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Pourquoi Amazon.fr s’est trompé sur la BD

Le libraire en ligne s’est discrédité pour des critiques de bandes dessinées publiées sur son site. L’incident est quasiment clos, mais révèle un manque de maturité commerciale de la part d’Amazon France. Explications.

” Parfaitement dégueulasse – Services Documentaires Multimédia “ : c’est le verdict sans appel énoncé sur Amazon.fr à propos d’une bande dessinée de Vuillemin.C’est le site universbd.com qui a lancé l’alerte : le rayon bande dessinée du libraire en ligne regorge de commentaires parfaitement vulgaires, voire loufoques.Jugez plutôt : “porte bien son titre en ajoutant vulgaro et pornoscato” (à propos d’un ouvrage de Pétillon) ou encore “série de courtes histoires d’une détonante vulgarité doublée d’une obsédante trivialité que n’excuse aucune jovialité”.La polémique a immédiatement éclaté en France. Mais sans secouer outre mesure le géant américain. La communication a été limitée à un unique e-mail envoyé à la presse française. François Saugier, directeur éditorial d’Amazon.fr, y écrit : “Services Documentaires Multimédia (SDM) est un de nos partenaires. Il nous fournit un contenu généraliste sur tous les sujets couverts par la production éditoriale, et ses textes sont souvent courts, mais de qualité. Ils sont signés SDM et ne représentent pas le point de vue d’Amazon.fr sur un livre”.Une explication un peu courte, le libraire en ligne ayant quand même une responsabilité sur les informations paraissant sur son site. Amazon.fr n’aurait-il pas tout simplement mal choisi son partenaire ?

Une base de données mal exploitée

” Notre métier est de produire et de diffuser des banques de données pour toutes les bibliothèques scolaires et publiques du Québec. Nous établissons des descriptifs et des analyses documentaires sur tous les types de documents (livres, CD, DVD, logiciels, etc.) “, explique Denis Brunet, directeur général de Services Documentaires Multimédia (SDM). ” Pour chaque document, nous ajoutons des éléments d’évaluation : à quel public il s’adresse, nous établissons un indice de valeur et des annotations pour informer et décrire le contenu du document. Dans le cas d’une fiction comme les BD, nous y adjoignons une évaluation critique qui fait l’objet d’une polémique en France “, ajoute-t-il.Un travail a priori sérieux, et qui ne mérite pas critique. Le problème se situe bien du côté d’Amazon.fr et de l’exploitation de cette base de données par le libraire en ligne.” Il faut bien comprendre que ces annotations critiques ne sont absolument pas destinées au grand public “, explique ainsi Denis Brunet. ” Elles sont écrites à l’attention des bibliothécaires, afin qu’ils puissent choisir quels livres ils comptent mettre en avant pour un public choisi. Dans le cas des bibliothèques scolaires, si nous devions conseiller ce type de bandes dessinées à la lecture, les parents d’élèves nous le reprocheraient ! Ces annotations ne sont pas des conseils de lecture pour le grand public, ce sont des garde-fous afin de prévenir les bibliothécaires de contenus qui pourraient choquer leur public “, se justifie-t-il. L’erreur des équipes d’Amazon.fr a été de publier ces annotations critiques sur leur site, alors qu’elles n’étaient pas ciblées pour le grand public.

Les éditeurs de BD mal informés

SDM a vendu à Amazon.fr un catalogue de livres d’environ 100 000 références, qu’elle met à jour régulièrement pour le libraire en ligne. Selon Denis Brunet, les critiques de BD incriminées ne représenteraient même pas 1 % du stock proposé par Amazon. Cependant, il reconnaît être embarrassé par cette affaire : “J’avoue que ces critiques de bandes dessinées sont discutables, et nous comptons prendre des mesures en interne afin d’améliorer ce travail d’information. Même destinés aux professionnels, ces points de vue ne sont pas de bonne qualité”, précise-t-il.Chez Fluide Glacial, éditeur de BD, on est plutôt médusés. “J’ai découvert l’affaire dans la presse hier matin”, avoue Katia Werner, l’attachée de presse de l’éditeur Fluide Glacial.“C’est inadmissible. S’ils étaient un magazine critique de BD passe encore, même si leurs avis me semblent injustes. Mais ils se disent libraires : ils vendent nos ouvrages, se font une marge dessus et dénigrent notre travail !”, s’indigne-t-elle. “Ils n’ont pas fait leur boulot, ils auraient du vérifier les informations qu’ils publient dans leur base de données. Je ne comprends pas ces marchands qui détruisent ce qu’ils vendent. Certes, ce ne sont pas leurs ventes qui nous font vivre, loin s’en faut. Mais, si nos ouvrages ne leur plaisent pas, ils n’ont qu’à arrêter de les vendre !”, ajoute-t-elle.Des réactions qui ne sont pas nouvelles pour Amazon. En effet, comme l’expliquait Jeff Bezos lors de son passage à Paris le 29 août dernier, les éditeurs américains avaient eux aussi très mal supporté l’idée que des internautes puissent donner des avis négatifs sur leurs livres, et que ces avis soient ensuite publiés sur Amazon.com. A cette différence près : il s’agit d’avis de consommateurs, alors que ceux publiés sur Amazon.fr sont présentés comme un commentaire du libraire.Amazon n’a pas pris le soin de prévenir ces éditeurs de BD, ni de s’excuser auprès d’eux. Amazon.fr fait cependant amende honorable, le libraire s’engage en effet à remanier les textes incriminés avant la fin de la semaine.Mauvaise exploitation de la base de données de son partenaire, communication défaillante auprès des éditeurs, manque de maturité dans son métier de libraire : les débuts d’Amazon.fr sont délicats sur un marché du livre français attentif au moindre faux pas.

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Antonin Billet