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Le Game Boy a 30 ans, découvrez quatre anecdotes méconnues sur ses origines

La première console portable de Nintendo fait encore briller les yeux des joueurs, trente ans plus tard. Un succès mondial, colossal, qui a initié une révolution du genre et ouvert le jeu mobile à de nouveaux horizons. Mais sa conception n’a pas été de tout repos…

Le Game Boy a trente ans. La Game Boy aussi… Le 21 avril 1989, la première console portable de Nintendo a, à elle seule, défini un nouvel univers vidéoludique nomade, accéléré le temps des récréations pour des centaines de milliers d’élèves à travers le monde et fait exploser les revenus de l’industrie des piles.

Avant d’aller plus loin, réglons une question d’importance. Vous êtes un puriste et dites LE Game Boy : vous avez raison. Vous êtes de ceux qui considèrent qu’on parle d’une console et qu’on peut donc faire l’ellipse de cette appellation quand on en parle, vous avez raison également. Les deux formules sont officiellement validées par Nintendo France.

C’est Florent Gorges, historien des jeux vidéo et plus particulièrement de la société de Kyoto, qui l’affirme. Voilà qui devrait calmer la guerre entre les deux camps des fans de cette console. Qu’elle soit le ou la, débat bien français, cette console a bouleversé l’histoire du vidéo ludisme et ouvert en grand les portes déjà entrebâillées du jeu vidéo « partout et quand on veut ».

Séquence nostalgie

On a tous – pour ceux qui étaient déjà joueurs dans les années 90 – des souvenirs de pyramides humaines sur un banc, dans une cour de récréation, un amoncellement de gamins autour d’une console, partagée chichement, à contre coeur par son propriétaire. Les yeux rivés sur l’écran Dot Matrix, noir et blanc, non rétroéclairé, des regards inquiets qui guettaient le voyant rouge de la batterie et la crainte omniprésente que la dévoreuse de piles viennent à bout de son repas avant que la cloche ne sonne. Car, il en fallait des dizaines de piles pour venir à bout d’un jeu, d’un long trajet ou d’une après-midi pluvieuse…

Cela a sans doute coûté des fortunes, mais c’était un choix réfléchi pour permettre aux joueurs de se réapprovisionner n’importe où. Tout comme le choix de la dalle noir et blanc était une décision stratégique. Chacune de ces fonctions a été le fruit d’un choix mûrement soupesé. Et, évidemment, le développement du GameBoy n’a pas été un long fleuve tranquille.

C’est cette histoire dans l’Histoire que Florent Gorges a non seulement raconté mais également affinée, révélée et dépoussiérée au fil d’une longue enquête. Le fruit de ce travail minutieux, qui l’a conduit à interviewer des anciens de Nintendo, des membres de l’équipe qui a créé la console emblématique, est consigné dans L’incroyable histoire de la Game Boy, sous-titre du quatrième tome de son Histoire de Nintendo, aux éditions Omaké Books. Nous vous en recommandons vivement la lecture. Pour vous donner un avant-goût de ce qui vous attend autant que pour célébrer les trente ans de la première portable de Nintendo, nous avons retenu quatre anecdotes, extraites de la première partie de son ouvrage.

01net.com – L’histoire de Nintendo, vol. 4, de Florent Gorges, aux éditions Omaké Book.

Le Game Boy n’existe que parce que Nintendo était en retard

Aujourd’hui, alors qu’on s’apprête à souffler les bougies du Game Boy, son existence est une évidence. La continuité entre les Game & Watch et les 3DS est nette. La Switch même semble le fruit d’une continuité hybride. Mais en amont de son lancement en avril 1989 au Japon (avant son arrivée l’année suivante en France), la console a rencontré bien des obstacles.

Comme beaucoup d’entreprises, Nintendo fonctionne en silos. Au milieu des années 80, deux équipes de R&D s’affrontent. La R&D1, dirigée par Gunpei Yokoi, a à son actif les fameux Game & Watch, dont le succès se tarit graduellement au Japon même si ces jeux triomphent encore en Occident.

