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[Spécial Taiwan] Dans les coulisses de la dernière usine de cartes-mères de l’île

Direction Nan-Ping à Taiwan, où nous avons visité la toute dernière usine de cartes-mères de l’île. Des ouvriers plutôt bien traités, des locaux à taille humaine… Nous sommes loin des ville-usines de la Chine continentale.

Les groupes taïwanais sont les champions incontestés de la production de cartes-mères : Foxconn, Asus et consorts sont à l’origine de plus de 80% de la production mondiale. Mais contrairement au Camembert ou au Cognac, il n’existe pas d’appellation d’origine contrôlée ou d’indication géographique protégée pour l’électronique. Aussi, si le savoir-faire vient bien de l’île, l’essentiel de la production à lieu en Chine continentale. A Taiwan, il ne resterait plus qu’un seul endroit qui produise encore ces grosses pièces informatiques : l’usine Gigabyte de Nan-Ping.

Une bonne heure de bus à l’ouest de Taipei sied le site de Nan-Ping, un gros blockhaus gris et vert-de-bleu opérationnel depuis l’an 2000. La rue ne paie pas de mine avec ses quelques petits bâtiments en travaux. Une fois dans la salle de réunion à l’étage, on aperçoit même maisons et rizières. On est loin du gigantisme chinois des zones comme Shenzen ou Wuxi (près de Shanghai) ou les usines de 10.000 personnes appartenant à Panasonic, Sony et Nikon s’étalent à perte de vue. Nan-Ping, c’est « seulement » 1.220 employés et 300.000 pièces par mois. Une goutte d’eau dans l’océan de la hi-tech, mais néanmoins la fierté des gens de Gigabyte.

Après la réunion de présentation, la visite. Une visite sous escorte  bien sûr – on ne se promène pas où on veut sur un site industriel, en France comme à Taïwan – mais nos cerbères sont plutôt laxistes : on ne subit aucun regard inquiet ou furieux lorsqu’on se retrouve à la traîne, on peut sourire ou dire nihao à un employé, bref se comporter comme un touriste en goguette. Les travailleurs, en majorité des femmes, s’amusent parfois de notre présence et nul ne prend ombrage du temps que l’on peut faire perdre en bloquant le passage d’un chariot : la discipline de l’industrie est là – n’en doutons pas – mais le knout ne semble pas de mise ici.

L’âge de ces employés semble coller au diagramme fourni par la direction qui affirme que plus de 70% des employés ont plus de 10 ans de maison. Les visages adultes et les gestes assurés des travailleurs finissent de nous convaincre sur ce point, même s’il aurait été (très) intéressant de pouvoir jeter un coup d’œil dans les 3 autres usines de Gigabyte sur le continent Chinois. Un pays où les pratiques patronales sont bien plus sulfureuses qu’ici à Taiwan…

Dans ces locaux propres à l’allure un peu datée, les larges et puissants néons remplissent parfaitement leur rôle de pourvoyeur… de la lumière la moins sexy du monde. L’ambiance de travail studieuse est rythmée par l’arrivée des composants et leur manipulation par les différents opérateurs. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’industrie informatique n’a pas encore réussi – ou eu besoin – de tout automatiser.

Si les cartes avancent sur des tapis roulant, les actions manuelles sont très nombreuses, comme le contrôle à l’œil que les ouvriers réalisent en observant les points sensibles de la pièce au travers d’un simple cache en plastique, après que les machines aient placé les premiers composants. Ou encore pour placer les plus gros éléments, comme les prises USB, des pièces trop grosses pour être manipulées efficacement par des machines. Finalement, le banc de test des cartes mères est là encore entièrement manuel – « 100% des cartes mères qui sortent de notre usine sont entièrement testées », s’enorgueilli (à juste titre) un officiel de Gigabyte. Ce service qualité explique donc en partie cette réputation de fiabilité dont bénéficie la marque dans le milieu du PC à monter soi-même.

Que retenir de cette visite ? Une chose avant tout, la volonté de l’industrie hi-tech d’aller vers plus de transparence, et de nous convaincre que les ouvriers taïwanais sont bien traités. Il n’est jamais trop tard, mais quel est l’intérêt à l’heure où la production des cartes-mères n’est plus aussi stratégique et confidentielle que par le passé ? Quant à la transparence, si un outsider comme Gigabyte a fait montre d’une grande souplesse et s’est prêté au jeu, le lendemain de notre périple à Taïwan, Asus nous interdisait de prendre la moindre photographie de ses bancs de test, comme si – et c’est peut-être le cas – ces machines relevaient du grand secret industriel.

Nous retiendrons aussi l’ironie de la situation : Taiwan, puissance asiatique industrielle qui a fait du mal à la Vieille Europe, se trouve aujourd’hui au bord d’une lente désindustrialisation, parce que concurrencée par une Chine continentale qui fait la pluie et le beau temps partout, y compris juste à côté de chez elle. À quand le Ministère du redressement productif Made in Taiwan ?

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En vidéo : Reportage au coeur d’une usine taïwanaise

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Adrian Branco (envoyé spécial)