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Silicon vannée

En Californie, les premiers signes d’une e-déprime se font sentir. Les techno-cadres vont en forêt pour faire du feu avec des silex.

Autant le dire tout de suite. La fête est finie. La grande fête de l’internet, les semaines folles du e-business, la techno-récré que nous avons connue jusqu’au printemps et qui avait fait flamber la cote du CAC, du Nasdaq… et du Chirac. Terminée. Game over. Là, tenez, je reviens de New York et, dans l’avion, on sent monter le règlement de comptes…Un capital-risqueur (polo Ralph Lauren, business class, troisième coupe de champagne) : ” T’as vu Fabrice et son site d’enchères en ligne ? 100 millions de francs ” cramés “en un an, tout ça pour trouver trois clients qui vendent des chaises Ikea trouées sur le Net. Dire qu’il y a un an il affirmait que ça valait 1 milliard. Arnault l’a dégagé vite fait, le jeune mulot. “Un créateur de start-up (classe éco) : ” Tu les as bien financés, toi, les jeunes fous comme lui ? ” Le capital-risqueur : ” Moi ? Jamais. On a été prudents. Mais j’ai vu les dossiers du camarade Bernard, chez Financeo. Les gamelles qu’il va se payer ! Tous ses sites de B to C, par exemple : plantés. “Un consultant (lisant le Wall Street Journal sur son Palm de fonction) : ” Le B to C ? C’est carrément dead. À tous mes gars qui sont partis il y un an pour fonder leur start-up et qui reviennent me voir aujourd’hui, je dis : ” B to C ? Back to consulting. B to B ? Back to banking. Incubateurs ? Incinérateurs. “Un chasseur de têtes (chemise en jean style Steve Case, cognac) : ” Et ceux qui veulent revenir, tu les reprends ? ” Le consultant (quatrième verre de champagne) : ” Faut voir. Tu comprends, leur capacité à s’investir dans un nouveau projet de carrière n’est pas évidente. Ils doivent faire le deuil de leur expérience. Les gars sont à bout, tu sais. Leur boîte ne vaut plus rien. “Le capital-risqueur (rire fier) : ” Ils ont les valises, pas les valos… Tenez l’autre jour, j’ai entendu un e-manager un peu usé répondre à son boss qui lui demandait s’il voulait des options : “Oui, mais moi, c’est toit ouvrant et jantes alu. ” “La situation, effectivement, est grave. Dans la Silicon Valley, on observe chez les techno-cadres les premiers symptômes d’une e-déprime. Deux heures d’embouteillages matin et soir pour aller passer sa journée à cliquer sur une souris dans un open-space climatisé, 1 million de dollars minimum pour acheter une maison préfabriquée à Santa Clara et 50 dollars pour déguster un T-Bone saignant avec un verre de rouge du Chili passent encore quand le Nasdaq va bien, mais quand il plonge…D’autant que, en ville, l’ambiance se détériore. À San Francisco, les habitants commencent à s’énerver à force de voir les jeunes stars de la high-tech débouler en short en Lycra moulant sur leur VTT 21 vitesses à 2 000 dollars. Les loyers flambent, les petits artisans sont chassés, on frise la révolte des Canuts, vive le commerce, à mort l’e-commerce, à bas les serveurs, vive les serveuses. Les psys doivent lutter contre de curieuses nouvelles affections comme le syndrome de la richesse subite (que faire avec 100 millions de dollars ?) ou celui, inverse, dit de la pauvreté subite (ah ! si seulement j’avais vendu à temps…). Certains techno-managers particulièrement secoués fuient carrément la vie en ligne et s’en vont passer des week-ends ” âge de pierre ” en forêt où ils apprennent à faire du feu avec des silex. Ils invitent leurs amis à des soirées poésie sans électricité et retournent à des écrits fondamentaux comme La Fabrication du couteau chez les Navajos ou La Lettre de la technologie primitive.D’autres vont promener leur chien sans emporter leur Palm Pilot. Mais personne n’a encore vu Bill Gates aller jouer aux billes sur le trottoir en fredonnant : ” Un jour sans modem, oh que j’aime ! La vie sans GSM, tel est mon stratagème. Sans Windows, je vois la vie en rose… “Le jour où cela arrive, je vous préviens, je vends illico toutes mes actions du Nasdaq et je rachète de l’Air Liquide et du Peugeot.

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Eric Meyer