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Quoi de neuf ?: XII – Grandeur nature

Résumé des chapitres précédents: Recommandé par un mystérieux ” top manager “, Arzel Serisy est nommé à la direction clientèle de Prestibank, banque en ligne du groupe Euryx-Bartabas. Une promotion semée d’embûches. Car de cet univers, si différent de celui qu’Arzel a connu comme chef du contentieux, il lui faut maîtriser le langage.

Madame Serisy n’était pas la seule à se plaindre d’avoir été démarchée au téléphone de tous côtés, et spécialement de la part d’une opératrice se réclamant de Prestibank. Il parvint aux oreilles d’Arzel, enfin dessoûlé, que certains de ses collègues avaient eu la même déconvenue ces derniers jours. Imputables à une erreur de fichier ou à un pitoyable canular, ces incidents ne pesaient toutefois pour rien comparé au coup de feu qu’essuyait depuis quarante-huit heures le centre d’appels. Qu’il soit dit que l’art de détecter des clients et des besoins est une science molle ! Entraîné à mixer et à modéliser, convaincu d’avoir minimisé le risque, le chef de projet en oublie parfois la logique de l’incertitude. Qu’importe ! L’aléa se rappelle à lui tôt ou tard. Il occasionne parfois un désordre déroutant. Alexis Niak, gourou du marketing chez Prestibank, en faisait l’amère expérience. Pourquoi sa dernière campagne média provoquait-elle deux fois plus d’appels spontanés que celle du trimestre précédent ? Ni Niak ni Martigny, directeur de la relation clientèle, ne pouvaient y apporter une explication satisfaisante.Le marketing ne jongle pas qu’avec les probabilités, il se heurte aussi aux paradoxes. De l’ampleur des retombées de leur campagne, Alexis Niak et Ludovic Martigny auraient pu logiquement se féliciter. C’est tout le contraire qui se produisit. Leur réussite inattendue fut accueillie comme une victoire contre-productive. Ils n’avaient plus qu’à serrer les fesses, en priant pour que ce calamiteux succès ne fasse l’objet d’aucune publicité.Publicité, c’était le mot. Qui aurait prédit que cette dernière vague rencontrerait un écho enthousiaste ? Qualifiés d’accrocheurs en début d’année, les visuels et les slogans de la campagne étaient jugés ” boiteux ” depuis deux saisons. ” Usés, périmés, out fashion, bobos ! “, conspuaient les créatifs d’Australie. Contenant et contenu avaient trop mal résisté à l’usure du temps, à la mutation du marché, à la surenchère de la concurrence. Niak en était convaincu. Il fallait mettre l’accent sur la rémunération des dépôts. Las d’entendre à la télévision et à la radio le slogan ” Banquez branché, banquez Presti “, qui ne pouvait qu’irriter les technoconvertibles, il lui tardait de lancer la prochaine accroche : ” L’intérêt bondit, Presti banque “.Conséquence fâcheuse du succès de la ” vieille campagne ” : Prestibank avait enregistré un boom sans précédent du taux d’appels perdus. Le directeur général avait mis en cause le management de la direction clientèle. Il est vrai, avait plaidé Martigny, que les opératrices avaient été priées de traiter les appels selon la procédure habituelle. Mais si elles n’avaient pu faire face à la crue des appels, c’était pour deux bonnes raisons. Primo, il était impossible d’augmenter l’effectif dans l’instant et à proportion des besoins. Deuxio, pas plus que l’effectif, la durée de traitement des appels n’était élastique. Satisfaction clientèle oblige.Illustration : les opératrices avaient pour consigne de passer plus de temps avec leurs interlocuteurs.Le soir même, Martigny avait bouclé Niak dans son bureau. S’étant vu reprocher la nullité de ses prévisions, ce dernier avait rétorqué :” Pas moi qui t’apprendrai la marge d’erreur entre le test et l’expérience grandeur nature ! ” Persifleur, il ajouta : ” Étant donné le délai de traitement, tu ferais bien de rectifier ton scoring de comportement…” u Prochain chapitre : ” Virements de nuit “* Dernier ouvrage paru : ” Caïn et Abel avaient un frère ” (L’Olivier Édition).

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Philippe Delaroche, journaliste, écrivain, ancien éditeur.*