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Fusionner la carte d’identité et la carte Vitale : pourquoi ce projet suscite la défiance

Risque pour les données personnelles, difficultés de mise en œuvre, réticences de l’Assurance maladie et des associations de défense des droits civils… Le projet de fusion de la carte d’identité et de la carte vitale fait polémique. Voici pourquoi.

Difficultés techniques, fortes réserves, stigmatisation des patients… Depuis que Gabriel Attal, le ministre des Comptes publics, a présenté lundi 29 mai le projet de fusionner la carte Vitale et la carte d’identité, un moyen de lutter contre les fraudeurs sociaux, les mauvaises nouvelles n’en finissent pas de tomber. Pourtant, expliquait-il dans les colonnes du Parisien, cette carte « deux en une » permettrait de lutter contre les prêts illicites de carte vitale, les détournements, voire le tourisme médical illégal. « Depuis cinq ans, nous avons désactivé 2,3 millions de cartes Vitale en surnombre », soulignait le ministre. La fusion permettrait aussi de faire des économies en coût de fabrication et en procédure.

La fusion ne ferait pas baisser la fraude sociale

Mais à peine la nouvelle était propagée qu’un premier nuage est apparu, venant de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Dans son avis publié mardi 30 mai, l’autorité en charge de la protection de nos données a rappelé que cette fusion « suppose qu’un motif d’intérêt public important la justifie et soit démontré ». De quel motif s’agit-il ? La CNIL écrit « qu’il conviendra de s’assurer que l’utilisation de la carte d’identité au lieu de la carte Vitale diminue effectivement les cas de fraude sociale »… ce qui n’est pas pour l’instant prouvé. 

https://twitter.com/CNIL/status/1663566459308593152

 

L’Assurance maladie (Ameli) va, elle, plus loin, dans son courrier du 3 avril adressé à l’Inspection générale des affaires sociales et des finances (l’Igas), chargée par le gouvernement d’évaluer l’idée de la carte Vitale biométrique, ainsi que la fusion entre les deux cartes. Le directeur général de la Caisse nationale de l’assurance maladie, Thomas Fatôme, émet de « très fortes réserves » sur ce dernier projet, estimant qu’il ne répond à aucun besoin. La fusion entre carte d’identité et carte Vitale n’aurait que peu d’effets dans la lutte contre la fraude. « Les montants de fraude susceptibles d’être liés à une utilisation frauduleuse de la carte Vitale (étant) minimes », la « plus-value en matière de lutte contre la fraude reste entièrement à démontrer », écrit-il.

Le rapport de l’Igas mis en ligne le 31 mai montre, en effet, que « la fraude détectée aujourd’hui est le fait des professionnels et établissements de santé pour environ les trois quarts des montants détectés, les assurés représentant environ un quart des montants frauduleux détectés ». La fraude en santé émanerait donc en majorité des professionnels de santé eux-mêmes, en dehors de tout recours à la carte Vitale. Des associations de défense des patients comme France Assos Santé estiment d’ailleurs que ce projet stigmatise les patients, « pour des fraudes avant tout professionnelles », peut-on lire dans leur communiqué du vendredi 2 juin. L’Igas précise aussi que « la fraude à l’usurpation d’identité est résiduelle en nombre de cas détectés (moins d’une dizaine par an) et en montant (quelques millions d’euros) ». En d’autres termes, rien n’indique pour l’instant que la fusion permettrait réellement de faire baisser la fraude sociale.

Le risque pour nos données personnelles

Deuxième problème, cette fusion comporte en elle-même des risques pour la vie privée et les libertés fondamentales. En fusionnant les deux cartes, toutes les personnes qui peuvent, aujourd’hui, accéder à notre carte d’identité, comme les fonctionnaires de police, de l’État civil, mais aussi les banques, les assurances, les agences immobilières, pourraient, en théorie, avoir aussi accès à nos données de santé.

Ce risque, qu’il faut encadrer, ne se justifie que si le projet permet de réduire concrètement les cas de fraude, un point qui reste à démontrer. Pour ce faire, la Cnil appelle à « la réalisation d’une étude technique, juridique et économique poussée » sur la mesure.

Les difficultés techniques pour séparer Santé et Identité

Troisième problème, et non des moindres : comment faire techniquement ? Comment fusionner la carte d’identité et la carte Vitale en s’assurant que les données sensibles qu’elles comprennent ne tombent pas dans les mauvaises mains ? L’idée serait d’ajouter le numéro de sécurité sociale à la carte d’identité, comme cela existe déjà en Belgique, au Portugal et en Suède. Cette possibilité a été préférée à la mise en place d’une carte Vitale biométrique, qui intégrerait les empreintes digitales de son propriétaire, jugée trop coûteuse et peu fiable.

