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Comment les campagnes de désinformations russes aux Etats-Unis ont triomphé grâce aux mèmes

Pour exacerber les colères et les croyances, les trolls russes ont avant tout misé sur la diffusion d’images virales accompagnées de textes courts. Une arme de désinformation massive particulièrement efficace et difficile à contrer.

On le sait, l’opération de désinformation pilotée par l’usine à trolls « Internet Research Agency » (IRA) de Saint-Pétersbourg a tenté d’influencer l’élection présidentielle états-unienne de 2016 par la diffusion de messages et de publicités à travers les réseaux sociaux.
Deux nouveaux rapports commandités par le comité du sénat relatif aux activités de renseignement montrent maintenant que cette opération était bien plus vaste et organisée que l’on imaginait.

Ces rapports se sont appuyés sur des données brutes fournies par les groupes qui opèrent des réseaux sociaux, principalement Facebook, Twitter et Alphabet. Après analyse, il s’est avéré que cette opération était « une attaque cross-plate-forme qui a fait usage des nombreuses fonctionnalités offertes par chaque réseau social et qui a couvert tout l’écosystème social », explique Renée DiResta, directrice des recherches chez New Knowledge, dans les colonnes du New York Times. Ce cabinet d’analyse a rédigé l’un des deux rapports.

Un enchevêtrement de canaux dense et organisé

Les trolls russes ont réussi à diffuser leur poison de manière coordonnée pendant des années, à travers 3 841 comptes Twitter, 17 chaînes YouTube, 133 comptes Instagram et 81 pages Facebook. Au travers de ces canaux, ils ont réussi à susciter 77 millions de réactions sur Facebook, 187 millions sur Instagram et 73 millions sur Twitter. Le but recherché était de polariser la population des Etats-Unis tout en favorisant l’élection de Donald Trump. « [Cette opération] était conçue pour exploiter les fractures sociétales, brouiller les frontières entre réalité et fiction, saper la confiance dans les médias, dans l’écosystème de l’information, dans le gouvernement, en autrui et dans la démocratie. Cette campagne a poursuivi tous ces objectifs de manière innovante, large et précise », est-il écrit dans le rapport de New Knowledge.

Pour s’en rendre compte, il suffit d’observer l’enchevêtrement des canaux sociaux utilisés pour cibler les afro-américains, l’un des groupes que les trolls russes avaient particulièrement en ligne de mire.
Pour distiller leurs « fake news », les trolls russes se sont appuyés, entre autres, sur un réseau particulièrement dense de comptes Facebook et Instagram qui se renvoyaient systématiquement la balle.

Mais quelles que soient les personnes ciblées, l’un des outils les plus utilisés dans cette campagne d’influence est… le mème. Cette image virale, souvent accompagnée d’un court slogan, est particulièrement efficace pour exacerber une colère, une croyance ou un ressentiment.
« Les mèmes transforment les grandes idées en petits bouts extrêmement émotionnels, en particulier parce qu’ils correspondent à notre façon de consommer de l’information : grande image, peu de texte, très compréhensible avec un effort minimum. Les mèmes sont la propagande de l’ère numérique », souligne le rapport de New Knowledge.  

Les trolls russes ont utilisé les mèmes partout et pour tous les types de messages. Aussi bien pour souffler sur les braises du racisme que pour rallumer la flamme de la religiosité ou du nationalisme. Ces images peuvent facilement être partagées et recontextualisées. Parfois, elles se transforment en bannière de ralliement, ce qui n’a pas empêché les trolls russes de les réutiliser pour différents groupes, quitte à changer un petit logo dans un coin. « Une grande partie des plus de 100.000 éléments de contenu visuel de l’IRA contenus dans le set de données fourni au comité du sénat étaient des mèmes populaires réutilisés », souligne le rapport. Les chercheurs remarquent d’ailleurs que la plate-forme Instagram, centrée sur l’image, a été la plus efficace en terme de réactions et d’engagements.

Pour influencer et attirer les Américains, les trolls russes n’ont pas hésité à mixer le mème avec des méthodes de manipulation plus classiques, comme l’exploitation d’une vulnérabilité personnelle ou d’un secret.
Ainsi, les chercheurs ont remarqué des annonces sur la masturbation ou l’identité sexuelle pour entrer en contact avec certains types de personnes (en occurrence les personnes religieuses ou transgenres). Le but étant de gagner leur confiance.

Plus cette campagne de trolls russes est analysée, plus il apparaît qu’elle a été soigneusement planifiée et exécutée. C’est véritablement du grand art. Et c’est une nouvelle menace à laquelle les pays démocratiques vont devoir se confronter sans renier leur âme. La tâche n’est pas facile, car il faut se battre contre des mèmes tout en préservant la liberté d’expression.

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Gilbert KALLENBORN