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Nous avons rencontré Changzhu Li, l’homme qui a fait de Huawei un champion de la photographie

Vice-président de la division smartphone de Huawei, ce quinquagénaire est à l’origine du partenariat entre Leica et le fabricant chinois. Et l’un des artisans du succès de la marque en la transformant en machine de guerre technologique.

Qui aurait imaginé en 2011 qu’un constructeur chinois spécialisé dans les équipements réseaux de télécoms prendrait la tête de notre Top 10 de la qualité photo de la catégorie smartphone ? Qui aurait dit en 2016 que le partenariat que Huawei a signé avec Leica porterait bien plus loin que la simple annonce marketing ?

Car c’est bien de Huawei que l’on parle, un mastodonte chinois passé du statut d’inconnu au début des années 2010, où son cœur de métier était de traiter avec des entreprises (B2B), à celui d’une marque grand public (B2C) dont les téléphones s’arrachent. En moins d’une décennie, le chinois est devenu le second constructeur de smartphones au monde, juste derrière Samsung, et son portfolio de technologie en fait le futur poids lourd de la 5G.

Adrian BRANCO / 01net.com

Derrière la réussite, il y a des choix et derrière ces décisions, des humains. L’un des artisans de cette réussite s’appelle Changzhu Li, un quinquagénaire qui officie chez Huawei depuis 1996. Numéro deux de la division – son titre en langue anglaise est « Vice President of Handset Business for Huawei Consumer Business Group » –, c’est lui qui oriente la stratégie de la division. Mais c’est surtout, pour nous, celui qui est à l’origine du succès de l’entreprise dans la photo.

La photo, pilier fondamental du succès de Huawei

« Au moment de nous lancer dans le marché “consumer” avec les smartphones en 2011, nous avons cherché à déterminer quels étaient les éléments plus importants d’un terminal pour le grand public », se rappelle Mr Li. Et détaille : « Nous avons épluché quantité de rapports de consommateurs, d’études de comportement, etc. Et nous avons identifié que la gestion de l’énergie, le design et la photographie étaient les trois piliers de ce que demandaient les acheteurs ».

D’où les premiers designs de terminaux se rapprochant d’Apple au début, ou encore les fonctions de charge rapide des appareils. Mais surtout d’où cette grande attention aux modules caméra. Une attention qui a poussé Mr Li à identifier des partenaires capables d’aider la marque dans son acquisition de compétences. De nombreux groupes industriels japonais auraient pu accompagner Huawei, tel Panasonic, fort de son expérience dans la photo et les smartphones (rappelez-vous du Panasonic CM1). Qu’il s’agisse d’un choix stratégique (ne pas travailler avec un gros groupe industriel), d’un choix géopolitique (ne pas travailler avec un groupe japonais), d’un choix de cœur (Mr Li est un photographe amateur et passionné de photo) ou de tout ça la fois, on ne le saura jamais vraiment. Ce que l’on sait c’est que Huawei a préféré se tourner vers l’Allemagne et son fleuron photographique : Leica.

Et Huawei s’en vint chercher Leica

« C’est moi qui suis allé frapper à la porte de Leica avec mes équipes », se rappelle Mr Li, faisant référence à l’annonce de partenariat que les deux entreprises ont officialisé lors du MWC de 2016. « A l’époque, Leica était lui aussi à la recherche d’un partenaire capable de mettre en valeur leur siècle de savoir-faire au service de l’image. La marque était prestigieuse, mais circonscrite à un cercle d’initiés, et elle cherchait à toucher un public plus large. Quant à nous, nous cherchions non seulement un nom, mais surtout un partenariat qui nous permette de développer des atouts photo qui sortent du lot. »

Ce partenariat a mené Huawei et Leica à constituer une équipe commune dédiée au design des optiques et à la qualité d’image, tant objective que subjective. En dépit des remous géopolitiques entre les USA et la Chine qui ont mené à un blacklistage technologique de Huawei par le gouvernement US (en train d’être partiellement levé), le partenariat entre Leica et Huawei n’est pas remis en question. « Nous avons rencontré la direction de Leica en juin dernier et nous avons conclu qu’il n’y avait pas de raison d’y mettre un terme. Notre partenariat avec Leica est fort et va continuer », assure Mr Li.

