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Comment vivre sans la cote

De nombreuses sociétés déçues par la Bourse divorcent d’avec le financement public. Elles ont alors recours aux ” Pipe “. Explications.

Les dirigeants de Fastnet, une PME américaine installée à Bethlehem, en Pennsylvanie, auraient bien aimé acheter l’un de leurs confrères. Dans le domaine d’activité de Fastnet, l’accès à internet notamment, “ nous voyons aujourd’hui de belles occasions “, assure Stanley Bielicki, le directeur financier de la société.

De belles endettées

Depuis avril 2000, lors du krach du Nasdaq, de nombreux titres ont dérapé, au point de devenir bon marché. Mais, ajoute Stanley Bielicki, “ces sociétés sont lestées de dettes et elles réclament du liquide “. Fastnet, qui accuse 7,9 millions de dollars (plus de 8,6 millions d’euros) de pertes au premier semestre, n’a pas vraiment les moyens de payer. Et il n’est pas non plus question de recourir à une augmentation de capital pour renflouer ses coffres : les investisseurs traditionnels ne se montrent plus intéressés par ces poussières de titres, souvent inférieurs au dollar.Alors que faire ? Dernière alternative, le Pipe (Public Investment for Private Equity) permet de lever de l’argent frais. Cette formule, qui s’apparente à une augmentation de capital réservée, n’implique pas forcément un delisting ?” une sortie de la cote. Mais ce cas extrême se produit néanmoins. Aux Etats-Unis, on appelle cela le ” P to P “, ou encore ” Public to Private “. Il ne s’agit pas là d’un rachat secondaire d’actions. Dans ce cas, le noyau dur obtient facilement plus de 30 % du capital et décide de sortir de la cote. En clair, la société vend à un investisseur privé une partie de ses actions préférentielles, qui seront convertibles plus tard en actions courantes, a un prix discount. C’est ce qu’est en train de réaliser Fastnet. Le temps de lever 5 millions de dollars auprès du fonds d’investissement Edison Venture, la société pourra faire ses emplettes.

Un outil à la mode

Sur la niche que constitue le Pipe, les financiers sont toujours d’attaque et prêts à ouvrir leur portefeuille. ” Cet outil est à la mode aujourd’hui, reconnaît l’avocat d’affaires Bill Whelan, du cabinet de Boston Mintz Levin Chon Ferris Glovsky and Popeo. Le Pipe est souvent populaire quand l’économie connaît un ralentissement.” Car les banques ou les fonds d’investissements disposent toujours de beaucoup d’argent et apprécient les rabais usuels de 10 à 15 % offerts sur la valeur des titres. ” Les banquiers, conclut Bill Whelan, ont perdu leur appétit pour les introductions. ” Sur les six premiers mois de l’année, le nombre d’entrées en Bourse s’est contracté de 80 %. Les augmentations de capital n’ont pas non plus les faveurs des opérateurs. En revanche une entreprise dont la capitalisation reste modeste, très sous- évaluée, leur paraît toujours alléchante… à un tarif discount. Parole de Richard Rosenblum, représentant du fond VF Finance capital, grand amateur de Pipe. ” Nous avions investi en actions convertibles 7,5 millions de dollars dans Shopping.com pour garder l’électricité dans les bureaux “, se souvient-il. Un an après, Compaq rachetait la société 300 millions de dollars. Et le banquier empochait au passage 100 millions de dollars.Si les histoires de Pipe ne sont pas toutes aussi juteuses, les gains sont suffisants pour attirer de plus en plus de monde. Ainsi, en 1999, alors que les introductions en Bourse atteignaient des sommets, les opérations Pipe ne pesaient que 10,1 milliards de dollars, estime-t-on chez Directplacement, une entreprise californienne spécialisée. Un an plus tard, avec la fermeture des robinets boursiers, l’appel aux Pipe a explosé, pour atteindre près de 24 milliards de dollars. Cette année encore, les affaires sont au beau fixe : jusqu’à présent, quelque 7,85 milliards de dollars ont été investis en Pipe.

Action rapide, frais réduits

Les petites entreprises étranglées en redemandent. Car la transaction se fait très rapidement, souvent dans les quinze jours, et les frais des intermédiaires sont réduits. De l’autre côté de la barrière, les investisseurs accourent. ” Autrefois, le créneau des Pipe était une niche, reconnaît Henry Duong, vice-président de Directplacement. Mais maintenant que les introductions en bourse se sont réduites, d’autres joueurs plus connus sont apparus sur le marché.”La banque Goldman Sachs, Crédit Suisse First Boston, Salomon Smith Barney, de grands fonds mutuels comme Franklin Templeton ou Fidelity avancent les fonds des Pipe. On a même vu des géants de l’industrie se piquer au jeu : cette année, Microsoft a investi 10 millions de dollars dans la société Audible. Et Sun a placé 3 millions de dollars dans Insignia Solutions fin 2000.Selon les chiffres réunis par Directplacement depuis 1995, les premiers amateurs de Pipe sont les entreprises télécoms, qui ont généré 35,2 milliards de dollars d’opérations. Juste derrière viennent les compagnies internet (18,76 milliards de dollars) puis les sociétés pharmaceutiques (14,37 milliards de dollars). À l’origine, les Pipe, conclus avec quelques investisseurs privés, étaient compris entre 10 et 20 millions de dollars. Pourtant, le spécialiste des semi-conducteurs ON Technology vient de récupérer quelque 100 millions de dollars auprès de Texas Pacific Group. Le Pipe… line s’élargit.

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Hélène Puel et Caroline Talbot à New York