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Matthew J. Szulik (CEO de RedHat): “L’e-commerce et l’embarqué seront nos futurs pôles de croissance”

Rencontré au mois de juin dernier lors de la Linux Expo à Londres, le CEO de Red Hat reste serein face aux difficultés rencontrées par sa société sur le Nasdaq. Pour Matthew J. Szulik, la croissance de Red Hat s’articule désormais autour de deux marchés stratégiques: les serveurs et l’équipement embarqué.

Considérez-vous Linux comme un système d’exploitation adapté au grand public ?Les efforts de Red Hat ne portent pas sur la création de solutions pour le poste de travail individuel. Mais il y a certainement d’autres éditeurs de distribution Linux qui veulent le faire. Nous avons des clients qui installent Red Hat Linux sur leurs stations de travail et leurs ordinateurs portables, mais ce n’est pas le marché que nous ciblons.Alors, quel marché ciblez-vous ?Nous visons le marché des serveurs parce que nous pensons que ce marché, ainsi que celui des équipements embarqués, est étroitement lié à notre avenir.Toutes les distributions ont le même c?”ur, le noyau Linux. Quelles sont les différences entre la distribution Red Hat et ses concurrentes ?Si l’on se penche sur notre technologie, on remarque qu’il y a de plus en plus de différences entre notre distribution et celle de nos concurrents. Et, de plus en plus, c’est la qualité de la marque qui compte. Le développement de la marque est devenu un axe important de notre stratégie.Durant votre carrière, vous avez travaillé pour des éditeurs de logiciels propriétaires. Est-ce plus intéressant de travailler pour un éditeur de logiciels libres ?

J’ai aussi travaillé pour la communauté du logiciel libre pendant de nombreuses années. Je pense que l’aspect le plus passionnant de ce mouvement est la liberté d’information. C’est ce qui est le plus attirant pour moi, et c’est la principale raison qui m’a poussé à rejoindre Red Hat. Quelles sont les différences entre les éditeurs de logiciels propriétaires et les éditeurs de logiciels libres au niveau du business model, des sources de revenus ?Les éditeurs de logiciels libres n’emprisonnent pas leurs clients, à l’inverse des éditeurs de logiciels traditionnels. Par conséquent, vous devez gagner vos clients à chaque heure de chaque jour. Le personnel de l’entreprise est soumis à une pression permanente pour répondre aux attentes des clients. Puisque vos clients sont libres, ils peuvent partir d’un moment à l’autre. Vous devez donc former vos équipes et votre service client sans arrêt. C’est la plus grosse différence.Et concernant vos sources de revenus ?Nous tirons nos revenus de trois sources. Nous vendons et offrons un grand nombre de packs de notre distribution. Nous sortons trois nouvelles versions de notre système d’exploitation tous les douze ou quatorze mois. Depuis novembre dernier, nous déployons les solutions de Cygnus. Cela nous permet d’étendre notre offre de services et de construire de nouvelles relations avec les constructeurs et les clients. Red Hat a aussi une stratégie de formation et d’autres plans de développement et de support technique pour ses clients. Nous nous développons rapidement, car le marché est en train de grandir vite. Je pense que la combinaison de ces facteurs nous a permis de créer un business solide.Quelle est la répartition de ces sources de revenus dans votre chiffre d’affaires ?A l’heure actuelle, notre source principale de revenus provient de la vente de nos services. Elle représente environ 55 % à 60 % de notre chiffre d’affaires. Nos produits logiciels comptent pour le reste. Quels genres de services commercialisez-vous ? Nous maintenons de vastes réseaux de services informatiques pour de nombreuses sociétés innovantes comme Cisco. Nous avons aussi aidé Sony à développer la prochaine PlayStation 3. Nous avons aussi travaillé avec DreamWorks dans le domaine des technologies embarquées et des processus de compilation. Et, bien sûr, nous commercialisons des services autour de notre distribution Red Hat qui est très populaire.Quels développements avez-vous réalisé pour la PlayStation 3 ? Nous les avons aidés à améliorer les technologies de leur compilateur ?” le compilateur C GNU ?” et certaines librairies GNU C. Cela permettra à Sony d’adapter et de créer de nouvelles applications de jeux pour cette plate-forme.Comment recrutez-vous vos développeurs ?Je recrute tous les jours. C’est très, très difficile. Le recrutement représente la majeure partie de mon temps de travail.Pourquoi ? Y a-t-il beaucoup de turn-over ? Non, mais trouver des gens exceptionnels est très difficile. Et il est dur de travailler dans les nouvelles technologies car c’est un travail très exigeant et la garantie d’une récompense. Il faut donc trouver des gens qui sont prêts à travailler parfois vingt heures par jour, voire vingt-quatre heures. La plupart du temps, sept jours sur sept. En définitive, les personnes qui veulent travailler dans ce genre d’ambiance viennent spontanément vers RedHat et vers la communauté du libre parce qu’ils croient que c’est fondamentalement la meilleure voie pour développer de nouvelles technologies et résoudre les problèmes des clients.Depuis le début de l’année, les actions RedHat ont perdu 85% de leur valeur. Comment expliquez-vous cela, est-ce la fin de la mode Linux ?Oh, non ! C’est juste le début. Regardez le cours des actions de Microsoft et celui des actions de Sun neuf mois après leur IPO, vous vous rendrez compte que le cours de Red Hat s’est beaucoup mieux comporté que les leurs.Mais Microsoft est en procès, ce n’est pas le même contexte…Non, j’insiste. Neuf mois après leur IPO, je vous invite à regarder ce qui leur est arrivé. Mais, je pense qu’il y a eu beaucoup d’enthousiasme, beaucoup d’effervescence autour de Linux. C’était une activité ” brûlante ” et une IPO ” brûlante “. Nous avons aussi levé environ 300 millions de dollars en janvier dernier, ce qui a entraîné l’apparition de nouvelles actions sur le marché boursier. Un nombre non négligeable de sociétés ont modifié leur stratégie d’investissement et ont commencé à vendre une partie de leurs portefeuilles d’actions. Tout cela a augmenté le nombre d’actions disponibles sur le marché. Je pense aussi que l’activité du Nasdaq a déprimé de nombreux cours dans le domaine des nouvelles technologies. Si c’était un phénomène propre à Linux, je dirais que nous avons un problème. Mais cette tendance ne touche pas seulement les sociétés Linux. Regardez les cours d’Akamaï, d’UUNET ou de Vignette, ils sont tous en dessous de leur meilleur cours un an auparavant. D’une façon générale, toutes les actions liées à Linux ont perdu de la valeur ?Toutes les actions technologiques ont perdu de leur valeur, même celles de nos concurrents les plus proches. Récemment, vous avez créé Red Hat Venture pour aider financièrement les sociétés Linux à la recherche de fonds. Pensez-vous que ce soit le moment adéquat pour de telles initiatives ?Red Hat n’est pas vouée à être uniquement un concepteur de logiciels, notre mission est de continuer à changer le monde de l’informatique. Si vous parliez à mes collègues de Red Hat, ils vous diraient que c’est cela qui nous motive. Nous ne réfléchissons pas par rapport au cours quotidien des actions parce que nous avons recruté une remarquable équipe de management. Nous avons récemment recruté un nouveau directeur financier en la personne d’Harold Covert qui était précédemment directeur financier chez Adobe. Timothy J. Buckley, ancien vice-président des ventes mondiales chez Visio, nous a rejoint en tant que Chief Operating Officer (COO). Colin Tenwick qui s’occupe de nos activités en Europe était précédemment directeur du management chez l’éditeur Sybase. Nous allons continuer à recruter des gens qui nous permettrons de faire de Red Hat une société de plusieurs milliards de dollars. Les fluctuations au jour le jour des actions ne sont juste que de l’effervescence. Red Hat Venture était une idée de notre équipe de management afin de permettre la création de nouveaux projets ” open source ” qui n’auraient pas forcément eu la possibilité de lever de l’argent auprès des fonds d’investissement traditionnels. Nous avons pensé que nous devions prendre nos responsabilités et aider ces sociétés à obtenir des fonds. Alors oui, nous pensons que c’est le moment ! Quelle va être l’évolution de Red Hat ?Nous allons continuer à travailler dans le domaine des infrastructures Internet. L’acquisition de BlueCurve que nous venons d’annoncer entre dans cette stratégie. C’est un domaine dans lequel nous voulons construire de nouvelles fonctionnalités pour contrôler à distance des réseaux complexes via RedHat.com. Nous considérons l’e-commerce comme un pôle de développement très important pour nous. Construire des solutions adaptées au commerce électronique nous permettra de mettre la main sur le marché des serveurs. Nous continuons aussi de travailler dans le domaine de l’embarqué parce nous y voyons une énorme opportunité de croissance.Vous avez livré une distribution pour l’architecture 64 bits d’Intel. Cette architecture est prévue pour des machines très puissantes. Quels sont les avantages de Linux-Unix ?