La difficulté principale sera de réussir à séparer les données relatives à l’identité de celles relatives à la santé.  Le rapport de l’Igas a étudié les différentes options techniques. Il en a tiré deux solutions qui permettraient cette séparation.

  • Soit on intègre le numéro de sécurité sociale, appelé « NIR », dans le QR code présent au dos du nouveau format de la carte d’identité mis en circulation l’année dernière. Mais il suffirait d’obtenir une copie de ce QR code – via une photo ou une photocopie – pour que ce NIR soit accessible.
  • Soit on stocke le numéro de sécurité sociale dans un compartiment spécifique de la puce intégrée dans le nouveau format de la carte d’identité, de telle sorte que le numéro soit « caché » et visible seulement par les professionnels de santé soumis au secret professionnel. À ce sujet, la CNIL préconise « l’ajout dans la puce d’un container spécifique à l’assurance maladie, séparé de façon étanche de l’identité régalienne et lisible uniquement par les professionnels et établissements de santé habilités ».

L’autorité préconise cette dernière option, jugée « la moins intrusive et la moins risquée », sous réserve de respecter un nombre important de recommandations. Parmi elles, la possibilité, pour tous ceux qui le souhaitent, de ne pas demander cette carte fusionnée, qui serait donc facultative. Toute personne pourrait ainsi « s’opposer à l’inscription de son numéro de Sécurité sociale sur son titre d’identité ». Conséquence, « des alternatives à l’utilisation de la carte d’identité devront être maintenues ». De même, un assuré devra pouvoir bénéficier de la prise en charge par l’assurance maladie sans cette carte, et sans que cela conduise à une stigmatisation ou à une limitation dans son accès aux soins, écrit la CNIL.

Techniquement, cela signifierait qu’il faudrait mettre en place un nouveau format de carte nationale d’identité avec cette nouvelle puce – alors que la dernière mise à jour a à peine un an. Il faudrait aussi équiper les établissements de santé et les médecins de nouveaux lecteurs de carte.

Un chantier au long cours

Quand pourrait-on voir les premières cartes fusionnées ? Le projet devra d’abord passer par différentes étapes. Pour commencer, cet été, « une mission de préfiguration » sera lancée, a d’abord précisé Gabriel Attal, ministre de l’Action et des Comptes publics. Un communiqué du gouvernement a confirmé qu’une « mission d’inspection commune de l’IGA, l’IGF et l’IGAS sera lancée afin de travailler à la mise en œuvre technique et juridique de la fusion de la Carte Nationale d’Identité et de la carte Vitale ».

Cette mission devrait rendre un rapport d’ici la fin de l’année. Si ses conclusions sont positives, il faudra ensuite organiser la mise à jour des équipements, des procédures, les demandes de la carte fusionnée arrivant enfin au compte-goutte, lors du renouvellement de la carte d’identité (qui n’a lieu que tous les 15 ans) ou de la carte Vitale. Bref, la disparition de nos cartes vertes, ce n’est pas pour tout de suite.

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Source : Rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) mis en ligne le 31 mai 2023


Votre opinion
  1. Rappelons à notre “cher” ministre G. Attal que les principaux fraudeurs à l’Assurance Maladie ce sont les professionnels qui représentent à eux seul près de 80% des fraudes. Avant de pousser le bouchon du flicage à son paroxysme, invitons le à contrôler davantage les professionnels de santé.

  2. moi, j’aimerai connaître une chose…. combien à coûté à l’état le nouveau format de la carte d’identité…. enfin, combien cela à couté à chaque contribuable… et une fois de plus ce cher ministre prend une idée sans même calculer l’intérêt que la France aurait à modifier le système… sans doute d’inscrire son nom dans les grandes réformes française et de préparer sa prochaine éléction à la présidence.

  3. Je ne comprend pas pourquoi il y aurait des oppositions à cette fusion des 2 cartes. Monsieur le Directeur de la CPAM devrait justifier plus sérieusement son opposition. Si c’est pour le bien de notre pays pourquoi s’opposer. Il y a anguille sous roche et certains opposants doivent en tirer des profits. Il faut foncer et supprimer toutes ces fraudes qui nous coûtent cher. Bravo MR ATTAL continuez sur cette voie et j’espere que ce sera suivi d’autres lois pour stopper( Et tout le monde le sait) ces fraudes qui coûtent une fortune à notre France.
    Pour les opposants responsables, vous êtes contre car vous profitez du système mais demain vous serez devant un tribunal qui j’espère vous demandera de rembourser ce que vous avez volé aux contribuable Français.

  4. bonjour au lieu de modifier tout, pourquoi ne pas faire comme avec la carte banquaire faire valider au patient par un code personnel secret toute action de paiement

Les commentaires sont fermés.