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Les collectivités locales recadrées

L’ART, le Sipperec, l’Avicam, le Conseil de la concurrence et l’Association des maires des grandes villes de France ont fini par obtenir une nouvelle mouture de l’article L.1511-6 du code général des collectivités locales régissant les interventions de ces dernières dans les infrastructures de télécommunications.

Cet article, comme on sait, venait à peine d’être modifié par le gouvernement Jospin à l’occasion du vote de la loi Voynet sur l’aménagement du territoire. Dans sa nouvelle mouture, il entend supprimer les dispositions très restrictives, qui avaient alors été mises en place sous l’influence de France Télécom.
Cette nouvelle mouture devait initialement constituer l’article 30 de la future loi sur la Société de l’information. Mais, comme celle-ci a peu de chances d’être adoptée avant la fin de la législature, le député de l’opposition Patrice Martin Lalande a obtenu de l’inclure dans un ” cavalier juridique “, autrement dit un fourre-tout législatif, dont elle constitue l’article 15, parmi diverses dispositions d’ordre social, éducatif et culturel. Peu importe après tout la manière : seul le résultat compte.
La nouvelle mouture est ainsi arrivée devant les députés le 10 mai dernier, après déclaration d’urgence. Elle a été approuvée en première lecture sans difficulté. Toutes les collectivités territoriales s’en sont aussitôt félicitées, car elle les dispense de procéder à un constat de carence avant d’engager la construction d’une infrastructure fibre nue. Une consultation publique préalable suffira.
Deuxième concession : les collectivités territoriales ne seront plus tenues de rentabiliser ces investissements en huit ans, toute référence à un délai d’amortissement ayant même été supprimée.
Troisième concession : les collectivités territoriales sont admises à intervenir dans les infrastructures de télécommunications au sens large, et non plus seulement dans les infrastructures hauts débits. En conséquence, elles pourraient également apporter leur contribution dans l’amélioration de la couverture des réseaux GSM. Rien ne les empêcherait, non plus, de mettre des équipements à la disposition des opérateurs de boucles locales radio ou souhaitant proposer des services de télécommunications sur des lignes dégroupées.
Mais il reste évidemment entendu que ces collectivités territoriales s’interdisent d’exercer les activités d’opérateur au sens du paragraphe 15 de l’article L.32 du code des postes et télécommunications. Les infrastructures qu’elles pourraient mettre à la disposition d’opérateurs et d’utilisateurs par voie conventionnelle doivent l’être “dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires”. Leurs tarifs de location devront assurer la couverture des coûts correspondants, déduction faite des subventions publiques.
Cette mise à disposition ne devra pas non plus porter atteinte aux droits de passage, dont bénéficient les opérateurs télécoms autorisés. La nouvelle mouture de l’article L.1511-6 précise, enfin, que les dépenses et les recettes relatives à cette activité devront faire l’objet d’une comptabilité distincte.
On pouvait s’attendre à ce que les sénateurs, traditionnellement favorables aux collectivités locales, adoptent ces nouvelles dispositions dans les mêmes termes.
Le 31 mai, hélas, ils ont cru devoir en restreindre la portée. Ils ont exclu les ” utilisateurs ” du bénéfice des infrastructures créées par les collectivités territoriales, infrastructures qui ne pourraient donc être mises à la disposition que des seuls opérateurs de télécommunications titulaires d’une licence L.33-1 ou L.34-1.

“Il s’agit là d’un retour en arrière”, a aussitôt fait savoir l’Avicam (Ass. des villes pour le câble et le multimédia), qui soupçonne l’Afopt (Ass. française des opérateurs privés de télécommunications) ?” à juste titre d’ailleurs ?” de l’avoir inspiré. Ces réseaux, en effet, ne pourraient même plus être mis à la disposition des groupes fermés d’utilisateurs des collectivités territoriales, comme ceux des universités, par exemple. Aussi l’Avicam demande-t-elle le rétablissement du texte initial.

“Les opérateurs alternatifs, ajoute l’association, devraient se réjouir que les collectivités investissent dans la partie la plus coûteuse des réseaux : les infrastructures. Ils pourront, à moindre coût, en profiter pour toucher la plus grande partie du marché : celui des réseaux ouverts au public. Pour le reste, qu’ils n’exigent pas une obligation de passer par leurs services. Qu’ils soient simplement les meilleurs pour prendre aussi cette clientèle.”

Nous voilà donc quittes pour une seconde lecture. Et, aux dernières nouvelles, l’Assemblée nationale devrait adopter la version sénatoriale.
Pour autant, l’ART ne souhaite pas que ces nouvelles dispositions soient mises en application de manière systématique et dans la durée. Jean-Michel Hubert, président de l’Autorité, définissait ainsi récemment “l’action des collectivités comme une phase transitoire, dont l’objectif est de contribuer à la concurrence “.

En d’autres termes, leurs interventions ne seraient justifiées que si elles permettent de favoriser la concurrence là où elle ne s’installerait pas naturellement. Elles doivent se borner à jouer un rôle de catalyseur, à attirer les opérateurs sur leur territoire, et à procurer à leurs administrés le bénéfice de la diversité des offres et de l’attractivité des tarifs. Leur interventionnisme n’a plus de raison d’être, une fois la mise en concurrence réalisée.
Les nouveaux textes n’obligeront pas les collectivités à céder leurs infrastructures fibre noire à des opérateurs au bout d’un certain temps. Il n’en reste pas moins que, selon l’ART, la concurrence ne pourra que les amener à se désengager complètement des réseaux câblés, car elles ne seront jamais autorisées à fournir des services d’accès à Internet sur ces réseaux. Ce désengagement n’aurait, d’ailleurs, d’autre résultat que d’améliorer l’attractivité de leur territoire.

L’ART part en guerre contre les multi-GFU

À la demande de l’Afopt, l’ART souhaite également revenir à une application moins permissive de la notion de groupes fermés d’utilisateurs (GFU) dans les réseaux indépendants des collectivités territoriales. Elle observe en effet que les multi-GFU tendent à foisonner, bien au-delà des besoins propres des administrations municipales.
Dans certains cas, ils englobent dès à présent les enseignants des groupes scolaires ou les adhérents des Chambres de commerce et d’industrie. Où est alors la limite ? De telles pratiques n’ont pas d’autre résultat que de transformer progressivement un réseau indépendant en un réseau quasi ouvert au public, en violation complète avec l’article L.1511-6, actuel ou futur, du code général des collectivités territoriales.
C’est pourquoi l’ART recommande aujourd’hui aux collectivités locales de mettre en place, au contraire, des réseaux indépendants mono-GFU, chacun d’entre eux étant dédiés à un secteur (la santé autour du CHU, les services départementaux autour du Conseil général, etc.).
L’Autorité se propose également de les aider à réorienter ceux de leurs projets qui ne s’inscriraient pas dans le cadre réglementaire (www.art-telecom.fr) (www.sipperec.fr) (www.assemblee-nationale.fr) (www.avicam.org) (www.afopt.asso.fr).

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La rédaction