« Outre les échanges technologiques entre nos deux entreprises, il y a des similitudes dans l’approche originelle du Leica du début du XXe siècle et la nôtre en ce début de XXIe : l’envie de mettre un produit de qualité dans la main du plus grand nombre de personnes possibles. » Historiquement en effet, avec ses appareils photo qui étaient à la fois compacts et financièrement accessibles, Leica a permis d’inventer un nouveau genre de photographie lors du lancement du premier M. Un genre photographique que l’on qualifierait aujourd’hui de « reportage », au plus près des gens. Une chose qui était impossible avec les grosses et encombrantes chambres photographiques de l’époque, qui coûtaient très cher.

Une R&D qui développe des composants sur-mesure

Si Leica aide à la conception des optiques ou à la mise en place des standards de qualité d’image, l’industriel qu’est Huawei est déjà un champion des semi-conducteurs avec sa filiale Hi-Silicon. Une division capable de développer ses propres processeurs tout-en-un (SoC, system on a chip), mais aussi ses propres capteurs d’image. Car dans le P30 Pro, qui est actuellement le numéro de notre Top 10 en photo, se cache un composant pas comme les autres : un capteur qui est non seulement géant par la taille – format 1/1.7 pouce – mais aussi par la définition (40 Mpix). Et qui est unique de par sa structure : en lieu et place d’une matrice de Bayer RVB (rouge-vert-bleu), la matrice de ce capteur remplace le vert par du jaune.

Ce composant n’existait pas sur le marché, il a fallu le développer et le faire produire, par Sony « parce que ce sont les meilleurs, tout simplement »,  justifie Mr Li. Pourquoi diable prendre la peine de mettre autant d’argent dans le développement d’un composant unique (design, production, algorithmes, etc. il faut tout faire !) plutôt que d’acheter sur catalogue ?

« Ce capteur a été conçu pour répondre à un besoin. Notre R&D est poussée par les problèmes des utilisateurs et dans le cas présent nous voulions rendre possible la prise de vue même dans le noir total. Comment réussir à produire des clichés justes et nets quand il n’y a pas ou peu de lumière et qu’on n’a pas de trépied ? Il nous fallait un tel capteur pour arriver à de tels résultats. » Des résultats qui sont bel et bien là puisque le P30 Pro est le champion des basses lumières et voit littéralement dans le noir.

Posture de novateur assumée

Huawei embrasse ici les deux visions de la photographie qui s’affrontent aujourd’hui : d’un côté, l’approche classique à base de capteur et de développement optique qui vient du monde de la « vraie » photo. De l’autre, visual computing des Apple et Google qui utilisent la puissance des puces et des algorithmes pour combiner des images « normales » et produire des photos améliorées. Huawei semble influencé par la culture de l’harmonie, un concept très important dans la pensée classique chinoise.

Une harmonie qui ne l’empêche pas de prendre des risques afin d’assoir son nom. Que cela soit pour le capteur RJJB du P30 Pro comme pour le tout nouveau capteur « Cinema » du futur Mate 30 Pro, un capteur au format 1/1.54 offrant un ratio de 3/2, ratio rare chez les smartphones, mais adapté à la vidéo avec son ultra grand-angle équivalent 18 mm. Le public va-t-il s’emparer de ce super capteur capable de shooter des séquences propres à plusieurs milliers d’ISO et à même de shooter des ralentis à plus de 7000 images par seconde ?

« Nous l’ignorons ! », s’exclame Mr Li. « Mais l’émergence des vlogs et l’explosion du partage de vidéos nous a poussé à développer un composant qui soit, là encore, unique. On ne sait pas comment cela va évoluer, mais nous tenons à notre approche de l’innovation qui consiste à essayer de créer de nouvelles expériences, à générer un effet ”wow”, à créer la surprise. » Et tant pis si c’est un peu moins rentable que de peaufiner au maximum les performances de capteurs traditionnels comme le fait Apple, dont les marges sont plus confortables : « Nous assumons pleinement cette stratégie », renchérit-il.

Au vu des performances de Huawei aussi bien niveau ventes que des performances technologiques, il semble que la recette soit la bonne pour le géant chinois. En espérant pour ses ingénieurs que la guerre commerciale entre les USA et la Chine ne vienne pas mettre un grand coup d’arrêt à cette ascension.

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