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Preuve scientifique

Depuis un siècle, les laboratoires de police scientifique français traquent les éléments de preuve jusqu’au cœur de la matière.

“ Nul ne peut agir avec l’intensité que suppose l’action criminelle sans laisser des marques multiples de son passage ”. C’est Edmond Locard, le fondateur, en 1910, du premier laboratoire de police scientifique au monde qui a émis cette réflexion. Un siècle plus tard, les scientifiques de l’INPS (Institut national de police scientifique) poursuivent la même mission : aider les enquêteurs en mettant en évidence des éléments de preuve. L’INPS, dont le siège se trouve à Écully, en banlieue lyonnaise, a été créé en 2001 afin de regrouper les différents laboratoires de police scientifique basés à Lille, Paris, Marseille, Toulouse et Écully. C’est ce dernier, le plus grand d’entre eux, que nous avons pu visiter. 160 personnes y travaillent, dont 90 % de scientifiques répartis en sections : Physique-Chimie, Balistique, Stupéfiants, Toxicologie, Empreintes digitales, Incendies-Explosions et la plus importante, Biologie. Créée en août 2006, la section de biologie génétique emploie près de la moitié des scientifiques de l’INPS et représente plus de 92 % de l’activité du laboratoire. En effet, depuis 2003, tous les individus suspectés d’avoir commis un délit, sauf en cas d’infraction au code de la route et de délinquance financière, font l’objet d’un prélèvement ADN. 120 000 profils sont établis chaque année. Précision notable, les scientifiques de l’INPS communiquent aux enquêteurs les résultats des analyses qui leur sont confiées. Il appartient aux policiers de replacer et d’interpréter ces résultats dans le contexte de l’affaire dont ils ont la charge.

La section Balistique

C’est l’un des plus anciens services de la police scientifique. La section Balistique est spécialisée dans l’expertise des armes à feu et des éléments de munition. Dès réception d’une arme, les balisticiens procèdent à son identification (marque, modèle, calibre, type de fabrication, original ou contrefaçon…), puis testent son fonctionnement à vide. Ils vérifient notamment si l’arme peut se déclencher en cas de chute, ou si elle a été modifiée. Ensuite, ils tentent, grâce à des produits chimiques, de révéler le numéro de série, si celui-ci a été gratté. Enfin, ils effectuent un tir afin d’examiner l’empreinte mécanique laissée par l’arme sur la balle et la douille. Ces deux éléments sont comparés avec ceux trouvés sur la scène de crime, contribuant ainsi à reconstituer une partie des événements. Cette opération s’effectue sur un macroscope comparateur. Cet appareil permet de visualiser deux images différentes dans le même réticule. Le balisticien superpose les images des deux douilles, de manière à trouver des points de concordance.

L’Armurerie

L’InPS possède l’une des armureries les plus complètes au monde. mais ce n’est pas un musée. Toutes les armes stockées, des pistolets du XVIIIe siècle aux fusils d’assaut les plus modernes, en passant par les historiques colts américains, seront démontés sans hésitation, si leurs pièces permettent de réparer un modèle équivalent saisi au cours d’une enquête. en effet, les balisticiens testent toutes les armes à feu qu’ils reçoivent, afin d’établir la carte d’identité de la balle et de la douille et de l’ajouter à la base de données Cible.

La base de données Cible

Toutes les douilles récupérées par la police sont intégrées dans la base de données Cible (Comparaison et identification balistique par localisation des empreintes). Le système se compose d’un macroscope muni d’une caméra d’acquisition et d’un logiciel de codification. Celui-ci détecte automatiquement certains points caractéristiques tels que le contour du culot, la forme, la taille et le centre de la percussion. Ces informations vont être codées et ajoutées à la base. Le balisticien lance alors l’algorithme de comparaison des points de concordance, qui va comparer sa douille avec les milliers d’autres déjà répertoriées. Les photos des candidats s’affichent en moins de cinq secondes sur l’écran de contrôle. en charge alors au balisticien d’examiner toutes les vues et de chercher des points de concordance tels qu’une rayure, une marque, qui constituent la signature exclusive d’une arme à feu.

