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« Arnaque », « escrocs »… Quand des avis négatifs ou virulents sur le Web relèvent de la liberté d’expression

Diffamation ou liberté d’expression ? Une cour d’appel a confirmé qu’une plateforme, sur laquelle des particuliers signalent des arnaques dont ils s’estiment victimes, n’a pas à supprimer les commentaires acerbes voire très fleuris des internautes – si certaines conditions sont remplies. Cette affaire opposait la plateforme Signal-Arnaques.com et une entreprise épinglée sur ce site web par des particuliers. La société demandait le retrait de ces commentaires qu’elle jugeait dénigrants.

Traiter sur le web une société de « véritable arnaque », ou la décrire comme étant un repaire de « gangsters », à votre avis, est-ce licite ? Un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 7 septembre, commenté par L’Informé mercredi 13 septembre, est venu rappeler les règles en la matière, dans une affaire qui devait trancher entre liberté d’expression sur le web et diffamation – on parle de « dénigrement » quand un service ou une entreprise est concernée. Le litige opposait d’un côté Signal-Arnaques.com, une plateforme qui, comme son nom l’indique, publie les avis des particuliers qui s’estiment victimes d’escroqueries en ligne. De l’autre, une société privée, Affichage Pour les Entreprises ou A.P.E, qui démarche des entrepreneurs venant de créer leur entreprise.

Un entête « Affichage obligatoire »

Concrètement, cette entreprise leur envoie un courrier avec, en entête, « Affichage obligatoire » en lettres majuscules. On peut y lire qu’elle propose de réaliser « des formalités d’affichage ». Problème : dans ce courrier présenté sous la forme d’un formulaire, il est précisé que : « La loi vous impose certains documents d’information dans votre entreprise sous peine de sanctions pénales. Le non-respect de cet affichage peut entraîner une amende pouvant aller jusqu’à 1 500 euros », selon un exemplaire publié sur la plateforme.  Un paiement de 198,12 euros est demandé. Pour les destinataires, des personnes qui viennent d’enregistrer leur société, ce message peut sembler émaner d’un organisme officiel, et la démarche peut paraître obligatoire.

Pourtant, ces formalités ne le sont pas – obligatoires : « pour les autoentrepreneurs et les indépendants sans salarié », elles sont facultatives. Cela était bien rappelé dans le même courrier de la société mais très discrètement, dans un encadré situé tout en bas de la page, et « en petit format », relèvent les juges.

« Arnaques », « pratiques frauduleuses »….

Des entrepreneurs ont alors, sur Signal-arnaques.com, décrit APE comme étant « une arnaque », expliquant qu’il ne fallait surtout pas payer cette somme. Dans ces commentaires, certains déploraient des « pratiques frauduleuses déloyales », émanant de « gangsters », relèvent les juges.

En retour, APE a demandé au site de retirer ces commentaires qu’elle estimait dénigrants. Et face au refus de la plateforme, la société a attaqué en justice l’éditeur du site, Hérétic. Les juges de première instance lui ont donné tort, et la cour d’appel de Paris a fait de même. Pour les magistrats, les commentaires étaient certes « empreints d’une certaine virulence, mais ils n’apparaissent pas dépasser la libre critique (…) ».

« Le dénigrement allégué ne dépasse pas les limites admissibles de la liberté d’expression »

Car « ces termes, employés par des personnes s’estimant avoir été victimes d’agissements douteux, (sont) à replacer dans la libre critique d’internautes, déçus par le service, évoquant leurs expériences personnelles et cherchant à aviser les autres personnes pouvant être contactées par APE », explique la cour. En résumé, « le dénigrement allégué ne dépasse pas les limites admissibles de la liberté d’expression ».

Traduction : il n’est normalement pas permis de dénigrer une entreprise ou un service – en traitant une société d’arnaqueurs, vous pouvez vous exposer à des dommages et intérêts à payer. Mais dans certains cas, la liberté d’expression prime, si deux conditions sont remplies. Le sujet concerné doit être « d’intérêt général » – ce qui est le cas ici puisqu’il s’agissait d’informer les entrepreneurs de cette démarche d’affichage non obligatoire.

Et ces critiques et propos virulents doivent s’appuyer « sur une base factuelle suffisante » – une condition aussi remplie ici, avec la présentation du courrier qui peut prêter à confusion et le fait que la démarche présentée ne soit pas obligatoire. La demande de suppression des commentaires et de dommages et intérêts est donc refusée. Pour Signal-Arnaques.com, il s’agit « d’une victoire importante pour les victimes de procédures-bâillons et la protection des consommateurs », explique la plateforme sur son compte Twitter. Contacté par 01net, APE et son conseil n’avaient pas répondu à notre demande de commentaires à l’heure de la publication de cet article. 

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Source : L'Informé


Stéphanie Bascou