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À la recherche d’un guichet virtuel viable

Egg compte sur l’achat de Zebank pour conquérir le marché français et être profitable d’ici à 2005. Même si le modèle de l’e-banque “pure player” reste à valider.

Le rachat de Zebank par la banque en ligne britannique Egg marque la fin d’une histoire mouvementée. Celle d’un ambitieux hypermarché bancaire en ligne inventé, créé et géré par un groupe étranger au monde bancaire, Europatweb, filiale à 80 % du groupe Arnault.Place donc à Egg, filiale à 80 % de l’assureur britannique Prudential, et à ses ambitions : à savoir conquérir 1 million de clients en France en trois ans. Son objectif : atteindre l’équilibre financier en 2004, en dépit d’un investissement global d’environ 150 millions d’euros (1 milliard de francs) pour le marketing et l’installation de la marque (84 millions d’euros), le développement (25 millions), la recapitalisation de Zebank (30 millions) et le rachat du capital de celle-ci (8 millions), savoir-faire et clientèle inclus. Pour atteindre ce but, Egg, distribuée essentiellement par internet et par téléphone en Grande-Bretagne, s’appuiera également sur l’accord de distribution passé avec Sephora et La Samaritaine, des enseignes du groupe Arnault.

Le monde bancaire dubitatif

Les ambitions d’Egg font cependant sourire certains concurrents. Lors d’une conférence de presse, Michel Guillois, président de la banque à distance Covefi, a ainsi lâché : “1 million de clients… Je suis prêt à parier qu’ils ne les auront pas. Egg sera quasiment obligé de repartir de zéro et, dans un marché français qui offre des marges beaucoup plus faibles qu’en Grande-Bretagne, il leur sera nettement plus difficile de se démarquer.” Une manière un peu crue d’amplifier l’analyse de Remus Brett, analyste senior chez Forrester Research, pour qui Zebank “a peu de choses à offrir à Egg, hors un accord de distribution exclusif de ses cartes de crédit, signé avec LVMH”.A tout le moins, la déconfiture de Zebank donne à réfléchir. Selon Isabelle Boni, directrice générale de Discountis.com, “installer un modèle de banque “tout à distance” dans une relation bancaire globale est infiniment plus difficile que de se présenter comme la deuxième, voire la troisième banque du client, avec un ou deux produits”. Son principal argument :“Toutes les études montrent que 75 % des clients restent attachés à une relation de proximité avec leur banquier, régulièrement agrémentée d’un face-à-face.” Toutefois, la mission n’est pas impossible, comme le démontre l’insolente réussite de la banque Covefi. Filiale de 3 Suisses International (66 %) et de Cetelem (34 %), cette petite banque lilloise fait un peu figure d’exception dans le milieu, parce qu’elle gagne de l’argent : environ 7,4 millions d’euros avant impôts en 2001, pour un produit net bancaire de 52,6 millions. “Nous proposons une gamme complète de produits bancaires [compte courant, cartes de crédit, livret d’épargne, etc.], souligne Thierry Vittu, directeur général de Covefi. Mais nous ne cherchons pas à devenir la première ni la seule banque du client. Pour nous, le succès ne dépend pas de l’offre de produits bancaires, mais bien de la place réservée au client. Trop de banques, qu’elles soient à distance ou non, ont tendance à l’oublier, le client !” La banque en ligne nécessiterait donc avant tout des produits simples.La stratégie de Banque Directe, filiale de BNP-Paribas, s’approche de celle développée par Covefi. “Après une forte croissance de nos activités l’année dernière [35 % de nouveaux comptes, pour un total de 160 000 comptes, ndlr], nous entrons dans une phase de croissance maîtrisée, explique Anne Souvayre, directrice de la communication. Mais notre objectif est clairement de devenir la première banque du client. No-tre rentabilité, prévue pour 2004-2005, est étroitement liée à notre capacité à relever ce défi.” Un client BNP-Paribas dispose en moyenne de 7 produits bancaires contre une moyenne de 4 produits chez Banque Directe.“Ce qui nous a le plus manqué jusqu’ici, poursuit Anne Souvayre, c’est une politique de fidélisation de clients attirés chez nous par des produits d’appel comme le livret d’épargne [4 % brut].” Autre comparaison intéressante : Covefi amortit les coûts d’acquisition d’un client dès que celui-ci “consomme” 2 produits bancaires. D’où vient la différence ? Banque Directe a englouti des millions d’euros en communication grand public, alors que Covefi s’est concentrée sur des opérations de marketing direct.

Convaincre de sa pérennité

A l’inverse, André Coisne, directeur général d’ING Direct considère que “le facteur principal de notre réussite [180 000 clients et 3,2 milliards d’euros de dépôts, ndlr], c’est notre offre produits !” En l’occurrence, un compte d’épargne à haut rendement.“Quand j’ai rejoint ING au cours de l’été 1999, admet-il pourtant, j’avais quelques doutes sur la pertinence d’un modèle économique basé sur un seul produit. Mais ça marche. Même s’il faut reconnaître que nous avons bénéficié d’une prime très claire au titre de premier entrant sur ce marché de l’épargne en ligne.” Le nom ING aurait également facilité l’implantation en France. “L’importance de la marque est énorme, confirme André Coisne. Pour nous, le défi va être de convaincre qu’ING Direct est là pour rester. Les gens sont un peu échaudés par ces opérateurs qui viennent et repartent. Il y a pourtant de la place en France pour des modèles cohérents de banque à distance.” Une pierre dans le jardin de Dexiaplus et d’e-Fortis, deux projets de banque en ligne avortés en 2001…Reste l’inconnue Bipop. La banque en ligne italienne s’est fait connaître par un produit d’appel phénoménal, un carnet d’épargne rémunéré à 6,1 % brut. Aujourd’hui, le taux ne dépasse pas les 4 %. Dès le démarrage de ses activités françaises, la petite banque italienne avait prévenu que la rémunération du livret d’épargne tendrait à rejoindre le taux de référence de la Banque centrale européenne (BCE). Pas de surprise donc. La stratégie de Bipop revient en réalité à attirer le chaland par un produit performant, pour ensuite essayer de lui vendre du conseil en placement, par le biais de conseillers financiers qui se déplacent chez les clients. Actuellement, Bipop emploie 80 conseillers. Elle compte ouvrir une série de boutiques financières en France au cours des prochains mois.“Nous réfléchissons également à une offre de crédit et d’assurance IARD [incendie, accident, responsabilité, dommage, ndlr]”, explique-t-on chez Bipop. Une expérience originale, à suivre avec d’autant plus d’attention que l’établissement italien n’a encore réussi à convaincre aucun banquier en France… Notamment parce que la banque italienne préserve jalousement le secret sur ses chiffres d’activité.

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Michel Gassée