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Profit warning : un mal nécessaire

Le cas Marconi, poursuivi pour divulgation de fausses informations, révèle le périlleux exercice de l’alerte sur bénéfices. À son tour, la France en fait l’apprentissage.

Le conseil d’administration et le management s’attellent à restaurer les performances et l’image du groupe“, s’est excusé Roger Hurn, le PDG de Marconi, dans une lettre aux actionnaires. Cela ne pourra toutefois pas éviter au groupe une pénalité financière. Un mois avant l’annonce de la révision à la baisse de ses prévisions et de 4 000 suppressions de postes, la direction s’évertuait à minimiser l’impact du ralentissement économique. Une volte-face qui a ulcéré les analystes américains, excédés depuis début 2001 par les faux pas de communication.

Forte culture actionnariale

Selon les deux cabinets juridiques américains qui ont déposé un recours collectif, au nom des actionnaires de Marconi, l’équipementier en télécoms a violé au moins deux articles de la SEC (Securities and Exchange Commission), en diffusant des propos “ matériellement faux et trompeurs“. Procter & Gamble, mis en cause dans un cas semblable, a accepté en mai de s’acquitter de 49 millions de dollars (57,47 millions d’euros).Mais, astreinte financière ou pas, le mal est fait. Marconi s’est fait une spectaculaire mauvaise publicité, et sa valeur boursière a fondu de moitié. Il est vrai que l’exercice est délicat. Une révision précoce à la baisse implique une chute précoce du titre, une communication tardive vaut une sanction aggravée d’une punition.Aux États-Unis, le profit warning (alerte sur les profits), pour n’être pas précisément réglementé, est quand même encadré par une forte culture actionnariale et une longue jurisprudence. Selon les règles instituées par la SEC, les compagnies américaines, dont les avoirs sont supérieurs à 10 millions de dollars et dont les titres sont détenus par plus de 500 actionnaires, sont dans l’obligation de faire une déclaration trimestrielle. Mais rien ne les oblige en revanche à publier leurs estimations. Leur divulgation est pourtant devenue une routine d’usage en raison de son influence sur les marchés. Et la réglementation a tendance à se durcir.Depuis le 15 mars, les entreprises, avant de remplir le fameux formulaire 10-Q pour leurs résultats trimestriels, doivent les faire valider par des ” audits ” indépendants. Enfin, alors qu’auparavant ces résultats financiers étaient d’abord confiés aux analystes de Wall Street ou aux gros investisseurs, une nouvelle loi dite de ” fair disclosure ” impose, depuis octobre, de les communiquer simultanément à tous les investisseurs. Les estimations sur lesquelles reposent les ” consensus “?” les prévisions de la Bourse sur les profits de chaque valeur ?” sont elles-mêmes effectuées par trois des grands spécialistes américains du secteur : First Call, Ibes et Zacks. Ils utilisent les mêmes méthodes : collecte des estimations des analystes des compagnies de courtage ?” généralement, ceux-ci disposent d’estimations pour les quatre trimestres suivants ?” et à partir de modèles statistiques sophistiqués, élaboration d’une moyenne.

Des règles qui s’étendent

Nous dépensons beaucoup pour nous assurer que ces estimations sont consistantes, affirme Charles Hill, de First Call. Au début des années 1990, les analystes estimaient que les profits étaient constamment au-dessus des estimations et les compagnies étaient heureuses de donner des informations. Aujourd’hui, c’est différent “. D’où l’importance donnée à ces alertes sur les profits. Les multinationales, cotées en Bourse aux États-Unis comme Vivendi ou Alcatel, s’alignent sur ces régulations dans leur pays, où elles publient des résultats trimestriels.Le paysage français est néanmoins très différent. Non seulement le profit warning n’y est pas devenu une obligation, mais les sociétés qui s’y risquent ne gagnent pas en crédibilité ce qu’elles perdent en capitalisation.” Les marchés français n’ont pas la culture de la transparence. En 1998, nous avons émis une alerte minime sur nos ventes. Résultat, panique chez les investisseurs. Le cours est passé de 240 à 70 francs en quelques mois. C’était insensé“, se souvient Jean-Michel Bérard, le PDG de l’éditeur de logiciels Esker, coté sur le Nouveau Marché. “Je préfère aujourd’hui communiquer en tête à tête avec des analystes ou des journalistes “. En clair, annoncer la mauvaise nouvelle en douceur aux quatre ou cinq personnes qui font le marché.La transparence ne paie pas ? Il n’y a pourtant pas d’autres recours, assurent les professionnels de la communication. “Mieux vaut gérer une sanction sur le cours qu’une méfiance durable de la communauté financière, laquelle, en France, est un petit milieu. Il faut anticiper les mauvaises nouvelles, et aller au fond des choses dans l’explication des problèmes“, recommande Stéphane Ruiz, directeur de clientèle chez Actifin, qui a eu à gérer les cas de Neurones, d’Algoriel, ou de Digigram.

Indispensable transparence

Nous avons été les premiers et les seuls pendant longtemps à publier CA et résultat d’exploitation tous les trimestres. Ce n’est pas vraiment payant à court terme. Les professionnels des marchés sont sujets à la panique, et le grand public ne comprend pas toutes les subtilités des analyses. Mais c’est aussi parce qu’on joue le jeu que l’on maintient de bonnes relations avec les investisseurs anglo-saxons “, explique Denis Laffont, directeur du développement de Fi System. Autre valeur à avoir pris récemment, à côté des Cap Gemini ou Alcatel, l’initiative d’un profit warning, la SSII Valtech. Si elle n’est pas cotée à New York, la société réalise un tiers de son activité outre-Atlantique. La corrélation des marchés européens avec Wall Street n’est plus seulement quantitative.















































































































































































 Avertissements récents et leurs conséquences boursières 
 Valeurs     Secteur d’activité     Date du profit warning     Réaction immédiate en Bourse     Variation depuis le PW (*) 
                 
 Marconi Équipements      Télécoms     9-juil     -50%     -50% 
                 
 Cap Gemini     SSII     26-juin     -22%     -27% 
                 
 Nokia     Télécoms     12-juin     -19%     -38% 
                 
 AMD     Semi-conducteurs     6-juil     -16%     -27% 
                 
 Nortel     Équipements télécoms     15-juin     -15%     -27% 
                 
 Infineon     Semi-conducteurs     20-juin     -15%     -17% 
                 
 Philips     Électronique     15-juin     -6%     -2% 
 

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Jean-Michel Cedro avec Patrice Bertrand à New York