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Demain, je lève le bas

Les pontes de Thomson-CSF ont décrété que le vendredi tout le monde se dirait tu et tomberait la cravate.

La nouvelle économie étant finalement un concept assez insaisissable, il convient, un instant, de revenir à des choses tangibles. Au premier regard, qu’observe-t-on ? Bon, bien sûr, il y a des gosses de 10 ans qui apportent des baladeurs MP3 à la cantine, mais, dans l’ensemble, la nouveauté de l’époque ne saute pas franchement aux yeux : les routiers en grève, les taxis sales qui râlent, les classes surchargées, la queue à Auchan le samedi après-midi, le quatrième contre-choc pétrolier, bref un vieux film français qui passe en boucle.Heureusement, dans les entreprises, tout change. Depuis qu’on sait que Steve Jobs a redressé Apple en allant pieds nus au bureau et en mangeant du soja, depuis que Jeff Bezos, le PDG qui a fait fortune en accumulant 2 milliards de dollars de dettes, vient à Paris sans cravate, depuis que le moindre patron de start-up enlève la veste et lève des millions, plus personne n’a envie de s’habiller comme Balladur.Evidemment, vous me direz, nous avions déjà Michel Field et José Bové pour montrer le chemin de la libération vestimentaire. Et, à Paris, les créatifs des agences de pub viennent en sandales depuis longtemps pour justifier leur salaire. Mais, là, avec la nouvelle économie, on franchit une étape supplémentaire.Regardez par exemple Thomson-CSF, une entreprise discrète qui fabrique des missiles. La direction décrète cet été que, désormais, les salariés pourront venir le vendredi en tenue décontractée et que, ce jour-là, baptisé Friday wear, tout le monde se tutoierait. On voit aussi le Medef rassembler à son université d’été les présidents Seillière, Bon, Riboud et plein d’économistes sérieux pour parler du “cinquième Kondratieff” et de l’e-démocratie. Sous l’Ancien Régime, ces gens-là seraient montés à l’estrade avec, dans le meilleur des cas, une cravate avec des petits lapins dessus. Maintenant, adieu rayures, adieu blazers, adieu pochettes. Le patron moderne est cool, chemise ouverte, chaussures bateau, pantalon toile.C’est fou d’ailleurs comme on s’habitue vite. Après le Friday wear, on a déjà envie du Monday shave, où l’on viendrait avec la barbe du week-end, du Tu-Tuesday où tout le monde se dirait “tu”, du Kiss Wednesday, où on se ferait tous quatre bises le matin et le soir. Le jeudi, juste avant de prendre sa demi-journée de RTT, on pourrait faire Game Day, Baby-Foot, tarot, Nintendo, au choix selon les âges. Et, une fois par an, Jack Lang pourrait nous organiser une Journée nationale du business cool. Les JNBC, une sorte de Gaypride des affaires, de Woodstock du VIIIe arrondissement, de JMJ pour managers. Le truc, c’est sûr, blufferait les Américains qui croient encore qu’on fait du Minitel. On pourrait organiser la parade début juin, juste après les ponts. Imaginer des slogans puissants, genre “Dénouez les cravates, dénouez les idées”, “Demain, je lève le bas”, ou “Le tee-shirt au bureau, mieux costard que jamais.”On s’assoirait en réseau sur l’esplanade de la Défense, Palm dans la poche, Wap à la ceinture. J2M viendrait avec une barbe de trois jours. Michel Bon, avec sa casquette Nike à l’envers, commencerait sa présentation PowerPoint en disant : “My name is Good, Michael Good, just call me Mike.” Ce serait trop cool. On chanterait Les Mots bleus version Bashung et on financerait le tout en vendant plein de tee-shirts noirs 100% coton, fabriqués en Chine, avec marqué dessus : “Fuck 35 heures.” Chiche ?

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Eric Meyer