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Et Rim créa le Blackberry…

Pionnier des téléphones intelligents, le canadien a su, à partir d’un terminal personnel sécurisé transformé en smartphone sophistiqué, conquérir le gratin des affaires et du show-biz, les gouvernements, et même les ados.

Barack Obama, l’homme le plus puissant du monde, n’a qu’une faiblesse : son Blackberry. Pas question pour le président de se séparer de son terminal portable, même si le petit appareil donne des sueurs froides aux services de sécurité des agences américaines. Dès son élection, le smartphone du 44e président des États-Unis a fait l’objet d’âpres négociations entre son illustre propriétaire et les services de sécurité. Pas suffisamment protégé pour la fonction présidentielle car reposant sur des technologies utilisées par des millions de personnes, l’appareil risquait d’être infiltré et de donner accès à des informations sensibles. Au final, Obama a obtenu gain de cause et a pu conserver son Blackberry, une fois l’activité de mails drastiquement réduite et sa sécurité repensée. Un formidable coup de publicité pour Research in Motion (Rim), le créateur du Blackberry.Avec près de 50 millions d’utilisateurs dans le monde, ce terminal e-mail à voix s’est érigé en phénomène de société, jusqu’à être rebaptisé aux États-Unis “ CrackBerry ”, en référence au crack, une drogue rendant particulièrement dépendant. La renommée du constructeur et de son appareil phare n’est donc plus à faire. Depuis le lancement de ses premiers assistants numériques personnels ultra-sécurisés intégrant messages électroniques et réseaux de données sans fil, l’entreprise canadienne a connu une croissance ininterrompue.L’homme à l’origine de cette épopée technologique, c’est Mike Lazaridis, né en 1961 à Istanbul de parents émigrés grecs installés en Allemagne. La famille Lazaridis débarque dans l’Ontario lorsque Mike a 5 ans. Enfant curieux et inventif ? il gagne un prix pour avoir lu tous les livres scientifiques de la bibliothèque municipale ! ?, le garçon rêve de construire des fusées pour la Nasa. À 18 ans, il entre à l’université de Waterloo où il s’inscrit au programme de génie électrique avec son ami d’enfance, Douglas Fregin. En 1984, les deux étudiants fondent Research in Motion, une entreprise d’experts-conseils en technologies et en informatique. Mike Lazaridis quitte l’université juste avant l’obtention de son diplôme, après avoir remporté un contrat avec General Motors pour développer un système d’affichage électronique sur ses lignes d’assemblage.

La messagerie mobile sécurisée

À partir de 1988, la jeune société développe des technologies pour la transmission de données sans fil – beepers, mails… – et dépose plusieurs brevets. Elle est pionnière dans ces technologies en Amérique du Nord. En 1992, Jim Balsillie rejoint Mike Lazaridis en tant que codirecteur général. Le sens des affaires du premier, allié aux prouesses technologiques du second, vont transformer la petite entreprise de dix employés en une société d’envergure internationale. Pour arriver à ce statut, il aura fallu l’invention d’un appareil communicant qui va donner une nouvelle dimension aux échanges de mails : le Blackberry. Conçu au départ comme un assistant numérique de poche (pager), le produit a vu le jour en 1998. Il était basé sur une technologie révolutionnaire qui permettait de recevoir et d’envoyer des e-mails en temps réel (le mode push) en s’appuyant sur les normes de télécommunications mobiles GSM et GPRS. Un système très efficient grâce à sa compression des données qui utilise un minimum de bande passante. Les touches de son clavier auraient été à l’origine de son nom – blackberry ou mûre en anglais – car elles faisaient penser à ces petits fruits. Sa conception est basée sur la technologie de l’Inter@ctive Pager, le tout premier appareil sans fil récepteur-émetteur portatif créé en 1996 par Rim. Le Blackberry devient vite l’outil indispensable des cadres branchés, dopé par l’engouement des dirigeants de 200 grosses sociétés américaines auxquelles Rim l’a offert gracieusement. La première année, 50 000 exemplaires sont ainsi écoulés, essentiellement dans le monde professionnel. Une belle percée pour le premier produit fiable à offrir la messagerie mobile. En 2002, un modèle plus perfectionné intègre un téléphone cellulaire et voit ses capacités d’e-mail développées. Plus d’un million de personnes utilisent bientôt le Blackberry, et l’on compte parmi elles les plus hauts fonctionnaires de l’État américain et le gratin des dirigeants d’entreprises. Ces derniers font confiance au niveau de protection élevé des transmissions sans fil assuré par les serveurs informatiques de Rim, qui cryptent tous les échanges de données entre le réseau local de l’entreprise cliente où est situé le BES (Blackberry Enterprise Server), le serveur de Rim, et le terminal Blackberry. Ce système de chiffrement, l’un des plus sécurisés du marché, a été éprouvé par l’Otan, le gouvernement des États-Unis et plusieurs autres nations. D’où sa popularité auprès des entreprises et des hommes politiques… comme Barack Obama.C’est pourtant contre cette sécurisation que plusieurs gouvernements s’élèveront quelques années plus tard, arguant de la difficulté de surveiller les communications. La crainte d’une utilisation à des fins terroristes ou criminelles de messages cryptés leur fait exiger de Rim les clés des verrous de protection. La polémique enflera au cours de l’été 2010, avec des injonctions de plus en plus pressantes de la part des gouvernements en Inde (1 million d’utilisateurs), en Arabie Saoudite ou aux Émirats arabes unis. En tout, six pays mettent la pression pour obtenir l’accès aux données utilisateurs (messages, fichiers, navigation Internet) hébergées sur ses propres serveurs au Canada et en Angleterre. Jusqu’à menacer de bloquer les services de messagerie du Blackberry dans leur pays. Rim, pour qui le développement passe par ces pays émergents, accepte de faire des concessions en installant des serveurs locaux pour permettre de surveiller les communications.

