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Pourquoi Qualcomm n’a pas (encore) annoncé de puces concurrentes aux M1 d’Apple

Plutôt que de chercher à briller en proposant la puce ARM la plus puissante, Qualcomm affirme s’appuyer sur sa connaissance du marché. Au cours de deux interviews distinctes, deux hauts cadres de l’entreprise ont détaillé la vision de leur entreprise, qui passe par une vraie recherche de l’efficacité et de la rentabilité, plutôt qu’une course à l’ego.

La sortie consécutive des puces M1, puis M1 Pro et M1 Max  a mis tout le monde d’accord : Apple a développé d’excellents processeurs pour ses appareils. Mais dans leurs envolées lyriques, de nombreux « analystes » se sont fait les fossoyeurs d’Intel, d’AMD, de Qualcomm et des autres, sans même prêter attention aux (gros) détails de ces puces.
Si les conclusions de ces Cassandres sont plus que farfelues, il n’empêche qu’un questionnement reste valide : qu’est-ce qui empêche les autres, dont Qualcomm, de proposer des puces aussi puissantes ? 

Adrian BRANCO / 01net.com – Miguel Nunes, en charge du programme des puces Snapdragon pour PC chez Qualcomm.

Pour apporter des éléments de réponse, nous avons longuement pu nous entretenir à plusieurs reprises et de manière séparée avec deux très hauts cadres de Qualcomm, le champion américain des puces pour smartphones. Le premier est Miguel Nunes, en charge du programme des puces Snapdragon pour PC.

Le second n’est rien de moins que Zyad Ashgar, supérieur hiérarchique de Miguel Nunes, en charge des feuilles de route de toutes les puces Snapdragon.
Deux ingénieurs impliqués aussi bien dans la décision de Qualcomm de se lancer dans l’arène du PC que dans le rachat de Nuvia. Deux hommes au discours rationnel, où l’ego de l’entreprise s’efface devant la réalité du marché.

Adrian BRANCO / 01net.com – Zyad Asghar, patron du développement des puces Snapdragon chez Qualcomm.

En plein Snapdragon Summit, alors que Qualcomm venait de dévoiler son nouveau Snapdragon 8 Gen 1 et ses 8cx Gen 3 et 7c+, une question se posait : pourquoi diable Qualcomm, qui développe des puces pour PC et qui est un champion du rapport performance/watt dans le domaine mobile, ne propose pas de puce équivalent au M1 ? L’entreprise serait-elle dépassée par les ingénieurs d’Apple ? Et si la réponse devait se trouver autant du côté de la technologie que du business ?

C’est ce qui est ressorti de ces entretiens avec ces deux ingénieurs, qui nous ont parlé, franchement, sans sombrer dans le discours marketing d’autres entreprises grand-public, tout en apportant des réponses business rarement admises par les compétiteurs.

ARM sur PC : Qualcomm a commencé, mais c’est Apple qui a validé

« Apple a réalisé un excellent travail avec sa puce M1 », admet bien volontiers Zyad Asghar. « Si nous avons été les premiers à développer des puces ARM pour Windows 10, c’est grâce à l’aura d’Apple que l’approche technologique a été validée. Apple a prouvé qu’ARM battait x86 d’une large tête dans le rapport performances par watt », continue l’homme à la voix douce et mesurée.

En charge de l’ingénierie des puces Snapdragon, Zyad Asghar prend souvent son temps pour répondre, et il le fait précisément.

L’architecture ARM dans les PC, Qualcomm y croit dur comme fer. C’est à la surprise générale que l’Américain et Microsoft ont présenté leur premier prototype fonctionnel au Computex de Taipei en 2016. Lancée avec une simple puce de smartphone – le Snapdragon 835 –, la gamme s’est enrichie de plusieurs modèles depuis : les Snapdragon 850, 8cx, 8cx Gen 2, 7c, 8c ainsi que les 8cx Gen 3 et 7c+ annoncés début décembre 2021 lors du Snapdragon Summit de Hawaii.

Lire aussi : Qualcomm lance deux nouvelles puces ARM pour PC, et s’attaquera au M1 d’Apple fin 2022

Mais si la montée en puissance est bien là avec le nouveau Snapdragon 8cx Gen 3, on n’est toujours pas au niveau de la première puce M1 d’Apple. Comme le jure Zyad Ashgar, ce n’est pas une question d’envie ou de moyens.