C’est une excellente question. Les sociétés qui construisent des solutions Internet nous disaient qu’elles avaient besoin de solutions comme la haute disponibilité, le clustering et une gestion de fichiers améliorée.Aujourd’hui, ces technologies sont du domaine des éditeurs de logiciels propriétaires. De nombreuses sociétés voudraient avoir cela à un prix abordable. Nous sommes très enthousiastes à l’idée de combiner l’architecture 64 bits d’Intel avec les capacités de Red Hat et de la communauté du libre pour proposer des solutions de haute disponibilité et de clustering, ainsi qu’une gestion optimisée des fichiers. Cette combinaison unique nous permettra de faire baisser les prix, d’étendre le marché et de fournir ces solutions à faible prix mais d’une grande valeur pour les entreprises.

Le prix reste-t-il le principal argument de Linux ?

Ce n’est pas seulement le prix, c’est aussi l’accès au code source et la capacité d’innover plus vite. Encore une fois, ces solutions feront fonctionner de très grands centres de serveurs. Ces sociétés voudront être capables de contrôler ces réseaux elles-mêmes sans avoir besoin de faire appel à un intermédiaire.Une question par rapport au procès Microsoft : pensez-vous que la décision du juge Jackson va mettre fin au monopole de cette société ?Eh bien, c’est une question intéressante, car la culture de cette entreprise a été construite et développée sur une très longue période. Je pense que c’est un procès qui a reçu beaucoup d’attention et beaucoup de spéculation de la part du grand public. Notre point de vue est le suivant. Le juge a estimé que Microsoft était un monopole. Je pense que, étant donné la rapidité des innovations technologiques apportées par le mouvement du logiciel libre via Internet, de nouvelles opportunités sont apparues. C’est le plus gros défi auquel Microsoft doit faire face sans même parler de la décision du juge.En tant que clients, devons-nous craindre un futur monopole de RedHat sur Linux ?Gardez à l’esprit que nous donnons tous nos développements, il n’y a pas de ” verrou propriétaire “. Dès cet après-midi, vous pouvez vous tourner vers un autre fournisseur et nous pensons que c’est très bien ainsi. Nous ne faisons rien pour créer un monopole, si ce nest développer une bonne société de services pour nos clients.

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Antonin Billet