Depuis le lancement de la NES dans l’archipel nippon en 1983, la R&D2 (dirigée par  Masayuki Uemura) a le vent en poupe. Elle est d’ailleurs en train de développer le successeur de la NES. Une console très attendue, annoncée et retardée à plusieurs reprises.

Pour compliquer leur tâche, les équipes de Gunpei Yokoi ont été confrontées à des guerres intestines qui ont menacé le développement du Game Boy. Au point qu’une partie de l’équipe devra continuer à travailler sur le projet en cachette… Néanmoins, malgré les crocs-en-jambe de l’équipe R&D2, c’est bien le retard pris par la SNES qui va offrir l’opportunité de finaliser et lancer le Game Boy.

Hiroshi Yamauchi, patron visionnaire et pragmatique de Nintendo, voit en effet un moyen de relancer les ventes et d’occuper le terrain en attendant que la console 16-bit de salon soit commercialisable… Alors qu’il avait plus ou moins enterré le projet en dénigrant son écran, celui-ci emportera son adhésion quelque temps plus tard. Une excellente décision au regard de l’histoire.

Un nom venu d’un… magazine et inspiré de Sony

Vous vous êtes sans doute demandé un jour ou l’autre pourquoi le Game Boy (ou la, nous sommes désormais d’accord ?) porte ce nom. On sait que les Japonais aiment les mots anglais sans toujours bien parler cette langue – un point commun avec nous autres Français, sans doute.

Selon les membres de l’équipe initiale au sein de Nintendo, le nom vient d’un magazine qui porte le même nom. Au cours d’une réunion houleuse et infructueuse, un exemplaire posé sur une table attire l’attention, tout le monde se met d’accord. Il n’en fallait pas plus.

Evidemment, Big N. a demandé l’autorisation et prévenu la rédaction du titre de presse. La firme de Kyoto y a également pris quelques encarts publicitaires, pendant quelque temps. Mais on peut néanmoins se demander pourquoi ce nom, Game Boy, résonnait bien aux oreilles ?

Florent Gorges avance une explication. A l’époque un autre produit japonais au nom anglais triomphait dans le monde : le Walkman. Walkman, Game Boy… les adultes peuvent écouter de la musique en marchant, les plus jeunes peuvent jouer avec une console en déplacement. L’ère de la mobilité numérique est en train de naître et Nintendo en est un acteur majeur.

01net.com – La Game Gear, de Sega… A moins que ce ne soit le Game Gear…

La Game Gear… une console de Nintendo

Au cours du développement du Game Boy, les équipes de Gunpei Yokoi ont été confrontées à un problème majeur. En août 1987, alors qu’elles étaient à quelques jours de signer un accord avec Citizen pour que cette société fournisse les écrans de sa future console portable, le patron de Nintendo, Hiroshi Yamauchi, a décidé que ce serait avec Sharp que l’affaire serait faite. Sharp était déjà le fournisseur des écrans pour les Game & Watch. Néanmoins, au cours d’âpres négociations, le partenaire historique n’avait pas réussi à s’aligner, aussi bien techniquement que financièrement. Citizen avait donc été retenue.

Au Japon, dans le milieu des affaires, respecter un engagement est une affaire d’honneur. Se voyant contrainte de ne pas retenir Citizen, l’équipe de R&D1 a dû trouver une excuse pour faire passer la pilule et gagner du temps. Il a donc été expliqué à Citizen que Sharp était retenu pour l’écran du Game Boy. Pour sauver la face et dédommager l’entreprise, il lui a été dit que d’une part, elle se verrait peut-être confier la production des dalles de Game & Watch – ce qui, évidemment, n’est jamais arrivé – et d’autre part que l’équipe R&D1 préparait une deuxième version du Game Boy. Une version qui serait lancée un an plus tard, avec un écran couleur. C’est pour cette version que Citizen fournirait ses dalles.