« Nous pouvons battre le x86 en rapport performances/watts et nos architectures sont parfaitement taillées pour la montée en puissance. Mais nous devons y aller pas à pas ». Pourquoi ? « Parce que tout n’est pas dans nos mains, notamment en matière d’OS ou d’OEM (les constructeurs de machines, ndlr) », ajoute-t-il.

Ralenti par l’OS, l’écosystème logiciel le marché du matériel

« Apple a bien validé le futur d’ARM dans les ordinateurs, mais le marché du PC n’est pas celui des Mac », explique Miguel Nunes, en charge des puces Snapdragon dans les PC.
« Contrairement à Apple qui a la maîtrise totale du matériel et du logiciel, pour nous, il y a des éléments qui sont hors de contrôle, comme l’arrivée de Windows 11 », relate-t-il.

Initialement attendue sous Windows 10 par le biais d’une mise à jour, ce n’est final qu’à partir de la version 11 que Windows a supporté l’émulation native x64/ARM64. Une fonction capitale pour renforcer l’attractivité de la plate-forme WoS – Windows on Snapdragon – qui manque toujours de logiciels compilés nativement pour les puces de Qualcomm. Or, qui dit manque de logiciels optimisés, dit manque d’usages satisfaisants…

Lire aussi : Snapdragon 8cx Gen 3 : nous avons pris en main un prototype de PC avec la nouvelle puce de Qualcomm

Dès lors comment Qualcomm peut-il envisager de briser ce cercle vicieux ? Comment faire en sorte que les développeurs s’intéressent à une plate-forme marginale ?

« Par le volume ! », répond Miguel Nunes du tac au tac. « L’une des raisons pour lesquelles on n’a pas commencé par des onéreuses puces hautes performances c’est que, limités par l’environnement logiciel et l’émulation, il nous fallait créer une dynamique. Et pour cela, il faut chercher les volumes de production. Et dans le marché du PC, l’essentiel des volumes sont dans les PC d’entrée de gamme à moins de 500 euros », décrit-il.

« Les puces M1 d’Apple – et encore plus les M1 Pro et M1 Max – sont des produits « héros » dans le jargon, des puces à faible volume qui ne ciblent qu’un segment très faible du marché. Hors du contexte très spécial du marché Apple, les produits dits « héros » sont souvent des mauvaises décisions business. Nous, nous sommes entièrement dédiés au business et recherchons les volumes », continue-t-il.

Or, le monde du PC Windows d’entrée de gamme est assez verrouillé par Intel et AMD, et la poussée de Qualcomm y est très modeste. Voilà pourquoi, en parallèle de la plate-forme de Microsoft, Qualcomm investit beaucoup Chrome OS.

« Nous allons évidemment continuer de monter en puissance sous Windows 11, mais c’est notamment grâce à Chrome OS que nous produisons des volumes de puces.
Notre nouveau 7c+ est ainsi parfaitement taillé pour des machines à coût réduit, à super endurance et cette puce est parfaite pour les pays à faible connectivité
 », promet Miguel Nunes.

Qualcomm va donc s’appuyer sur l’arrivée récente de Windows 11 et la montée en puissance de ChromeOS pour accélérer sa dynamique. Mais en plus de ces barrières extérieures contre lesquelles l’entreprise doit lutter, les deux cadres de Qualcomm reconnaissent tout de même qu’un élément technique les limitaient quand même dans l’arrivée d’un « M1 killer » : des cœurs CPU ARM de pointe.

Lire aussi : On a essayé la console Razer à base de Snapdragon G3x, de Qualcomm

Les cœurs CPU de Nuvia promettent une énorme montée en puissance

« J’ai personnellement participé à l’évaluation technologique qui a mené au rachat de Nuvia », explique Zyad Asghar avec un flegme tellement désarmant qu’on en oublierait presque que l’ingénieur parle ici d’un deal à 1,4 milliard de dollars.
« Ce sont des sommes tout à fait normales dans l’industrie. Et puis les fondateurs sont des vétérans et leur architecture est extra, car elle permet une grande mise à l’échelle de la montée en puissance », détaille-t-il.

