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Start up : votre culture dominante vous permet-elle de fidéliser vos collaborateurs ?

François, Robin et Fred ont créé leur Web agency alors qu’ils étaient en troisième année de leur école de commerce. Aujourd’hui, ils ont su développer un…

François, Robin et Fred ont créé leur Web agency alors qu’ils étaient en troisième année de leur école de commerce. Aujourd’hui, ils ont su développer un service original, séduire une trentaine de clients prestigieux, créer de nouvelles applications, ouvrir plusieurs bureaux en Europe. Pour financer leur hypercroissance, ils ont aussi obtenu la confiance d’un groupe d’investisseurs. Ils préparent leur introduction en bourse, à la fois fin d’une première aventure et début de la suivante. La question que chacun se pose à leur sujet – et cela dans leur agence comme chez leurs partenaires financiers ou commerciaux – concerne l’avenir de leur entreprise. Peut-on leur faire confiance sur la durée ?
Ces trois créateurs sont typiquement des ” vendeurs “. Ce que, outre-Atlantique, on appellerait des ” hype people “. Car on rencontre couramment dans les start up deux types de développeurs : les ” vendeurs ” et les ” artisans “. Les vendeurs savent à la fois attirer des compétences autour des projets, trouver des clients, bâtir des business models séduisants et exposer avec un bel aplomb, au fil d’interviews ou d’exposés, des prévisions de clicks et de pages vues à faire pâlir madame Soleil et propres à appâter les investisseurs.
Et puis il y a les ” artisans ” : ingénieurs, concepteurs ou designers, mais aussi graphistes, réalisateurs et gestionnaires. Bref, ceux qui mettent en ?”uvre les promesses faites par les ” vendeurs “.
Tous ceux-là travaillent dans le concret. Sans eux, point de nouveaux logiciels, point d’innovation, point de sites, point d’embauches, point de factures. Mais, sans les ” vendeurs “, point d’argent pour les faire travailler. Vendeurs et artisans sont donc condamnés à s’entendre. Même si les artisans se méfient de ces vendeurs (de vent ?) qui les enferment souvent dans des délais intenables et ne semblent penser qu’à gagner plus d’argent, et plus vite. Et même si les vendeurs souhaitent que les artisans soient plus souples, moins à cheval sur leurs principes techniques, plus rapides à interpréter des ” briefs ” un peu vagues. Bref, moins demandeurs de clarté, de précision et de cohérence. Si, parmi les artisans, certains ” techniciens ” se font mieux respecter que les autres, ils parviennent rarement à imposer leur modèle culturel.
Bien sûr, cette opposition caricaturale entre ” vendeurs ” et ” artisans ” ne date pas d’hier : nos entreprises traditionnelles françaises vivent depuis belle lurette ce choc des cultures. Ce qui n’est pas traditionnel dans les entreprises de la nouvelle économie, c’est le tour que prend ce mariage de cultures et la simultanéité de celui-ci avec plusieurs autres facteurs : le risque ambiant, l’accélération des rythmes, la rareté des compétences pointues, le mode de motivation des générations montantes.
Première originalité : les ” vendeurs ” ont souvent dans les start up un pouvoir prédominant – ils sont souvent à l’origine de l’entreprise – parce qu’ils savent générer les ressources indispensables à l’artisan le plus génial : écrire une stratégie marketing ; lever des capitaux à un niveau jamais égalé par le passé dans des entreprises de cet âge et de cette taille ; et enthousiasmer les employés autour de projets de croissance pour attirer les meilleurs en les payant moins qu’ailleurs. Il leur arrive donc de cumuler les trois sources de légitimité habituellement réparties dans les entreprises traditionnelles entre les hommes de marketing et de commerce, les financiers et les ressources humaines.
Deuxième originalité : ce pouvoir porte en soi ses limites. La loyauté des collaborateurs sur la durée en est la pierre de touche. Elle est particulièrement fragile dans un contexte de rareté des compétences, et du fait que l’offre de stock options s’est banalisée, conduisant les meilleurs des collaborateurs à chercher d’abord un lieu où ils puissent s’épanouir. Or, peut-on vraiment s’épanouir quand on est managé en fonction de valeurs qui ne sont pas les siennes : la course à la taille, la vitesse de réaction, la satisfaction des demandes parfois absurdes du client… plutôt que le travail bien fait, l’originalité d’une solution approfondie, la fierté d’une architecture innovante. Les ” artisans ” ne se sentent pas toujours bien managés par des ” vendeurs ” qui les regardent davantage comme des ressources que comme des partenaires. En période d’inflation des offres d’emploi, le divorce peut être brutal. L’un des défis des dirigeants de start up est la prise de conscience de cette difficulté des ” vendeurs ” à fidéliser sur la durée les ” artisans ” indispensables à la croissance. Beaucoup vont devoir faire évoluer la culture de leur entreprise – dont ils n’ont souvent pas conscience puisque c’est la leur ! – vers un modèle culturel assez différent. Un modèle qui réhabilite la nécessité de cadrer précisément les demandes, l’intérêt de prendre le temps de partager l’expérience, l’utilité des plages fixes de coordination, l’identification clarifiante des responsabilités. Un modèle qui permettra à l’entreprise de cro”tre sans se désagréger, dans un mode d’organisation appelé outre-Atlantique ” scalable “. Un modèle que des ” artisans ” élevés au rang de managers ou des ” vendeurs ” plus expérimentés sauront diffuser.
C’est au prix de ce renoncement à la culture originale – plus douloureux à consentir pour un créateur qu’il n’y para”t – que ces entreprises pourront acquérir leur robustesse. Quant aux dirigeants animés à la fois du talent des ” vendeurs ” et des vertus des ” artisans “, ils auront reconnu au fil des lignes les pulsions contradictoires qui les habitent. Reste à en réaliser l’équilibre…

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runo de Courrèges, président de Sustainable, cabinet de conseil en management de la croissance