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Le poison qui rend fou

Le juge Thomas Penfield Jackson a accéléré la cadence. Microsoft doit être puni, et vite. Après avoir vu sa capitalisation boursière fondre de près de moitié…

Le juge Thomas Penfield Jackson a accéléré la cadence. Microsoft doit être puni, et vite. Après avoir vu sa capitalisation boursière fondre de près de moitié en quelques semaines, la firme de Seattle est menacée de démantèlement.
Lourde sanction pour une société qui a tout de même réussi un incroyable tour de force : fournir un langage identique à tous les ordinateurs personnels. Souvenez-vous de la cacophonie quand, à une époque pas si lointaine, les micro-ordinateurs ne s’écoutaient pas, parlant exclusivement Commodore, Atari, DOS, Apple ou Amstrad. . . Windows est arrivé et tous se sont compris comme par magie. Seul Apple a gardé son idiome, ses aficionados faisant preuve d’une fidélité exemplaire. Le cap a été donné par Microsoft. Les fabricants et les développeurs ont respiré. L’utilisateur également : ce langage commun a permis une baisse ahurissante du prix des plates-formes en favorisant leur diffusion. Microsoft a bénéficié des erreurs d’Apple, persuadé que la valeur ajoutée se trouvait dans le matériel, mais surtout de la mollesse d’IBM dans la promotion d’OS/2. Cela n’enlève rien au dynamisme de Bill Gates. Grâce à lui, entreprises et foyers ont découvert probablement plus rapidement que prévu les charmes du ” micro “, lequel s’est mué en excellent terminal de communication Internet. Hélas, avec l’essor du Net, Microsoft n’a pas résisté à l’envie de devenir l’unique grammairien de l’ordinateur. “Si vous faites l’inventaire des causes du malheur de l’humanité, mettez au premier rang le langage. C’est le poison qui rend fou, et qui détruit l’espèce “, a écrit Arthur Koestler. En encapsulant dans Windows son navigateur avec l’intention non dissimulée de tuer le concurrent, Microsoft a donné à son langage des allures de diktat.
Parallèlement, Linux a été plébiscité par les utili- sateurs comme langage alternatif, comme naguère Unix face aux excès des grands constructeurs. Et Microsoft a succédé à IBM dans le rôle de Big Brother. Ce qui n’aurait pu être qu’une erreur de parcours est devenu une affaire d’Etat. Et l’Etat américain, justement, qui n’a pas pu venir à bout de la domination d’IBM dans les années soixante, ne veut pas cette fois manquer sa cible. Faut-il pour autant faire éclater Microsoft ? Seattle ne s’est, il est vrai, guère montré ouverte aux pressions, d’abord amicales puis officielles, de la communauté informatique. Dommage. Le développement d’Internet risque d’être entravé par un retour au tribalisme d’antan, avec la multiplication de nouveaux langages, dont certains sont si complexes que l’on devine déjà qu’ils ne seront pas facilement compatibles entre eux. Microsoft en morceaux, on risque alors de regretter que Bill Gates ne puisse plus mettre un peu d’ordre dans Babel j

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Philippe Doucet, journaliste et enseignant à Paris II