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Quand la passion tourne à l’obsession

Qu’il est difficile de décrocher du Web ou d’un jeu vidéo ! A tel point que la passion peut parfois confiner à la manie.

Lucien, banquier à la retraite, passe la majeure partie de son temps à jouer sur le Web. ‘ Il est devenu sauvage ‘, remarque son épouse. Et son entourage s’interroge : est-il un passionné ou un cyberdépendant ? L’intéressé écarte l’idée qu’il puisse être malade. Pourtant, la dépendance prend des formes très variées ­ aux jeux d’argent, au sexe, aux drogues licites ou illicites, au travail, au sport, aux achats, à Internet, aux jeux vidéo… Selon Dan Véléa, psychiatre au centre médical Marmottan, le point commun entre ces pathologies est ‘ la perte de contrôle, la recherche de sensations et de plaisir de manière compulsive ‘.Mais gare aux conclusions hâtives : ‘ Quand un cyberdépendant a conscience de sa soumission,il n’est pas en état de manque s’il n’a pas de connexion ; il éprouve de la tristesse. ‘ Dans leur ouvrage Encore Plus !(1), les psychiatres Jean Adès et Michel Lejoyeux font le même constat en s’appuyant sur des études américaines et des témoignages d’internautes compulsifs comme Stéphane. Cet ingénieur en informatique de 40 ans, divorcé depuis trois ans, confesse ‘ s’être remarié avec son ordinateur ‘.

Conjoints ou parents s’inquiètent

Quant à Claude, un médecin généraliste de 40 ans, il confie : ‘ Au début, l’ordinateur était un passe-temps que j’utilisais surtout pour jouer avec mes enfants. J’ai découvert peu à peu l’intérêt d’Internet pour mon travail. […] En fait, je peux naviguer toute une nuit sur les sites médicaux, même dans des domaines qui ne sont pas les miens. […] Je ne suis pas un toxicomane. Un grand consommateur, peut-être, car je ne peux plus me passer du Net. ‘ Rares sont les adultes qui reconnaissent leur assuétude à Internet. Cette pathologie est encore perçue comme une maladie honteuse. Sans oublier que ‘ l’usage de cet outil est valorisé dans notre société ‘, souligne le psychiatre Dan Véléa. Le centre médical Marmottan reçoit néanmoins des appels de parents ou de conjoints qui s’inquiètent du comportement de leurs proches, accro au jeu vidéo ou à Internet.Dès lors qu’une baisse d’intérêt dans les activités scolaires ou le travail a été notée par l’entourage, l’équipe suggère d’amener les enfants en consultation, s’ils sont volontaires. Le plus souvent, ‘ les adolescents refusent. Certains acceptent pour faire plaisir à leurs parents, mais ils ne reviennent pas ‘, constate Dan Véléa. Ce psychiatre qui prépare un guide sur l’usage des nouvelles technologies à l’attention des parents, leur conseille d’abord de rétablir le dialogue avec leur enfant. A ses yeux, il convient non pas d’interdire mais d’éduquer les jeunes à bien utiliser l’outil. Cependant, il tient à relativiser l’ampleur de la cyberdépendance : ‘ La population qui utilise Internet de manière inappropriée et excessive est peu nombreuse. ‘Au centre Montevideo, récemment ouvert à Paris et spécialisé dans le traitement des dépendances, le docteur William Lowenstein explique le risque, en forçant volontairement le trait : ‘ La consultation permet de souligner l’insuffisance du dialogue familial et la place du monologue informatique. L’adolescent peut alors se créer deux mondes : l’un figé représenté par les parents et l’école, dans lequel il ne peut que s’ennuyer ; l’autre moderne, ouvert, toujours en mouvement. ‘Le directeur de cette clinique assure que près de la moitié de ses patients ont entre 13 et 25 ans, la majeure partie souffrant de cyberdépendance, parfois associée à la prise de drogues ­ on parle alors de polydépendance. Conscient de la nécessité d’un apprentissage de l’outil, William Lowenstein fait parfois intervenir un professeur d’informatique. Une psychothérapie associée à une solution médicamenteuse peut aussi s’imposer.

12 heures par jour pendant trois ans

Ainsi le docteur Bert Te Wildt, psychiatre à Hanovre, a récemment rendu compte du cas de l’une de ses patientes.A 28 ans, cette jeune Allemande a perdu son emploi et son ami l’a quittée. Elle a commencé par surfer sur Internet, puis elle a découvert un jeu qui consiste à créer un personnage ?”uvrant dans une entreprise au Moyen Age. La jeune femme s’est choisi pour avatar un homme puissant qui réussissait tout ce qu’il entreprenait. Elle s’est adonnée à ce jeu douze heures par jour pendant trois ans. Au terme de cette période, elle a ‘ suicidé ‘ son personnage et sombré dans une dépression aggravée d’un dédoublement de sa personnalité. Selon son médecin, elle ne parvenait pas à faire le deuil de son double virtuel qui lui donnait le sentiment d’être forte. Aujourd’hui, bonne nouvelle : la jeune femme est amoureuse et a trouvé un emploi… dans les pompes funèbres. Morale de cette histoire : surfons avec modération !(1) Editions Odile Jacob, 24,40 euros (160 francs)

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Valérie Quélier