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Loi « sécurité globale » : quels risques fait-elle planer sur nos libertés ?

Les articles 21 et 22 de la proposition de loi « sécurité globale » défendue par le gouvernement pourraient ouvrir la boîte de Pandore de la surveillance. Explications. 

Le débat médiatique est accaparé par l’article 24 de la loi relative à la « sécurité globale ». La rue aussi. Mais, les articles 21 et 22 qui visent à déréguler l’usage par les forces de l’ordre de caméras piétons, embarquées sur leurs véhicules et aéroportées, soulèvent également certaines interrogations concernant nos droits et nos libertés.

L’exception est devenue la norme

Pour Me Zoé Vilain, avocate experte en droit numérique, Chief Privacy Officer de Jumbo Privacy, deux risques peuvent être identifiés : la banalisation de ces dispositifs de surveillance et les dérives induites par cet usage une fois normalisé.

« Même si l’utilisation de tels dispositifs n’interviendrait que dans des situations bien précises, l’état d’urgence étant entré dans le droit commun il y a plus de trois ans, l’exception est devenue la norme », explique-t-elle. « C’est la suite logique d’un processus amorcé il y a maintenant plus de trois ans lorsque l’état d’urgence est entré dans le droit commun. »

Autrement dit, si les articles 21 et 22 encadrent le recours aux caméras mobiles et aux drones « lorsque la sécurité des agents de la police […] ou des militaires de la gendarmerie nationale ou la sécurité des biens et des personnes est menacée » (art. 21) ou en cas de craintes « de troubles graves à l’ordre public » (art. 22), les situations exceptionnelles sont en fait très courantes.

Les libertés sacrifiées sur l’autel de la sécurité ? 

Et de fait, un changement de paradigme s’opère : il ne s’agit plus d’intervenir lorsqu’une infraction ou un délit est constaté par les forces de l’ordre mais de prévenir toutes « atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des lieux particulièrement exposés à des risques d’agressions, de vol ou de trafic d’armes, d’êtres humains ou de stupéfiants » (art 22).
Concrètement, à Paris, au regard des motifs invoqués dans l’article 22, des drones pourraient voler en permanence au-dessus de zones identifiées comme « à risque » : à Stalingrad, par exemple. Sous prétexte, que cette place parisienne est connue pour les trafics, toutes les personnes qui s’y trouvent pourraient être filmées.

Au regard du principe de proportion des outils acté par le RGPD, cette recherche tout azimut pourrait être problématique. Quels objectifs pourraient justifier l’utilisation permanente de drones ? Tous, tout le temps, partout, semble dire le texte dans un pays sans cesse en état d’urgence terroriste et / ou sanitaire.

Les articles 21 et 22 « plus dangereux » que le 24

« Le problème d’une telle proposition de loi un peu fourre-tout, c’est que le débat démocratique ne peut pas avoir lieu dans de bonnes conditions pour chaque disposition, d’autant plus après le tollé de l’article 24 », relève Me Vilain. « Mais a priori je trouve beaucoup plus dangereux les articles 21 et 22 par leur caractère général que l’article 24 même s’il est à mon sens anti-démocratique ! »

Le glissement progressif vers un régime de surveillance massive est une des dérives à craindre. Mais il y a aussi l’envers du décor : où vont ces images ? A qui ? A quoi serviront-elles ensuite ? Le texte reste vague. « Les images pourront être utilisées pour la formation des agents, mais on ne sait même pas si les visages seront floutés », note l’avocate, Me Vilain.
Comme elle, c’est un des sujets qui inquiètent certaines associations, aux premiers rangs desquels La Quadrature du Net (LQDN). Selon eux, ce texte pose les jalons d’un futur traitement systématisé des images, notamment avec des logiciels de reconnaissance faciale.

« Il ne s’agit donc pas d’améliorer le dispositif de la vidéosurveillance déjà existant, mais d’un passage à l’échelle qui transforme sa nature, engageant une surveillance massive et largement invisible de l’espace public », écrit le collectif de juristes militants dans un article intitulé « La technopolice, moteur de la sécurité globale ».

Vices de forme ? 

Voilà pour le fond, mais la forme est aussi sujette à réflexion. « Pourquoi faut-il voter ce texte en urgence alors que tout le monde est censé être chez soi ? », interroge Me Vilain.
De manière plus virulente, LQDN se fait l’écho d’un débat parlementaire baclé :

« L’article 22, majeur pourtant, a été lui débattu vendredi en pleine nuit et voté à 1h du matin, alors que le ministre de l’intérieur ne prenait même plus la peine de répondre aux parlementaires », dans un communiqué publié au lendemain du vote.

Bien que ces dispositions aient été votées trop vite pour certains par l’Assemblée nationale, elles sont actuellement en discussion au Sénat, dont la majorité n’est pas présidentielle. Le parcours législatif est encore long, mais le débat est essentiel.

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Marion SIMON-RAINAUD