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Quand les annonceurs se fondent dans le décor

Dans un climat morose, le marché publicitaire se trouve un nouveau débouché : le jeu vidéo. Un support qui concurrence efficacement les médias les plus performants. Des régies spécialisées commencent déjà à investir le créneau.

Un vrai filon, une veine juteuse… Philippe Seban croit les avoir trouvés. Depuis bientôt trois ans, il exploite, dans le secret, une mine ignorée de tous : la publicité dans le jeu vidéo. Et si l’idée peut paraître saugrenue pour le néophyte du joystick, elle l’est certainement moins pour l’amateur éclairé de sport sur Playstation. Deux exemples. Un jeu vidéo comme Roland-Garros ?” un programme de simulation de tennis ?” ne perdrait-il pas en réalisme si les bords de cours n’accueillaient pas les vrais annonceurs de la compétition officielle ? Une simulation de course de Formule 1 peut-elle se passer des marques mythiques qui font un grand prix ? “ Non, le joueur cherchant toujours plus de réalisme. Et la présence de vrais annonceurs contribue à l’amélioration de la crédibilité des jeux. ” Le président de Communication et nouveaux média (CNM) se montre catégorique. Avec le temps, il a peaufiné son argumentaire.

Un support comparable au cinéma

En décembre 1999, après un an d’activité, CNM commande une étude à l’institut Ipsos, afin d’évaluer le potentiel du jeu vidéo en tant que support publicitaire. Sur un sondage mené en sortie de magasin spécialisé dans la vente de jeu auprès de 900 personnes, invitées à jouer quinze minutes durant à Moto Racer, trois personnes interrogées sur quatre ont spontanément cité au moins une marque présente dans le jeu. Il n’en fallait pas plus pour valider la démarche de la jeune régie publicitaire. Avec de telles performances, le jeu vidéo s’approche des spots publicitaires diffusés dans les salles obscures en termes d’efficacité. Sachant qu’un amateur joue en moyenne 25 heures sur un jeu, selon les éditeurs, “vous imaginez le potentiel en terme de visibilité“, lance le patron de la PME. Il n’en fallait pas plus pour que la majorité des ténors de l’édition de jeux vidéo s’essaient à ce mode de commercialisation publicitaire. Parmi eux, le leader mondial Electronic Arts (dont la plupart des productions tournent autour du sport), ou encore Infogrames et Namco. Et de nombreux annonceurs ont embrayé : en tout, près d’une vingtaine de grandes marques, de Michelin à Paco Rabanne en passant par O’Neal. Par l’intermédiaire de CNM, la marque Swatch s’est assurée d’une bonne visibilité sur l’ensemble des jeux de sports mécaniques d’Electronic Arts, pour la saison 2001-2002. Ainsi, les chronomètres seront ” siglés ” du logo de l’horloger suisse, qui cherche à se renforcer auprès des 15-25 ans branchés.Grâce à l’invention des consoles de jeu de salon et à une politique commerciale particulièrement agressive, le jeu vidéo est sorti de son carcan élitiste. Il y encore dix ans, seuls les passionnés foulaient les marches des rares magasins spécialisés dans la distribution de ce type de produit. Aujourd’hui, le jeu s’est démocratisé. À l’échelle nationale française, “plus du tiers des foyers disposent d’une console de jeu vidéo, et 20 à 24 % d’un ordinateur multimédia permettant de jouer“. Steve Crasnianski, responsable du département jeu au sein de la société d’études GFK, rappelle également qu’un joueur achète entre deux et trois jeux pour une console récente (comme la Dreamcast), et de un à deux sur une console très récente (la Playstation 2 de Sony, par exemple). Si les annonceurs tentent souvent de séduire la tranche des 15-25 ans, le jeu vidéo semble en adéquation avec leur dessein. Hier, la population du jeu était constituée d’une majorité de jeunes adolescents, ce qui a valu à Nintendo de s’imposer sur la scène mondiale. Aujourd’hui, les aficionados du jeu ont vieilli. Ainsi, 62 % des achats sont réalisés par des lycéens et des étudiants. Quant aux volumes de vente, les chiffres donnent le tournis. L’année dernière, dans l’Hexagone, qui représente 17 % du marché européen, 27 millions de logiciels de loisir ont été vendus et, à l’échelle européenne, 162 millions d’unités ont quitté les linéaires.