De l’origine des drogues

La section Stupéfiants se charge de l’analyse des produits suspects saisis par la police, la gendarmerie ou les douanes : pains de cannabis ou d’héroïne, sachets de cocaïne, feuilles de qat, ecstasy… Si un pain de résine de cannabis est facilement reconnaissable, il n’en va pas de même pour 500 g de cocaïne diluée dans une bouteille de jus d’orange, par exemple. Une fois la présence et le type de drogue identifiés, les scientifiques utilisent un spectromètre de masse pour déterminer la proportion des substances qui la composent, afin de déterminer son niveau de pureté. Les pains de cannabis ainsi que les comprimés d’amphétamines ou d’ecstasy sont en outre pesés, mesurés et décrits avant d’être ajoutés à la base de données Stups (Système de traitement uniformisé des produits stupéfiants) alimentée par les laboratoires du réseau INPS.

Le chromatographe en phase gazeuse

Le profilage de la cocaïne et de l’héroïne s’effectue à l’aide d’un chromatographe en phase gazeuse : un échantillon de drogue, pesé et dilué, est tout d’abord chauffé. L’analyse des vapeurs permet de déterminer la composition exacte du produit, et notamment de détecter les solvants résiduels utilisés dans la fabrication de la cocaïne, ou les impuretés présentes dans les plantes entrant dans la composition de l’héroïne. en effet, ces composés constituent la signature de la drogue, et subsistent quel que soit le niveau de dilution du principe actif. Une information des plus précieuses, puisqu’elle permet aux enquêteurs de relier un sachet de drogue vendu dans la rue et donc fortement coupé, à une saisie de drogue pure effectuée dans un aéroport ou chez un grossiste.

La section Biologie-Génétique

Les kits de prélèvement normalisés permettent de prélever la salive dans la bouche d’un individu à l’aide d’un tampon et de la déposer sur un carton qui, une fois scellé, est envoyé à l’INPS. Chaque kit est identifié par un code-barres permettant son suivi tout au long de la chaîne de traitement. L’analyse de l’ADN, réalisée dans deux salles blanches, est presque entièrement automatisée. Dans la première salle, un robot prélève un disque de 1,2 mm de diamètre sur le carton contenant la salive et le dépose dans le puits d’une plaque de plastique pouvant contenir 96 échantillons. Les puits sont remplis d’une solution liquide puis scellés.

Multiplication et résultats

Pour éviter toute contamination, les plaques sont transférées vers la seconde salle via un sas pressurisé. En deux heures environ, les fragments d’ADN sont multipliés un milliard de fois grâce à la technique de réaction en chaîne par polymérase (PCR), l’ADN de base n’étant pas assez concentré pour être analysé. Les fragments d’ADN sont enfin marqués à l’aide d’une solution fluorescente et injectés dans un tunnel de quelques microns de diamètre. Détectés par une caméra CCD, ils sont identifiés et quantifiés (électrophorèse capillaire). Pour éviter toute erreur, chaque prélèvement d’ADN est traité par deux chaînes indépendantes et les résultats comparés informatiquement.

La traque des traces

La section Physique-Chimie est spécialisée dans la recherche de toutes les traces qui ne peuvent être analysées dans les autres services: résidus de tir à l’arme à feu, fibres de vêtements, peintures de voiture ou d’outils… Principal instrument, le microscope électronique à balayage permet de grossir plusieurs milliers de fois le moindre fragment prélevé sur une scène de crime, et d’en analyser la composition. Par exemple, l’amorce d’une munition d’arme à feu dépose sur la main ou les vêtements du tireur des particules sphériques contenant généralement du plomb, du baryum et de l’antimoine. Il est aussi possible de déterminer la provenance de billets de banque maculés par l’encre indélébile projetée lors de l’ouverture forcée d’un distributeur ou d’un fourgon blindé. En effet, chaque fabricant d’encre intègre au liquide des traceurs spécifiques détectables à l’analyse. Les scientifiques peuvent même déterminer si, lors d’un accident, les phares des véhicules étaient allumés, le métal du filament de l’ampoule n’ayant pas le même aspect selon qu’il a été coupé à chaud ou à froid.

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Philippe Fontaine