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IBM profite de la crise qui secoue les grands de l’audit et du conseil

En acquérant à bon prix PWC Consulting, Big Blue se dote des compétences en conseil et stratégie qui lui faisaient défaut.

C’est reparti. Le jeu du Monopoly reprend dans l’industrie des services informatiques. IBM profite de l’éclatement des géants de l’audit et du conseil pour racheter l’activité conseil de PWC. Le grand constructeur de matériel et de logiciel, dont près de la moitié des revenus proviennent aujourd’hui de son activité services IGS (IBM Global Services), devrait ainsi disposer de toute la panoplie de services à valeur ajoutée. Et si le constructeur est dans la mouvance actuelle du rapprochement des métiers de l’informatique et du conseil, il doit surtout faire face aujourd’hui à des clients devenus non seulement plus exigeants, mais aussi plus économes. “Le rachat de PWC Consulting est le troisième volet de notre stratégie globale ?” après notre renforcement dans le secteur technologique et la création d’IBM Global Services ?”, et la suite du développement de notre nouveau modèle économique, baptisé “e-business on demand “”, explique Dominique Cerutti, directeur général pour l’Europe de l’Ouest d’IBM Global Services.

PWC Consulting vaut cinq fois moins qu’il y a deux ans

Ce type d’accord a néanmoins été rendu possible par la restructuration des ” Big Five “, ces grands réseaux de consultants exerçant de l’audit et du conseil. Le rachat de PricewaterhouseCoopers Consulting par IBM constitue, en effet, l’énième épisode d’un mouvement de fond enclenché depuis déjà quelques années. Sous la pression grandissante des régulateurs mondiaux, ces grands cabinets ont peu à peu été poussés à séparer l’audit du conseil pour cause de conflit d’intérêt. Plus récemment, l’affaire Enron a servi de catalyseur et fini de convaincre ceux qui, comme Deloitte Touche Tohmatsu, étaient réticents à le faire. Résumé des événements.PWC émet, voilà trois ans, le projet de séparer ses activités audit et conseil. En septembre 2000, il tente de vendre la seconde à HP. Mais sa valorisation à l’époque ?”18 milliards de dollars ?” et le cours chahuté de l’action du constructeur empêchent la concrétisation du rachat. Depuis, PWC s’était résolu à introduire son entité conseil en Bourse. Cette décision ?”via la vente des parts des associés issus de l’audit ?” devait sceller la séparation définitive des deux métiers. PWC Consulting, rebaptisé il y a quelques mois Monday, devait être introduit en Bourse au mois d’août. Evalué à 3,5 milliards de dollars, ce rachat ?” même s’il est logique ?” a donc surpris.Chez les autres ” Big Five “, le processus de scission est terminé ou en cours. Le déclenchement des opérations date, pour la plupart d’entre eux, de l’année 2000. Ernst & Young, à l’instar de PWC, a revendu son entité conseil à une société de services informatiques, Cap Gemini, en février 2000. Quelques mois plus tard, le conflit datant du début des années quatre-vingt-dix qui oppose Arthur Andersen (rebaptisé Andersen) à Andersen Consulting (rebaptisé Accenture), entité conseil du réseau Andersen, est sanctionné par une séparation définitive. Toujours dans le courant de l’année 2000, KCI (KPMG Consulting Inc.), qui regroupe les activités de conseil nord-américaines de KPMG plus quelques autres filiales étrangères, entre en Bourse avec l’objectif d’intégrer notamment, par la suite, les équipes européennes. En définitive, KCI, qui a racheté récemment le pôle conseil d’Andersen (ex-Arthur Andersen) dans vingt-trois pays, n’est pas parvenu à fédérer toutes les équipes européennes de son ancien réseau. Cela explique, par exemple, le rachat en juin dernier de KPMG Consulting aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne par la SSII franco-néerlandaise Atos Origin. Le réseau pluridisciplinaire Deloitte Touche Tohmatsu est le dernier à s’être rallié à la séparation de ses activités de conseil et d’audit. En mai dernier, son conseil d’administration s’est prononcé en faveur de la transformation de Deloitte Consulting en société privée indépendante. Cette dernière sortira du réseau en début 2003 sous le nom de Braxton.

