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Une députée veut geler le volet répressif de la loi Hadopi

Muriel Marland-Militello ne veut pas de déconnexion des pirates tant que l’offre légale n’est pas labellisée. La députée UMP des Alpes-Maritimes s’explique.

Après des mois de polémiques, la réponse graduée est en place. C’est curieusement le moment choisi par Muriel Marland-Militello pour la remettre partiellement en question. Dans une lettre ouverte publiée sur son site, la députée UMP des Alpes-Maritimes demande le gel de la deuxième phase du dispositif de la loi Hadopi, qui prévoit l’envoi d’un courrier recommandé aux internautes suspectés de piratage après un premier avertissement. Explications (1).

01net. : La mise en place de la réponse graduée a été longue et laborieuse. Alors que tout semble aujourd’hui en place, vous suggérez de suspendre la deuxième phase de ce dispositif. Pour quelle raison ?
Muriel Marland-Militello : La mise en place de la réponse graduée n’a pas été laborieuse. Elle a certes été un peu longue car la Hadopi voulait que le dispositif soit totalement peaufiné avant de le lancer. Elle a d’ailleurs eu bien raison. Tout n’est justement pas en place.
Pour ce qui est de la lutte contre le piratage des œuvres culturelles, la mission de la Hadopi est double. D’une part l’encouragement du développement de l’offre légale, notamment par la labellisation, et d’autre part la réponse graduée. Tout ne sera prêt que lorsque ces deux aspects seront effectifs. S’agissant du développement de l’offre légale, il faut se hâter, dans l’intérêt des créateurs et des internautes.

Pourquoi cette prise de décision maintenant, alors que la Hadopi a commencé à expédier les avertissements début octobre ? Cela donne l’impression d’un reniement de la loi… N’est-ce pas une réaction à son impopularité auprès d’une partie des internautes ?
Aucun reniement, bien au contraire. J’ai toujours dit que la Hadopi ne réussirait dans sa mission de lutte contre le piratage que s’il existe une offre légale de qualité attractive et abordable. Vous pouvez relire le rapport que j’ai rédigé en tant que rapporteur sur le projet de loi Création et internet.
La démarche voulue par le législateur est équilibrée et pédagogique, bien loin des caricatures que certains ont voulu en faire en présentant cette loi comme liberticide. Passer à un cran supérieur de la réponse graduée ne me paraît pas conforme à cet équilibre tant que les premières offres légales labellisées n’auront pas vu le jour.

Ne craigniez-vous pas de réduire à néant l’aspect dissuasif de cette loi ? Que fait-on des internautes pris en faute après le deuxième avertissement ?
Pas du tout. L’aspect dissuasif de la loi existe. Il a déjà porté ses fruits et n’a pas besoin de sanction immédiate pour être efficace. En effet, la philosophie qui sous-tend les lois Hadopi est pédagogique et consiste à «&nbspdésinciter » le piratage au profit de l’utilisation d’une offre légale crédible. J’ai d’ailleurs renforcé la dimension pédagogique de la loi en faisant adopter plusieurs amendements.
Enfin, j’ajouterai que pour les pirates pour lesquels la pédagogie de la Hadopi ne suffit pas, qui s’obstinent à pirater massivement (pour en faire commerce, par exemple) ou qui utilisent d’autres techniques de piratage que le téléchargement sur des réseaux de pair à pair, la sanction pénale pour contrefaçon est toujours possible.

Quelles sont les conditions que vous posez au rétablissement de la deuxième phase de la réponse graduée ?
Comme je vous l’ai déjà dit, j’attends que les premières offres légales labellisées [dont le décret définissant les modalités vient d’être publié, NDLR] voient le jour, avant de pouvoir passer à la deuxième phase de la réponse graduée (envoi des courriers recommandés).
Ensuite, je fais totalement confiance à la Commission de protection des droits, organe en charge de la réponse graduée, pour apprécier quand l’offre légale sera suffisamment accessible et qualitative avant de mettre en œuvre la troisième et dernière étape de la réponse graduée, dans l’esprit pédagogique et ouvert qui a présidé à la naissance de la Hadopi.

Vous demandez aux industries culturelles des engagements plus forts en faveur de l’offre légale. Que suggérez-vous ?
J’attends que les industries culturelles jouent vraiment le jeu. Le législateur, sous l’impulsion du président de la République, a pris ses responsabilités et a mis en place un dispositif pour protéger les droits de propriété intellectuelle, nécessaires à la pérennité de la culture et de la création artistique. Les industries culturelles ne doivent pas tout attendre de l’Etat ou de la Hadopi. Si elles ne mettent pas en œuvre les conditions pour que la Hadopi fonctionne (l’offre légale), elles ne pourront s’en prendre qu’à elles-mêmes.
Pour ne prendre qu’un exemple : la mise en place des DRM pour la musique prévue par la loi Dadvsi était l’exact opposé de ce qu’il faut faire : en faisant cela, les industries culturelles ont accentué le piratage. A l’heure actuelle, je crois qu’un effort pourrait encore être fait au niveau des prix de vente, notamment pour les nouveautés.

Vous avez proposé (avant de le retirer) un amendement au projet de loi de finances visant à augmenter le budget de la Hadopi. Pourquoi ?
Le but de cet amendement était de rappeler deux choses. Tout d’abord, la Hadopi a une mission ambitieuse : mener une révolution éthique et culturelle. Soit la Haute Autorité fait parfaitement et réussit tout de suite, soit elle ne réussira jamais. Deuxièmement, je rappelle que la réussite de la Hadopi passe par l’existence d’une offre légale de qualité et abordable, sans quoi une guerre technologique est à craindre. Il est donc impératif de prévoir tout de suite les crédits nécessaires pour endiguer l’hémorragie culturelle liée au piratage. J’ai obtenu des assurances de la part de la Hadopi, notamment de Mme Marie-Françoise Marais [la présidente de l’autorité, NDLR], que ces points seront parfaitement pris en considération, même sans rallonge. J’ai donc logiquement retiré mon amendement.

Votre demande de geler une partie de la réponse graduée a-t-elle une chance d’aboutir ou est-ce une prise de position symbolique ?
Ce n’est pas une prise de position symbolique. C’est le rappel de l’esprit dans lequel la loi a été élaborée et dans lequel la Hadopi doit continuer de fonctionner.

Savez-vous quand les premières labellisations pourraient apparaître ?
Cette question est du ressort de la Hadopi. Le plus tôt sera naturellement le mieux. En tout cas, mon intervention ne pourra que rendre plus rapides les premières labellisations, dans l’intérêt des créateurs et des internautes.

(1) Propos recueillis par courriel le 17 novembre 2011.

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Propos recueillis par Stéphane Long