Le piratage ” booste ” la diffusion

Un jeu de football, comme Fifa, se vend en- tre trois et quatre millions d’exemplaires à travers le monde. Sachant qu’un programme, selon les éditeurs, passe en moyenne entre quatre personnes (taux de circulation), l’audience potentielle passe à 12 millions de joueurs (fourchette basse). Si l’on y ajoute le taux de circulation officieux ?” c’est-à-dire le nombre de copies pirates ?” évalué par le Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs à quelque 4 millions, on obtient une audience totale cumulée de 48 millions de personnes ! Chez CNM, on exclut les taux officieux, trop hasardeux, au profit des chiffres officiels, en basant les calculs sur un jeu moins connus que Fifa, la référence du genre. Ainsi, pour un jeu vendu à 800 000 exemplaires, et pour lequel un annonceur débourse près de 61 000 euros (400 000 francs) pour disposer ” d’une exposition correcte “, la cible captive serait de 3,2 millions de joueurs, soit 0,02 euros du contact. L’argumentaire du patron de CNM s’est affiné au fil de ses trois années d’évangélisation, tandis que la politique tarifaire a été revue à la hausse. À périmètre de visibilité égal, ce qui coûtait encore 12 200 euros en 1998, est facturé aujourd’hui 61 000 euros. “ Et ce n’est qu’un début“, se prête à rêver Philippe Seban.Pour l’heure, ce type de commercialisation permet, en théorie, de dégager entre 230 000 et 460 000 euros de recettes. Ce qui, après soustraction de la marge de la régie (environ 37 % du montant de la transaction), rapporte à l’éditeur entre 145 000 et 290 000 euros. Sur des coûts de développement proches des 3 850 000 euros, “cela reste encore relativement marginal. Mais c’est un gain d’image et de crédibilité pour le jeu d’un éditeur“, confie-t-on au siège de la régie CNM. D’autant que l’environnement contractuel du monde des loisirs numériques ne joue pas forcément en sa faveur.Évidemment, sur le papier, l’offre est alléchante, à la fois pour l’éditeur et pour l’annonceur. Seulement, au pays des programmes vidéo, tout n’est pas rose. Ainsi, il convient de rappeler que seulement 20 % des jeux vidéo produits chaque année génèrent 80 % du chiffre d’affaires mondial du secteur, estimé à 20 milliards de dollars (22,32 milliards d’euros). Et il n’est pas rare que les hits soient des jeux issus d’exploitation de licences sportives, détenues par les grandes fédérations sportives. En pratique, les ayants droit, comme la fédération internationale de football, la Fifa, ou la ligue américaine de football américain, la NHL, vendent leurs licences en pack. “Ainsi, lorsque vous achetez une licence de Formule 1, par exemple, vous acquérez auprès de l’exploitant un pack constitué à la fois des annonceurs réels de la course et de la licence d’exploitation “, précise-t-on chez l’éditeur français de jeux vidéo Ubi Soft. Autrement dit, charge à CNM de commercialiser les espaces restants avec des annonceurs qui n’entreraient pas en concurrence avec les ” officiels “. Comme en réel. “ Il faut, et c’est le sens des démarches entamées par certains éditeurs, rediscuter en amont les clauses des contrats de licence avec les ayants droit “, reconnaît Philipe Seban. Autant dire qu’il est nécessaire de les intéresser à la partie. Ce qui réduit d’autant les marges de la régie, ainsi que les recettes de l’éditeur. Et l’intégration d’annonceurs n’est pas forcément aisée, car le seuil de saturation est évaluée à sept annonceurs. Au-delà, la capacité de mémorisation régresse, estime CNM. D’autant que certains éditeurs préfèrent utiliser les espaces publicitaires de leurs jeux pour faire la promotion de leurs propres productions, en catalogue ou à venir.

