, baptisée Unisphere.
Alors que certains s’efforcent de prendre, parfois tardivement, le virage des réseaux de données, d’autres sont, plus curieusement, en passe de renoncer. C’est le cas de Compaq, qui, après avoir affiché de grandes ambitions dans ce domaine, a finalement décidé de lever le pied. ” C’est une question de stratégie de distribution et d’allocation de ressources “, nous confiait ?” il y a un peu plus de un an, au moment de son transfert chez Newbridge ?” Alan Lutz, ancien responsable de cette activité chez Compaq.
En termes de segments de marché, le bilan est tout aussi contrasté. Dans les modems, la plupart des acteurs, à l’exception de Xircom, voient leur activité reculer, quand ils ne disparaissent pas de la circulation comme Hayes, l’inventeur du modem. Même constat en ce qui concerne la visioconférence, où Polycom fait un bond impressionnant (+ 139,7 %), alors que Datapoint est à peu près stable (+ 6,5 %), et que les autres acteurs (Aethra, PictureTel et VTel) régressent. Autres créneaux relativement malmenés : le Token Ring et l’ATM. Dans le Token Ring, seul Accton Technology (+ 6,1 %) s’en sort à peu près, Madge et Olicom étant en net repli. Pour l’ATM, General Datacomm et NET confirment le recul inexorable de leur activité et affichent des pertes. Quant à Fore Systems, récemment racheté par Gec, son activité s’accroît sensiblement (+ 38 %, à 632,4 millions de dollars) sans empêcher la firme de s’enfoncer dans le rouge (207,3 millions de dollars de pertes lors de son dernier exercice). Reste l’énigmatique Newbridge, dont l’activité a progressé de plus de 10 %, mais dont l’avenir est toujours incertain.

Des parcours contrastés pour les spécialistes de l’ADSL

Le créneau de l’ADSL n’est pas épargné, comme le montrent les parcours contrastés de PairGain, Paradyne ou Westell. Malgré une progression de son activité de 7,9 %, ce dernier affiche un taux de profit (résultat net/chiffre d’affaires) négatif de 37,6 %, tandis que PairGain, quasi stable (+ 0,3 %), est nettement mieux loti, avec un résultat net de 39,5 millions de dollars, soit un taux de profit de près de 14 %. L’activité de Paradyne (ex-division d’AT&T spécialisée dans les modems) progresse, elle, modestement (9,7 %) pour un résultat net légèrement négatif (?” 3,6 millions de dollars). Autre secteur en effervescence : celui du couplage téléphonie-informatique, avec les récents rachats de Dialogic par Intel, et de Genesys Telecommunications par Alcatel. Nice Systems (+ 31,3 %) poursuit sa route, alors que Natural MicroSystems stagne, avec une progression de + 1,5 %. Le créneau de la commutation Gigabit Ethernet reste, sans doute, le plus convoité au sein des technologies émergentes. Récemment rachetées pour la plupart (Nexabit, par Lucent ; Torrent, par Ericsson ; Xylan, par Alcatel), les start-up de ce segment figurent parmi les mieux valorisées du secteur. La plupart de ces sociétés étant encore en phase de démarrage, et compte tenu du phénomène de concentration, seuls Extreme Networks et Xylan sont dans ce classement.

300 % de croissance pour Extreme Networks !

Extreme Networks se voit attribuer une mention particulière. En effet, il affiche une croissance supérieure à 300 % au cours de son dernier exercice. Cette firme pourrait bien être convoitée à brève échéance. Autant chaque édition de ce classement recèle son lot de surprises, autant celui-ci fait preuve d’une extrême stabilité pour ce qui est de l’origine géographique des acteurs. Ainsi est-il toujours dominé à plus de 80 % par les Américains, ces derniers ne laissant aux autres que les miettes (les quatre constructeurs français recensés pèsent à peine 900 millions de dollars de chiffre d’affaires cumulé).
En matière de rentabilité, enfin, la situation du secteur s’améliore légèrement, comme l’indique un taux de profit (résultat net/chiffre d’affaires) de 4,46 % en 1998, alors que ce dernier n’était que de 2,51 % en 1997, mais de 9,16 % en 1996. Un ratio calculé ?” par souci de cohérence et de pertinence de l’analyse ?” à partir des seuls acteurs (58 au total) dont l’activité s’exerce à 100 % dans les réseaux et dont les éléments financiers étaient disponibles. Le résultat net cumulé de ces sociétés est ainsi de 1 376,9 millions de dollars en 1998. Il n’empêche, si l’on retranche de cette somme le résultat net de Cisco en 1998 (1 350,1 millions de dollars), l’échantillon affiche à peine 26,8 millions de dollars de résultat net cumulé. Autant dire une misère, pour un chiffre d’affaires correspondant de plus de 22,4 milliards de dollars… L’univers des réseaux de données, hormis le cas atypique de Cisco, n’est donc plus l’eldorado de la haute technologie, comme cela a été le cas jusqu’au milieu des années 90.
Ce contexte tranche avec le récent engouement pour les fonds d’investissement consacrés aux start-up, essentiellement dans l’univers Internet. Un domaine dans lequel on voit s’activer deux catégories d’acteurs. La première est constituée de nouveaux entrants issus d’horizons aussi divers que la grande distribution (Pinault-Printemps-La Redoute), l’industrie du luxe (LVMH, avec Europ@Web), les services (Vivendi, avec Viventures et @Viso), la finance (Carlyle), et même le renseignement militaire, avec la création récente d’un fonds dédié, baptisé In-Q-It, par la… CIA.

Newbridge, pionnier du capital-risque

La seconde catégorie d’intervenants en matière de capital-risque regroupe les acteurs traditionnels des réseaux parmi lesquels Newbridge, avec son fonds Newbridge Holding Networks, fait figure de pionnier. Non sans succès, dans la mesure où c’est à ce fonds et aux plus-values réalisées (plus de 600 millions de dollars de cession au cours de son dernier exercice) que Newbridge doit sa survie. Généralement dotés de 100 à 200 millions de dollars, ces fonds sont aussi très prisés par des acteurs comme Intel ou Lucent. La création, en février 1998, de Lucent Venture Partner, avec une mise de fonds d’une centaine de millions de dollars ou, plus récemment, celle d’Intel 64 Fund, structure spécialisée pourvue de 250 millions de dollars, en sont la preuve. Des initiatives qui font tâche d’huile. Ainsi, Alcatel ?” et d’autres ?” n’exclut pas de lancer un fonds similaire, avec la perspective de réaliser rapidement de belles plus-values, grâce à l’augmentation de la valorisation des établissements dans lesquels ces fonds auront investi. Une démarche à ne pas confondre avec la rentabilité à court terme de l’entreprise, le principe étant d’anticiper, voire de spéculer, sur le potentiel de développement des sociétés ainsi incubées. ” A force de créer aujourd’hui de la valeur pour demain, on s’expose au risque qu’un jour quelqu’un pose benoîtement la question : mais aujourd’hui, combien votre start-up vaut-elle réellement ? “, explique, non sans malice, un banquier d’affaires. Une philosophie qui contraste avec le consensus actuel, mais qui pourrait bien faire voler en éclat un paradigme qui tend à se banaliser. Reste à savoir à

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par Henri Bessières