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Tera-100, le supercalculateur à la française

Le Tera-100 est le premier supercalculateur européen capable de réaliser plus d’un million de milliards d’opérations par seconde. Visite du phénomène.

Ce n’est pas une bête, mais un monstre de calcul ! Un monstre sublime qui, ramassé sur lui-même, couvre 600 m2, la surface équivalente d’un terrain et demi de basket-ball. Il se terre dans le sous-sol d’un bâtiment de la Direction des applications militaires (DAM) du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) à Bruyères-le-Châtel (91), à seulement une demi-heure de Paris.Les vestiges de ses prédécesseurs veillent sur l’entrée de son antre. On ne s’attarde pas ? le temps est compté ?, juste assez pour discerner “ Cray ” à plusieurs reprises. Le phénomène est sous haute surveillance. Des gardes, un accès avec code et badge, une interdiction d’utiliser les téléphones mobiles et de porter des talons aiguilles (à cause des trous dans les dalles au sol), puis un sas. On le devine à travers la vitre, masse sombre et immobile. Ses maîtres préviennent qu’il est très bruyant, avant d’ouvrir la dernière séparation. Voilà donc le Tera-100, le premier supercalculateur européen à réaliser plus d’un million de milliards d’opérations par seconde (ou flops, floating-point operations per second), à franchir le seuil symbolique du pétaflop, à gagner le qualificatif de “ pétaflopique ” ! Une performance officiellement enregistrée au top 500 (www.top500.org), un classement mondial des supercalculateurs. Il est établi deux fois par an, en mai et en novembre, à partir du test Linpack, lequel consiste à résoudre un faramineux système d’équations linéaires selon une méthode imposée. D’aucuns prétendent que certaines machines sont conçues uniquement pour emporter la première place, à seule fin de publicité pour un pays ou un constructeur. Au niveau mondial, Tera-100 atteint la sixième place. Devant lui, deux superordinateurs chinois qui s’octroient les première et troisième places, deux américains (deuxième et cinquième places), et un japonais (quatrième place).Le supercalculateur français, né d’un partenariat entre le CEA et Bull, a belle allure. Une robe noire rehaussée d’une bande vert pomme, et des reflets argentés que lui confèrent les portes à motif “ neuronal ” (dixit ses géniteurs) de ses 220 armoires. Dans ses entrailles, 17 480 processeurs Intel Xeon 7500, dotés chacun de 8 cœurs de calcul ; plus de 140 000 barrettes de mémoire vive pour faire fonctionner les programmes, soit un total de 300 téraoctets, ou 300 000 gigaoctets ; la capacité de stockage de 20 pétaoctets (20 millions de gigaoctets) est, elle aussi, exceptionnelle, soit l’équivalent de plus de 25 milliards de livres. Des composants en quantité gigantesque, mais communs, comme le système d’exploitation ? une distribution Red Hat de Linux ? et les logiciels libres utilisés, l’ensemble témoignant de la genèse du projet.

Un monstre de calcul

Quand Jacques Chirac, lors de son mandat présidentiel, décide en 1996 d’arrêter les essais nucléaires, il lance conjointement un programme de simulation dans lequel de puissantes machines de calcul doivent résoudre les équations physiques. “ Garantir la fiabilité et la sûreté des armes de dissuasion sans essais, développer un simulateur du fonctionnement de l’arme, fournir la puissance informatique, gérer le risque par la maîtrise des technologies matérielles et logicielles qui permettent de fournir la puissance informatique ”, c’est ainsi que Jean Gonnord, chef de projet simulation numérique de la Direction des armes nucléaires du CEA, résume la mission de l’organisme. En 2008, l’objectif est élargi. Il s’agit de “ reconquérir et pérenniser la capacité de concevoir et réaliser de grands supercalculateurs en Europe. ” Le partenariat entre le CEA et le fabricant français Bull s’inscrit dans cette démarche. Avec Tera-100, l’objectif est de “ concevoir une vraie machine de production, qui intègre les contraintes du marché ”. Un super-calculateur que Bull puisse vendre à d’autres utilisateurs, pour la recherche et l’industrie, secteur pour lequel la simulation numérique est désormais un enjeu stratégique.Dans la salle du DAM, les ronflements incessants des armoires prouvent que le Tera-100 travaille. Le supercalculateur est prévu pour fonctionner 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Une sollicitation permanente qui oblige à en prendre le plus grand soin. Pour lui éviter un coup de chaleur néfaste aux calculs, un système de refroidissement à la fois par air et par eau équipe chaque armoire et maintient la pièce à une température constante de 20°C. L’alimentation électrique est, elle aussi, sous surveillance. Un système de protection contre les coupures électriques est prévu. A lui seul, le Tera-100 consomme 5 mégawatts (MW). En tenant compte du système de refroidissement, ce sont 10 MW qu’il engloutit, apportés par 25 kilomètres de câbles.Malgré toutes les précautions prises, le colosse a une durée de vie limitée de cinq années. A peine l’arrivée du Tera-100 est-elle consacrée par le top 500 que ses géniteurs parlent déjà de son successeur. Le logiciel de simulation, lui, doit durer vingt ans, afin d’assurer la stabilité de la recherche. Il est donc prévu que, dès 2015, Tera-1000 prenne la relève. Ambition affichée : une puissance de calcul multipliée par trente, soit 30 millions de milliards d’opérations par seconde. Mais il sera difficile, cette fois, de loger son prédécesseur dans le couloir.

Ultra haut débit

Avec une capacité de stockage de 20 millions de gigaoctets, le supercalculateur affiche un débit d’entrées/sorties de 500 Go/s afin d’assurer le transfert des informations. L’équivalent d’un million de personnes regardant en même temps un film en haute définition.

Densité électronique

Le pari du Tera-100 a été de multiplier sa puissance de calcul par vingt par rapport à son prédécesseur, le Tera-10, avec la contrainte de conserver le même espace. Afin d’accroître la densité des composants, les serveurs épousent une forme en L afin de s’imbriquer les uns dans les autres. Un tel serveur contient 128 cœurs de calcul, Tera-100 totalisant 4 370 serveurs, répartis dans 220 armoires.

24 h/24,7 j/7

Lors du test Linpack, qui lui vaut sa sixième place au classement mondial des supercalculateurs, le Tera-100 a tenu 22 heures sans aucune défaillance technique. Ramené au nombre de composants du supercalculateur, le résultat est impressionnant. Sur le site du CEA, c’est une équipe permanente d’une dizaine de personnes chargées d’assurer son fonctionnement et d’intervenir au moindre problème.

Secret défense

Le Tera-100, propriété de la Direction des applications militaires du CEA, se consacre exclusivement aux calculs liés aux armes de dissuasion nucléaire. L’une des salles jouxtant le supercalculateur renferme un écran géant. Il permet de visualiser les résultats des calculs, comme la simulation d’une fusion nucléaire.

Température constante

20°C à l’entrée de l’armoire, 20°C à la sortie : le supercalculateur est conçu pour ne pas augmenter la température de la pièce où il se trouve, grâce à un système de refroidissement à la fois à air et à eau. A l’arrière de chaque armoire, des ventilateurs brassent l’air de l’extérieur vers l’intérieur. L’air traverse l’armoire, absorbe la chaleur des composants, monte à quelque 35°C, traverse la porte avant, dans laquelle circule de l’eau glacée, et ressort à 20°C.

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Olivier Lapirot