Un marché en devenir

En ayant conclu quelques contrats de référence sur des titres phares de l’univers du jeu ?” V-Rally 2, Ridge Racer 2 ou encore Moto Racer 2 ?” CNM attise aujourd’hui les convoitises. “ Nous n’intéressions personne il y a trois ans. Aujourd’hui, les choses évoluent. Mais, après avoir “évangélisé” le marché, j’entends en déguster seul les fruits, surtout avec l’avènement prochain du jeu en ligne ! ” Rentable depuis cette année, et valorisée 9,15 millions d’euros ?” une fois et demi le chiffre d’affaires 2000 ?” la société provisionne déjà 6,1 millions d’euros d’honoraires sur l’exercice 2001. Philippe Seban vient tout de même de céder 20 % du capital à un business angel, pour terminer le développement d’un moteur d’affichage personnalisé d’annonceurs online. De quoi s’agit-il ? L’idée est d’inclure des sponsors dans un programme en bonne adéquation avec les désirs et besoins du participant. Pour une partie de football en ligne, le joueur est invité à renseigner le moteur sur ses centres d’intérêt. Conséquence, le parc d’annonceurs ?” que les marques apparaissent sur les tee-shirts ou en fond de court ?” change d’un joueur à l’autre. La première application concrète du dispositif verra le jour début juin. Les serveurs de CNM tourneront à plein régime un mois plus tard. La régie, qui développe aussi ses propres jeux, pourrait alors tout simplement se passer d’éditeurs tiers pour la fourniture de titres online. Et Philippe Seban de conclure que “ lorsque la partie est intéressante, il faut savoir la jouer seul “, même s’il n’exclut pas, d’ici à six mois, de diluer à nouveau le capital de sa société. Avec un objectif simple : investir l’archipel nippon, le royaume incontesté du jeu vidéo.
Trois marques mémorisées en quinze minutes de jeu



























































 Nombre de marques mémorisées en fonction du temps passé
sur un jeu vidéo(*). 
Temps d’exposition à Moto Racer      Notoriété spontanée      Notoriété assistée  
         
 5 minutes     1,6 marque mémorisée     2,2 marques mémorisées 
         
 10 minutes     1,8 marque mémorisée     2,3 marques mémorisées 
         
 15 minutes     2,2 marques mémorisées     2,8 marques mémorisées 
 
(*) Sondage mené par Ipsos pour Communication et nouveaux média en décembre 1999, auprès d’un panel de 900 personnes en sortie de magasin spécialisé.
S i l’exposition à un jeu vidéo conduit les joueurs à mémoriser des noms de marques, le nombre d’annonceurs retenus progresse moins vite que le temps passé à jouer.
Le jeu vidéo supplante les autres supports publicitaires



















































































 Taux de mémorisation comparés des différents supports publicitaires. 
 Media     Taux de mémorisation 
     
 Cinéma     75 % tout format, en sortie de salle 
     
 Jeux vidéo     75 % pour 15 minutes de jeux 
     
 Télévision     28 % pour un spot de 30 secondes 
     
 Presse quotidienne     22 % pour une pleine page en monochromie 
     
 Affichage 4 x 3     10% 
     
 Presse magazine     10 % pour une pleine page en quadrichromie 
     
 Radio     5 % pour un spot de 30 secondes 
 
Rappelons que le jeu vidéo n’est pas un média au sens de support de diffusion massive de l’information. Ce comparatif cherche simplement à rappeler les audiences des différents médias établis en regard de celles du jeu vidéo.
Source : Ipsos

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Amaury Mestre de Laroque