Un enjeu de sécurité nationale

En 2001, alors que la société est en plein essor, elle subit des poursuites de la part de New Technology Products (NTP) pour violation de brevets dans la technologie Blackberry. Condamné en première instance, Rim fait appel et la bataille judiciaire se prolonge jusqu’en 2006. L’entreprise joue sa survie dans cette affaire avec le risque d’être interdite de vente sur le territoire américain et de voir ses services interrompus. Trois millions d’utilisateurs américains, dont un million de fonctionnaires et de nombreux décideurs, se verraient alors privés du service de Rim.Devant cette menace “ qui pourrait aller jusqu’à mettre en jeu la sécurité nationale américaine ”, selon certains observateurs, la justice incite les deux parties à s’entendre. Rim accepte finalement de verser 612 millions de dollars à NTP qui, en échange, lui accorde le droit de poursuivre les services Blackberry aux États-Unis. L’entreprise canadienne peut alors continuer à vendre ses produits et affermir sa position en Amérique du Nord. Dans le même temps, elle surveille attentivement l’intrusion de concurrents sur ce marché porteur, notamment à l’époque Microsoft, avec Windows Mobile, et Palm.Durant toute cette période, Rim poursuit sa croissance à travers le monde : implantation de bureaux en Europe et en Asie, accords avec de plus en plus d’opérateurs de téléphonie mobile. En 2003, la société lance la solution Blackberry Connect, qui permet à d’autres fabricants de mobiles d’intégrer l’environnement Blackberry à leurs appareils. Elle noue des partenariats avec des fabricants de téléphones et d’assistants personnels comme Nokia, Motorola, Symbian, HTC, Palmsource, Sony Ericsson… De quoi alimenter en technologie Blackberry un volume toujours plus important de téléphones mobiles. Le fabricant concentre également ses efforts sur l’élaboration de nouveaux modèles à destination du grand public.Côté design, la couleur fait son apparition, l’appareil devient plus compact (modèle Pearl). Les nouvelles gammes séduisent ainsi près de deux millions d’utilisateurs dans le monde en 2004, un chiffre qui va doubler en un an. Après 20 ans d’existence, Rim se pose comme une référence sur le marché des smartphones et de la sécurisation des messageries mobiles. Le gouvernement des États-Unis est l’un de ses plus gros clients. Les personnalités du show-business se l’arrachent… et contribuent à sa promotion.En 2008, Rim dégaine son premier smartphone à écran tactile, le Blackberry Storm, destiné à contrer l’iPhone auprès du grand public. Une vraie révolution puisque le constructeur abandonne son classique clavier. Pourtant le succès est mitigé face à un concurrent furieusement tendance et technologiquement à la pointe de l’innovation. Qu’à cela ne tienne ! Deux nouveaux modèles vont booster ses ventes l’année suivante. Désignée par le magazine Fortune comme l’entreprise à la croissance la plus rapide dans le monde en 2009, Rim balaie les critiques et affermit sa réputation. En mai 2010, la société atteint pour la première fois la quatrième place du classement des fournisseurs mondiaux de téléphones mobiles, selon IDC. Il doit cette performance au succès de ses dernières productions, le Blackberry Curve 8520 ? smartphone le plus vendu aux États-Unis au 2e trimestre 2009 devant l’iPhone 3G S ? et le Blackberry Bold 9700. Une consécration pour le constructeur canadien qui affiche plus de 10 millions de ventes au premier trimestre 2010 et a passé la barre des 110 millions de Blackberry vendus en onze ans. Il double ainsi ses concurrents, Motorola et Sony Ericsson, mais reste encore loin derrière Nokia, Samsung et LG. L’entreprise fait une belle percée sur le marché grand public, mais selon certains observateurs comme le Gartner Group, ses ventes devraient évoluer à un rythme inférieur à celui du secteur des smartphones.

Sur la voie du tactile

Difficile en effet de s’attaquer aux modèles haut de gamme qui ont les faveurs du grand public, comme ceux d’Apple ou de Google Android… qui commencent même à s’imposer pour des usages professionnels. Rim poursuit ses développements et compte bien continuer à afficher des ventes record, notamment grâce à son dernier-né, le Blackberry Torch, et à son nouveau système d’exploitation Blackberry 6 ? en 2010, l’OS de Black-berry se positionnait comme la troisième plate-forme mobile sur le secteur des smartphones, avec 17,5 % de parts de marché, derrière Symbian (40,1 %) et Google Android (17,7 %). Attendue également, sa tablette tactile professionnelle destinée à concurrencer l’iPad. Le Play-Book, tel est son nom, arrive aux États-Unis et sera commercialisé dans les autres pays au cours du deuxième trimestre 2011. Un nouveau défi, technologique et commercial, pour prolonger l’histoire de Rim, plus solide que jamais.

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Frédérique Crépin