Lire aussi : Qualcomm se paie Nuvia, une start-up fondée en 2019 par des anciens ingénieurs d’Apple (janvier 2021)

Est-ce à dire que Qualcomm n’avait pas sous la main des cœurs CPU capables d’assurer la montée en puissance pour lutter dans le PC ?

« Tout à fait, nous avons initialement des cœurs CPU d’abord tournés vers l’efficacité énergétique. Il nous restait à choisir de développer une technologie ou en acquérir une ».

L’histoire, c’est donc que Qualcomm a mis la main sur une équipe de cadors, dont un a même été l’architecte… de l’Apple M1. A cette partie visible s’ajoute un élément un peu plus passé sous silence : le GPU. Loin d’être un oubli, on a bien l’impression qu’il s’agit d’une stratégie.

Lors des conférences de présentation du Snapdragon 8 Gen 1 (mobile) et 8cx Gen 3 (PC), l’ensemble de la presse et des analystes a fait la moue entre les promesses faites en matière de performances et de technologies embarquées par les GPUS respectifs et le peu de détails techniques à leur sujet.

« Je vais être honnête : c’est totalement voulu », admet Zyad Ashgar. « Il n’y a plus un seul élément des vieilles architectures (Adreno a été racheté à AMD, en 2009), il s’agit d’un tout nouveau GPU entièrement développé en interne qui promet une énorme scalabilité. Ce que je peux vous dire, c’est qu’il ne s’agit pas d’une approche par cœurs, mais d’un système très flexible et hautement parallélisable. Mais nous ne voulons pas donner de détails à la concurrence », précise l’ingénieur en chef de Snapdragon.

Car c’est la combinaison du CPU Nuvia et de ce nouveau GPU qui lui permet d’avancer des promesses que l’on peut qualifier de complètement folles ou en tout cas stupéfiantes.

« Nous allons affronter Intel, AMD et Nvidia » (Zyad Ashgar)

Interrogé sur l’incroyable puce M1 Pro, d’Apple, un bijou gravé en 5 nm embarquant pas moins de 57 milliards de transistors, et sur le chemin que choisira Qualcomm entre une puce monolithique et un patchwork de chiplets, Zyad Asghar répond par une bombe.

« Un M1, je peux en faire un demain. Ce qui compte ce n’est pas de faire la puce, mais de la vendre. Nous avons choisi d’y aller pas à pas. Vous me parlez de 57 milliards de transistors, c’est bien, mais est-ce une bonne chose ? Moi quand je parle à mes équipes, je leur dis qu’il ne nous ne faut pas le plus de transistors, mais les transistors les plus efficaces ».

Et, selon lui, ce sera là l’arme fatale de Qualcomm.

« Je vais être très direct : nos architectures qui arrivent permettent une vraie montée en puissance linéaire. Mais nous serons plus efficaces que la concurrence, parce que nous sommes les rois de l’intégration.
Nous allons nous battre contre Intel, AMD et Nvidia dans le domaine de la puissance, mais nous serons les champions du rapport performances/watt/surface de puce. Et, quand le temps sera venu, nous allons croître
 », professe-t-il.

Un discours conforté et également développé par son capitaine, Miguel Nunes.

« Développer toutes ces technologies coûte cher et nous ne sommes pas une entreprise qui va au combat la fleur au fusil. Depuis le début de l’aventure de Snapdragon sur PC nous avons tenu le cap. Désormais nous avons toutes les technologies à portée de main, du Spectra qui est le  meilleur ISP du monde, jusqu’aux cœurs Nuvia ou nos nouveaux cœurs GPU. Nous sommes engagés, nous sommes sérieux. Et nous allons gagner », assure l’ingénieur.

Simple rodomontades ou réalité factuelle ? Si le calme, et l’absence d’excentricité ou de discours policé des deux hommes tend à convaincre l’auditeur qu’il s’agit plutôt du second cas de figure, la vraie réponse sera apportée par les produits.

Rendez-vous donc en décembre 2022 pour la présentation de la première intégration des CPU Nuvia et courant 2023 pour voir arriver les premier PC propulsé par ce type de puce.
Nous verrons alors comment la puce Qualcomm se comporte face à la concurrence. Et si les prétentions de Qualcomm seront en mesure de résister à la réalité.

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