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Confinement : pourquoi Airbnb ne rembourse pas automatiquement les réservations comme en mars

Lors du premier confinement, la plate-forme avait activé sa politique de « force majeure ». Cette fois-ci, rien n’est prévu… et les voyageurs sont exaspérés. 

Ghislain a loué un logement sur Airbnb du 30 octobre au 3 novembre pour environ 200 euros. Lorsque le confinement généralisé est décrété, il n’a pas beaucoup d’options : le délai pour être remboursé est dépassé, il décide alors de contacter Airbnb pour savoir s’ils déclenchent leur « politique de force majeure » comme lors du premier confinement. Auquel cas, il bénéficierait d’un remboursement intégral. Au téléphone, sur Facebook et par messagerie électronique, l’entreprise lui dit que « rien n’est prévu dans son cas » et qu’il ne sera pas remboursé. Très remonté contre Airbnb, Ghislain ne lâche pas le morceau. Il contacte l’association de protection des consommateurs UFC-Que choisir, relit les textes de loi, et menace la société. Un des supérieurs finit par céder. En moins de 24 heures, il reçoit l’intégralité de la somme dépensée sur son compte. « J’ai gagné », se réjouit-il. 

« Collectif remboursement Airbnb »

L’histoire de Ghislain n’est pas un cas isolé. C’est un des nombreux récits relatés le groupe privé Facebook « Collectif remboursement Airbnb » créé dimanche 1er novembre par Claude Rouget. « Je me suis dit que je ne devais pas être le seul », explique le créateur du groupe qui s’est lui-aussi retrouvé coincé avec une réservation Airbnb sur les bras, « la première de [sa] vie ». Depuis, une centaine de personnes l’ont rejoint. « L’idée c’est d’échanger entre nous, de se conseiller et de se soutenir face aux réponses ou aux silences d’Airbnb », détaille Claude, tout de même étonné du succès de la page. « Si on est nombreux, c’est plus facile. »

C’est exactement dans cet état d’esprit que Ghislain a partagé toutes les étapes de sa négociation avec Airbnb, étayée par de nombreuses captures d’écran. « Si ça peut faire bouger les choses pour les autres… », estime-t-il. Sur les conseils de l’UFC-Que choisir, il a mis « Airbnb face à ses contradictions ». Dans ses conditions générales de vente, qui n’ont pas changé depuis mars, la plate-forme indique que « les annulations sans pénalités ne s’appliquent qu’aux cas de force majeure survenus avant la date d’arrivée officielle figurant sur la réservation ». Il y a neuf mois, le premier confinement a été considéré comme un « cas de force majeure », le deuxième devrait logiquement l’être aussi. « Même s’il s’agit d’une entreprise américaine, ils doivent à minima respecter leurs propres règles », analyse l’association de protection des consommateurs. 

En cas de force majeure, les contrats ne tiennent plus

Il ajoute à ces contradictions internes la loi française. L’article 1218 du Code civil français protège les consommateurs face à ce genre de situations : « il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. […] Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations », détaille la législation. En clair, si le contrat ne peut être respecté par les deux parties pour des raisons indépendantes de leur volonté (l’interdiction de se déplacer édictée par le gouvernement le 28 octobre dernier jusqu’au 1er décembre), l’obligation de payer ne tient plus. Sauf qu’Airbnb n’est pas partie prenante, mais un simple intermédiaire… 

C’est pourquoi d’autres n’ont pas eu la chance de Ghislain. L’une des membres du groupe, Marion, est par exemple toujours face à un dilemme : soit elle annule de sa propre initiative et récupère seulement 50 % du montant de sa réservation (environ 100 euros), soit elle attend en prenant le risque de tout perdre (un peu plus du double). Sa situation est pourtant très clairement un « cas de force majeure » : son vol pour Prague a été annulé et la République tchèque, pays où elle a fait sa réservation, est confinée depuis le 23 octobre, prohibant « tout hébergement hors voyages d’affaires », selon le site France diplomatie. « Airbnb et l’hôte ne veulent rien entendre. Ils se renvoient la balle », déplore-t-elle.

Airbnb, non-responsable ? 

« Nous souhaitons aider autant que possible les hôtes et les voyageurs à respecter les règles et rester en sécurité. […] Sur Airbnb, les hôtes fixent leurs propres conditions d’annulation. La grande majorité d’entre eux ont des politiques permettant aux voyageurs d’annuler sans pénalité. […] Notre équipe de soutien aux utilisateurs est également disponible pour aider les voyageurs », explique de son côté l’entreprise, qui plaide non-responsable. Airbnb n’est « ni une agence de voyage, ni une agence immobilière », rappelle le service de communication de l’entreprise. La plate-forme propose des « politiques flexibles de remboursement  », mais ce sont les hôtes qui décident. 

Certains voyageurs arrivent ainsi à trouver des arrangements avec des hôtes compréhensifs. Faute de remboursement intégral, Alice* et ses amis ont réussi à négocier : le propriétaire a finalement accepté de les rembourser à hauteur de 70 %. « C’est toujours mieux que rien », estime la jeune femme. 

Allô, le quai d’Orsay ? 

D’autres sont plus virulents. Le dédouanement d’Airbnb ne les convainc pas. Le militant du collectif Paris vs Bnb, Vincent Aulnay, également intégré au groupe Facebook « collectif remboursement Airbnb » a ainsi interpellé directement le secrétaire d’État au Tourisme, Jean-Baptiste Lemoyne, sur Twitter. Sollicité, le ministre n’a pas souhaité donner suite à notre demande.

Dans son plan de relance annoncé en juin dernier, le gouvernement a prévu une enveloppe de 18 milliards d’euros pour soutenir le secteur de l’hôtellerie, qui comprend « les hébergements de courte durée ». Mais l’aide est destinée aux loueurs « professionnels » et non aux particuliers, majoritaires sur Airbnb.

Si l’État met la main à la poche, Airbnb se dit à sec. Le CEO de l’entreprise, Brian Chesky, a affirmé qu’il s’attendait à voir ses revenus amputés de moitié en 2020 (environ 2,2 milliards de dollars). En 2019, le chiffre d’affaires d’Airbnb s’élevait à 4,8 milliards de dollars. La politique de force majeure y serait pour quelque chose. La plate-forme a créé un fonds de 250 millions de dollars pour soutenir financièrement les hôtes. Depuis, l’entreprise s’est même séparée de 25 % de ses effectifs

Airbnb, hôtes, voyageurs, personne n’y trouve son compte. Et la situation ne va pas en s’améliorant : les membres du groupe Facebook sont de plus en plus nombreux, les réclamations s’accumulent dans la boîte d’Airbnb, les annulations pleuvent et le mécontentement grossit… Dans ces conditions, la gestion au cas par cas qu’a adopté Airbnb semble difficile à tenir. 

*Le prénom a été modifié. 

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Marion SIMON-RAINAUD