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Délire breveté

Aujourd’hui, dans les technologies de l’information, tout se brevète. Y compris l’absurde.

Dans les entreprises de haute technologie, il y a deux écoles : celles qui exploitent l’innovation et celles qui exploitent le droit. Les unes font de la recherche puis tirent de l’argent de leurs découvertes. Les autres fouillent les failles de la loi américaine pour en tirer fortune. Elles se déclarent propriétaires de procédures aussi banales que sans rapport avec la technologie. Bel effort d’imagination, à défaut d’invention. Des exemples ?Monsieur Amazon.com a breveté le 1-click settings, un ensemble de procédures qui automatise en partie la prise de commande en ligne. L’action consiste à déposer un cookie sur le disque dur de l’internaute puis à le récupérer lors de la commande pour préremplir certains champs (nom, adresse, mode de paiement…). C’est le degré zéro de l’innovation, un retour aux racines du Web. Amazon n’a rien inventé : le cookie date de mars 1995 et c’est Netscape qui l’a créé. L’entreprise s’est contentée de protéger une série de manipulations destinées à accomplir une tâche, ce qui n’est pas permis par le droit européen.Autre lascar, Rambus, un concepteur de composants mémoire, assigne en procès ses concurrents. Motif ? L’entreprise posséderait un brevet sur l’interface de la SDRAM. Seulement voilà. Tout le monde produit de la SDRAM depuis des années sans qu’il ait jamais été question de brevet. Absurde ? Il y a pire !Une entreprise a breveté “le fait d’utiliser des couleurs de caractères différentes pour le texte courant et ses corrections dans un traitement de textes” ou encore “le fait de consigner quotidiennement dans un cahier virtuel les événements advenus au sein de l’entreprise”. L’équivalent de coller un procès aux Goncourt pour plagiat parce qu’on a déposé un brevet sur “le fait de relater son existence au quotidien dans un cahier”. On rêve !On invente énormément dans les technologies de l’information et de la communication depuis une trentaine d’années. IBM est recordman du monde de dépôt de brevets depuis longtemps, suivi par NEC et quelques autres du secteur. Le dépôt massif est devenu le signe exemplaire de réussite d’une entreprise. Mais aussi une source de revenus réelle pour certains, comme ARM, qui vivent uniquement de leur propriété intellectuelle.Les entreprises de la nouvelle économie en mal d’argent, surtout celles spécialisées dans la vente de vent (qui a pensé à déposer aquilon.com, zephir.net, e-Mistral ?), en cherchent à n’importe quel prix. Elles exploitent avec brio les brèches du droit américain, il est vrai largement discutable sur la question des brevets. Le risque est clair : cette inflation du brevet déprécie la véritable innovation au profit de la querelle juridique. Personne n’a plus le temps de se demander ce qui est vraiment original ; on laisse à la justice le soin de trancher. Et tant pis pour les vrais inventeurs ! Voulez-vous breveter le fait de vous rendre sur une page Web pour y lire une chronique ? Prenez votre temps.Prochaine chronique le jeudi 12 octobre

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Renaud Bonnet, chef de rubrique