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Risquez-vous d’être traqué par le fisc sur les réseaux sociaux ?

L’administration fiscale veut scruter les signes extérieurs de richesse des contribuables sur le web. Une démarche jugée intrusive et massive par la commission qui entend bien veiller à sa légalité.

[MAJ du 13/11/2018 à 17h30] Gérald Darmanin est-il allé un peu vite en besogne en déclarant que le fisc allait scruter les réseaux sociaux dès le début de l’année prochaine pour affiner son contrôle ? C’est probable car la CNIL affirme aujourd’hui ne pas avoir encore été saisie officiellement du sujet. La Commission se montre aussi très prudente sur cette démarche. « Le fait que les données soient accessibles publiquement ne leur ôte pas leur caractère de données personnelles et l’exigence de protection de la vie privée s’applique », nous a déclaré un porte-parole de la CNIL. Une base légale claire et explicite doit donc être développée à cet effet. La Commission souligne, de plus, le caractère intrusif et massif de ce test. « Un projet de ce type soulève, par nature, d’importantes questions de proportionnalité (périmètre des sources ouvertes concernées, types de fraude, agents habilités, durées de conservation)», a encore évoqué le porte-parole.

[Première version de l’article le 13/11/2018 à 09h00]

Des photos de vous en vacances dans un palace aux Seychelles peuvent-elles vous valoir un contrôle fiscal inopiné ? C’est la question que tous les contribuables se posent depuis que le ministre de l’Action et des Comptes publics Gérarld Darmanin a déclaré ceci dans l’émission Capital : 

« Nous allons pouvoir mettre les réseaux sociaux dans une grande base de données (..)  Si vous vous faites prendre en photo avec une voiture de luxe alors que vous n’avez pas les moyens pour le faire, peut-être que c’est votre cousin ou votre copine qui vous l’a prêtée, ou peut-être pas »

Gérald Darmanin a précisé qu’il s’agirait juste d’une expérimentation et qu’elle débuterait au début de l’année prochaine. Cette initiative est directement liée au projet de loi contre la fraude et l’évasion fiscale, adopté par les parlementaires au mois d’octobre dernier et qui attend maintenant d’être appliqué. Le texte a pour ambition de créer une police fiscale spécialisée avec des pouvoirs très étendus dont celui de mener des écoutes, des perquisitions et des poursuites. Et donc de collecter des données sur les réseaux sociaux. De quoi effrayer les Français.

Quelles sont les données concernées ?

Il s’agit des données dites « ouvertes  », c’est-à-dire mise en lignes sur le web volontairement et de façon publique. Vos contenus publiés sur un compte fermé restent donc protégés.

Tous les internautes seront-ils surveillés ?

Non. A Bercy, on a tenté de nous rassurer. « Il ne s’agit absolument pas d’une surveillance généralisée de tous les Français », nous a confié un porte-parole. Mais d’enrichir des données fiscales déjà détenues par l’administration. Le tout pour détecter des revenus occultes ou une fraude à la résidence. En clair, si les impôts suspectent une incohérence entre le train de vie d’une personne et les revenus qu’elle a déclaré, ils se pencheront sur les contenus qu’elle a postés aux yeux de tous sur les réseaux sociaux.

Ces données pourront-elles déclencher un contrôle fiscal ?

Non. « Ces données ouvertes ne serviront que d’indices, qui croisés avec d’autres données, peuvent conduire l’administration à ouvrir un contrôle », nous a encore indiqué Bercy. Un redressement ne pourra intervenir sur cette base seule et l’administration devra démontrer la fraude sur la base d’éléments objectifs.

A quoi ressemblera le dispositif ?

Les contours de ce pilote sont encore flous. Qu’est-ce qui déclenchera précisément l’inspection de ces données ouvertes : un simple doute ou une enquête déjà ouverte ? Comment les données seront-elles collectées ? Gérald Darmanin a évoqué une grande base de données : les informations seront-elles conservées dans un fichier, comment et combien de temps ? Serviront-elles à alimenter un algorithme afin d’établir des profils de fraudeurs ? « Il est encore trop tôt pour répondre aux questions pratiques, le dossier est en cours de préparation par l’administration fiscale », nous a répondu Bercy.

Y a-t-il des précédents en France ?

Le projet n’en est pas à ses débuts. La Direction générale des Finances publiques (DGFiP) a publié un document de politique transversale 2018 sur la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale où elle décrit ses prémisses. Car elle mise depuis plusieurs années déjà sur le datamining, c’est-à-dire l’analyse massive de données. Une cellule spécialisée a même été créée au printemps 2017 pour traquer les entreprises avec ces nouvelles méthodes dans le cadre d’un dispositif expérimental. Déclarations de revenus, opérations bancaires, factures, salaires, et contenus postés sur le web sont déjà croisés et passés au peigne fin.

Au cours de l’été 2017, la CNIL a donné son accord pour élargir le test aux particuliers durant deux ans. « La valeur ajoutée de ces productions repose sur le décloisonnement des informations et sur la capacité à automatiser la détection d’anomalies ou d’incohérences qui n’auraient pu être détectées qu’au terme de consultations manuelles et répétitives des applications informatiques », indique la DGFiP dans son document. L’idée étant bien d’automatiser une recherche fastidieuse et d’établir des « zones à risques »  en développant un logiciel capable de croiser tous seuls les multiples données qui lui seront soumises et d’émettre des alertes.

Le fisc peut-il se dispenser de respecter le RGPD ?

La question de la mise en conformité avec le règlement européen du RGPD se pose. Si tous les éditeurs sont obligés aujourd’hui de recueillir le consentement éclairé des internautes pour recueillir leurs données, le fisc, lui, peut s’en passer, comme le rappellent nos confrères de Nextinpact. Le  RGPD prévoit des exceptions et la lutte contre l’évasion fiscale en fait partie. A condition que la prise de décision ne s’appuie pas uniquement sur ce système et que ce dernier soit conforme aux règles des organes de contrôle nationaux. C’est là qu’intervient la CNIL. Elle aura donc pour mission de se prononcer sur cette nouvelle expérimentation et de veiller à la cadrer. Mais elle ne pourra pas remettre en cause la légalité d’une telle pratique.

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Amélie Charnay