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Lucent ou le paradoxe du surdoué

Avec ses fameux Bell Labs, Lucent passait pour un surdoué des télécoms, et il a cru que tout était gagné d’avance. Mais comme bien des surdoués, il s’est pris les pieds dans les mille fils de la réalité et se retrouve bien mal en point.

A l’école, les surdoués ne font pas forcément les bons élèves. Comprenant les explications des profs bien avant les autres, ils s’ennuient à mourir durant les cours et ne sont guère motivés. Ils se font parfois dépasser par d’autres, moins bien armés, mais plus assidus. D’où, paradoxalement, des échecs scolaires, parfois suivis de déboires sociaux et personnels.A priori, Lucent avait tout pour réussir, et d’abord le formidable réservoir de matière grise que constituent les Bell Labs, le centre recherche et développement d’AT&T, dont il a hérité la plus grande partie, lors de la scission, en 1995, entre l’opérateur (resté AT&T) et le constructeur (devenu Lucent). Mais voilà, comme le potache, il ne suffit pas d’avoir un gros cerveau ; il faut aussi ne pas avoir une confiance excessive dans ses moyens.Ainsi, Lucent a-t-il claironné, en 1997, qu’il était le premier à avoir dépassé, en laboratoire, la symbolique barrière du Terabit/seconde en transmission optique. La belle affaire ! Trois ans plus tard, il boit le bouillon notamment à cause, de l’aveu même de ses dirigeants, de son retard en optique ! Lucent s’est endormi sur ses lauriers et n’a pas su passer du stade du laboratoire à celui de la production industrielle. Résultat, il s’est fait doubler par Nortel et rattraper par Alcatel. Le surdoué n’a pas été assez assidu.Ni assidu, ni combatif. Mal préparé à affronter la concurrence, Lucent n’a pas su non plus s’imposer au milieu de ses rivaux. Longtemps, il a bénéficié du marché quasi-captif de l’empire AT&T et fournissait mêmes les autres opérateurs nord-américains. Dans son pré arré, à peine était-il inquiété par son voisin, Nortel le canadien. Il a pensé qu’il ne ferait qu’une bouchée de l’Ancien Continent. Et lorsque les marchés se sont ouverts un peu partout dans le monde, il n’a pas su en profiter. En France, il a notamment racheté TRT, ex-filiale de Philips, sans réussir à en tirer le meilleur parti.Bref, Lucent a cru que tout était gagné parce qu’il s’appelait Lucent, ex-division du prestigieux AT&T ?” qui, soit dit en passant, n’est guère en meilleure posture avec des résultats en chute libre sur 2000 et des pertes qui se profilent au premier trimestre ?” et qu’il avait les Bell Labs derrière lui, c’est-à-dire la meilleure technologie du monde. Cela na pas suffi. Lucent patauge en plein échec. Il avoue des pertes, licencie environ 10 % de ses effectifs, renvoie son PDG et lui cherche un successeur.
Le paradoxe du surdoué.Prochaine chronique le vendredi 23 février

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Jean-Pierre Soulès