Passer au contenu

404 (sans laisser d’adresse)

Ça recommence régulièrement. Peut-être une sorte de cycle du réseau des réseaux, qui fait qu’un summum de désordre est atteint avant que la tendance ne s’inverse, et que de nouveau, les choses, liens et êtres, retrouvent une place.

C’est une de ces périodes où mes signets ne conduisent plus à rien. Soigneusement conservés, ils débouchent finalement sur des pages closes, sur des sites morts, sur rien du tout, ou chez un enregistreur qui veut me vendre le nom. Pas de ruines dans le numérique, ce qui disparaît s’abime sans traces.Et ce genre de choses ne concerne pas que le Web au sens strict. Je trouve un message sur mon répondeur : “… ce serait bien qu’on dîne ensemble, rappelle moi ou envoie moi un mail”. Je cherche dans ma boite aux lettres le plus récent courrier électronique de la personne, j’expédie, et dix minutes après c’est de retour : “Unable to deliver this mail, this adress has permanent fatal errors”. Fatal errors ! Mais ça veut dire quoi fatal ? ” Imposé, conduit par un destin inexorable, irrévocable “. C’est exactement ça, vous n’y pouvez rien, ça ne passera pas. Destin du Réseau ?Je cherche dans mon agenda. J’y trouve une adresse périmée (le fournisseur d’accès a disparu), un numéro professionnel dans une entreprise qui n’existe plus (une start-up), et un numéro de mobile, crédible. Eh bien non. L’énervante voix synthétique me fait savoir en boucle que : “le numéro que vous avez demandé n’est plus en service actuellement.”… Bon.Et la page perso de cette amie ? J’y trouverai peut-être un indice. L’URL me conduit jusqu’à un superbe 404
not found. Bien entendu, j’aurais dû m’en douter, le site s’est déplacé, ou il a disparu.C’est comme ça, par moments, plus rien n’est à sa place sur le Réseau, tout a bougé, sites, adresses électroniques, numéros de téléphone sont devenus sans issue. Un désordre qui me rassure quant à l’utilisation systématisée du Réseau comme outil de surveillance… le repérage des individus y est tellement peu pérenne que les traces qu’ils laissent seraient bien capables de ne mener à rien.Pourtant, ce phénomène me laisse songeur. Quel devenir pour nos identités numériques ? Avec les réseaux de communication, on pensait avoir à faire à une fiabilité hors pair, une espèce de proximité de l’autre, toujours présent quelque part, là-bas, à l’autre bout. En fait, on s’aperçoit que la notion de personne n’a pas tant d’épaisseur que cela en ligne, qu’elle n’est l’objet d’aucune unification, d’aucun soin de préservation.Adresses, sites, numéros de téléphone, tout cela se renouvelle à grande vitesse, au fil des changements d’activités, des offres promotionnelles, de la disparition des prestataires de services. Sans réflexion sur l’unicité de la personne. Les fils se multiplient, avec les identités, les adresses, participent au tissage de l’ensemble, mais cessent un jour de conduire où que ce soit, dessinant seulement alors la complexité vide de la structure.L’identifiant, l’adresse, le numéro de téléphone ne sont que des identités de passage, des habits que l’on retire et que l’on jette, et qui s’accumulent dans l’entrepôt des données mortes. Bien entendu, les gens déménageaient déjà avant, mais pas à cette fréquence, pas avec cette rage.Et puis le réseau n’enregistre qu’à moitié les modifications, il refusera de vous conduire à un lien mort, mais continuera à vous l’afficher durant des mois ou des années, dans les moteurs de recherche et sur les sites. Individus fantômes, sites fantômes, liens fantômes, adresses fantômes criant sur tous les tons “404”.

🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.


Renaud Bonnet