Pour faire bonne mesure et montrer que ce projet n’était pas juste une excuse (ce qui était pourtant le cas), Yoshihiro Taki, un des meilleurs ingénieurs de Nintendo, a conçu les schémas techniques de cette v2 : une console 8 bit, avec un écran couleur, qui serait commercialisée pour moins de 19 000 yens.

Sentant sans doute le coup fourré, Citizen a accepté ce revers et fait bonne figure. Un an plus tard, juste après le lancement du Game Boy, Nintendo n’est évidemment pas venu confier la production d’écrans couleur pour une deuxième génération de sa console portable. Lancer un successeur si rapidement aurait été une sorte d’incongruité commerciale…

C’est là que Florent Gorges révèle un pan incroyable de l’histoire. Selon Yoshihiro Taki, un an après le lancement du Game Boy, quand Sega lance sa Game Gear, il se précipite pour l’acheter et la démonter. Il découvre alors un écran Citizen… et une configuration qui lui rappelle quelque chose.

Quelque temps plus tard, à l’occasion d’une rencontre fortuite avec un représentant de Citizen avec qui il avait sympathisé, Yoshihiro Taki pose la question qui lui brûle les lèvres. La réponse n’est pas directe mais laisse entendre que le partenaire floué de Nintendo a attendu un an pour voir si Big N tenait sa promesse. Ne voyant rien venir et se disant qu’il avait réussi à séduire le numéro 1 du marché, les équipes de Citizen seraient alors allées rendre visite à Sega, numéro 2 du marché avec les définitions techniques réalisées par Yoshihiro Taki… Un peu plus tard, la Game Gear était née…

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DR – Un exemplaire de Game & Watch, de Nintendo, avec deux écrans. Quelques années avant la DS…

Pas un mais deux pères

Ceux qui connaissent un peu l’histoire de Nintendo savent ce que les joueurs doivent à Gunpei Yokoi, le patron de la R&D1 et le créateur de nombreux gadgets et des Game & Watch. Jusqu’à présent, cet inventeur de génie était également considéré comme le père du Game Boy.

Au fil de ces interviews d’anciens ingénieurs de Nintendo, Florent Gorges a néanmoins réussi à faire émerger une autre réalité. Si Gunpei Yokoi est bien le dirigeant de la R&D1, celui qui a signé tous les documents officiels, qui a donné les consignes, c’est la vision de son second, Satoru Okada, qui l’emporte dans ce projet.

Gunpei Yokoi, plus à l’aise avec les petits gadgets que les gros projets, souhaitait produire une console beaucoup plus semblable à un Game & Watch, tandis que Satoru Okaka est persuadé qu’il faut tenter de proposer une NES mobile. Une console portable capable de faire tourner différents jeux, stockés sur des cartouches et ouverts aux éditeurs tiers.

Ces ambitions divergentes vont créer des tensions jusqu’à ce que Gunpei Yokoi, excédé, cède. Il aura toutefois la sagesse de soutenir et comprendre le projet de Satoru Okada. Il n’est donc pas le seul géniteur de la célèbre console mais a tout de même joué un rôle essentiel.

Depuis le 21 avril 1989, le Game Boy (et ses multiples descendants) s’est écoulé à quelques 200 millions d’exemplaires. Un succès colossal, mirifique, historique ! Revivre cette épopée au fil des pages de l’histoire du Game Boy de Florent Gorges, c’est comme suivre un enquêteur émérite. Son livre est une mine d’anecdotes et de révélations. Le sérieux de son travail d’historien ne fait que rendre cette aventure humaine encore plus fascinante. Profitez donc de Pâques et des ponts de mai pour vous y plonger. Après tout, on ne fête pas les trente ans d’un ami tous les jours ! 

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Pierre FONTAINE