Une porte d’entrée sur les directions générales

Mais le rachat de PWC Consulting par IBM, s’il doit beaucoup à cette reconfiguration des grands cabinets, est aussi sous-tendu par une logique industrielle. Celle qui vise, pour une société de services informatiques, à associer conseil en stratégie et informatique afin de remonter dans la chaîne de valeur des prestations. Et à cibler ainsi les directions générales, de plus en plus détentrices du pouvoir décisionnaire en matière d’informatique. Une logique que l’on a déjà pu observer avec Cap Gemini et Ernst & Young, ou encore EDS et AT Kearney.A l’aune des données brutes, PWC Consulting amène dans l’escarcelle d’IBM Global Services un portefeuille de clients et de contacts dans les couches hautes de l’entreprise. IBM pourra ainsi dépasser le cercle des directions informatiques proprement dites. Le cabinet de conseil a notamment, selon le Meta Group, une expertise importante dans les processus métier sur quatre secteurs : pharmaceutique, pétrole et gaz, aérospatial et défense, et automobile. Or, malgré son importante taille, la crédibilité d’IBM Global Services dans le secteur du conseil en management restait insuffisante. “C’était une faiblesse d’IBM, assure Nicole France, consultante du Gartner. Même s’il est parvenu à construire peu à peu un pôle de consultants, les clients ne se dirigeaient pas naturellement vers Big Blue pour ce genre de prestations.” L’entité rachetée apporte également une expertise technologique liée aux progiciels de gestion intégrés ?” SAP notamment ?”, à la gestion de la chaîne logistique et à celle de la relation client. Un autre de ses points forts se trouve être le BPO (Business Process Outsourcing). “Une activité qu’IBM GS ne proposait que sous forme de petits contrats, souligne Julie Giera, du Giga Group. Avec PWC Consulting, IBM peut désormais envisager de concurrencer EDS sur ce secteur.”Quant aux modalités de l’intégration, “IBM Global Services, qui, pour l’heure, dispose de quatre entités services, a l’intention de regrouper l’une d’entre elles, BIS (Business Innovation Services), et PWC Consulting en une seule business unit pour les Etats-Unis, l’Europe et l’Asie. Elle sera conduite par des dirigeants d’IGS et PWC Consulting”, explique Dominique Cerutti. Il précise que la transaction est sur le point d’être réalisée et qu’elle sera suivie de l’étape du vote des associés de PWC Consulting dans chaque pays. “Nous procéderons à la création de cette nouvelle entité au quatrième trimestre de cette année, pour que celle-ci soit totalement opérationnelle au début de 2003.”Si cette fusion IBM-PWC est dans l’air du temps, elle répond aussi à une nouvelle demande des utilisateurs, devenus plus exigeants et moins dépensiers compte tenu de la situation économique. Ce qui signifie aussi que, à terme, les utilisateurs ?” notamment les DSI ?” exigeront une plus grande responsabilisation de la part de leur fournisseur de services dans la prise en charge d’un projet informatique, un interlocuteur unique et, certainement, le déplacement des responsabilités. Ce dernier pouvant déboucher, au final, sur un partage des bénéfices avec le fournisseur. Ce déplacement des compétences et de la responsabilisation dans la direction et la mise en ?”uvre d’un projet informatique tend à repositionner le prestataire dans la relation client-fournisseur en renforçant son rôle de partenaire économique.

Conseil et informatique, deux cultures difficiles à marier

Toutefois, et bien que séduisant sur le papier, ce type de mariage n’a, pour l’instant, pas répondu à toutes les espérances. La principale raison en est la confrontation des cultures entre consultants et ingénieurs ?” deux profils qui ont du mal à se comprendre. EDS et AT Kearney, par exemple, ne travaillent qu’occasionnellement ensemble. Cap Gemini Ernst & Young (CGE&Y) vient de revenir à une séparation des deux activités après avoir tenté l’intégration des deux métiers. “En se focalisant sur la vente de prestations à forte marge (le conseil ?” NDLR), CGE&Y avait un peu délaissé les prestations informatiques à plus faible valeur ajoutée”, analyse Nicole France. Pour IBM Global Services, qui a tout de même choisi la voie de l’intégration, il restera donc à trouver le mode de commercialisation adéquat et à ne pas trop bouleverser le mode de travail des consultants afin d’éviter les départs massifs.Autre souci du constructeur : la morosité du marché mondial des services informatiques. BIS, la division qui phagocyte PWC Consulting, est d’ailleurs la plus touchée par ce ralentissement. Elle a subi un déclin de 11 % au deuxième trimestre 2002 par rapport à la même période de l’année précédente. “C’est d’ailleurs la division qui génère la majeure partie des licenciements de cette année”, note Julie Giera, du Giga Group. L’hypothèse probable est que, au-delà de ses difficultés du moment dans les prestations d’intégration de systèmes, IBM a anticipé les préparatifs du rachat du cabinet de conseil. Un rachat dont la réussite reste également conditionnée à une reprise imminente de la demande en services informatiques.

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Clarisse Burger, Olivier Discazeaux et Xavier Biseul