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Profil : entre homme du sérail et e-greffon

L’e-business commence par un bon recrutement. L’occasion d’âpres fouilles internes, de longues traques externes, voire d’élaboration en couveuse maison.

Le profil des patrons e-business varie très largement d’une entreprise à l’autre. Si la plupart des sociétés cherchent leur homme providentiel en interne, les autres n’hésitent pas à faire appel à des candidats extérieurs.Dans les deux cas, bien souvent, les firmes ne savent pas très bien s’y prendre pour les recruter : la fonction e-business en effet est encore émergente, et les directeurs des ressources humaines ont bien des difficultés à cerner le profil idéal.D’autant que leurs compétences sont rares sur le marché de l’emploi. “Les directeurs e-business de grands groupes sont beaucoup chassés car ils sont peu nombreux à avoir une double expertise, à la fois technique et marketing, explique Jean-Christophe Chamayou, d’Elitis. Peu de gens savent mettre en ?”uvre des modèles de vente en utilisant internet, tout en ayant déjà monté un centre de profit.”

Des moteurs faits maison

Pour ne rien arranger, les acteurs du recrutement de ce secteur ne sont pas toujours clairement identifiés par les entreprises. Comme l’observe Richard Farhi, un autre professionnel du recrutement, “ce type d’embauche est assez peu confié en externe. Souvent, cela marche au mérite : les grandes entreprises font appel à des personnes “moteurs”, qui ont déjà participé à des projets importants et qui ont une forte attirance pour les nouvelles technologies.”

De l’huile dans les rouages

Il faut bien le reconnaître, le ” recrutement maison ” ne manque pas d’avantages : une très bonne connaissance de l’entreprise (au moins cinq à dix ans d’expérience), de sa culture, de ses ressources et un carnet d’adresses important…“J’ai pu convaincre les différents responsables d’entités car j’étais depuis cinq ans dans l’entreprise, témoigne l’ancien directeur e-business d’un groupe du secteur de l’alimentaire. J’avais déjà travaillé avec eux sur des projets et noué des relations de confiance.” Ainsi, pour diriger sa filiale Fnac Direct, le groupe PPR a choisi de cumuler les atouts : sa recrue, Jean-Christophe Hermann, possède à la fois des compétences dans le marketing de grande consommation et les nouvelles technologies. Dès 1998, cet ancien consultant intègre PPR comme directeur du marketing et des services clients de la Fnac. Un an plus tard, il est chargé, “d’évaluer l’opportunité de faire d’internet un axe stratégique”. De cette expérience, il a tiré un vrai savoir-faire en management de projets informatiques complexes et en marketing direct. Et, lorsqu’il est nommé PDG de la filiale internet, en mai 1999, il a déjà pu se forger une solide culture maison.SA Peugeot Citroën a aussi opté pour un homme du sérail. Dans un premier temps, en février 2000, le groupe avait fait appel à Antoine Baggioni, un ancien consultant de Gemini Consulting, spécialiste du secteur automobile, qui fut chargé de mettre en place un plan de développement de l’e-business.En décembre 2000, Vincent Carré lui succède, recruté en interne au poste de responsable e-business, et rattaché à la direction des systèmes d’information. “J’ai été très enthousiaste, se rappelle-t-il. J’allais pouvoir accroître ma vision globale de l’entreprise après un parcours plutôt orienté vers la conception automobile. Je n’avais pas d’expérience commerciale ni marketing. C’était un vrai défi.” Certes. Mais, salarié du groupe depuis 1988, Vincent Carré a un atout de taille : il connaît parfaitement les rouages de l’entreprise, sa culture et les réalités industrielles du secteur.

Technophiles

Autre bon point : Vincent Carré est à la pointe des nouvelles technologies. À cette époque, la conception et la fabrication assistée par ordinateur sont des axes de développement forts du groupe et il travaille sur la simulation de robots sur ordinateur. En 1992, toujours au sein de la direction des systèmes d’informations, il s’intéresse aux applications automobiles de la réalité virtuelle et l’imagerie de synthèse. Plus tard, il participe au projet de la 206, le premier véhicule entièrement défini par maquette numérique. “Mon passé d’informaticien m’a permis d’appréhender les nouvelles technologies et surtout de voir les applications possibles dans le secteur de l’automobile”, reconnaît-t-il.Chez Pechiney, le géant de l’aluminium, l’e-business est aussi piloté par deux hommes de la maison, Jean-Baptiste Lucas dans la branche aluminium et Vincent Bonnot dans l’emballage. Tous deux viennent du conseil, mais ont déjà quelques années d’expérience dans le groupe. Le premier était auparavant responsable du marketing stratégique de la division Aluminium-métal ; le second, directeur financier de Pechiney Emballage alimentaire. Pour ce qui est des ” e-compétences ” (savoir conduire un projet sur internet, connaître les solutions existantes, etc.), ils ont trouvé un bon compromis et constitué des équipes jeunes, recrutées en externe pour leur solide expérience de terrain dans l’e-business.

L’option sang neuf

Attention toutefois. Si le recrutement interne s’avère une bonne solution, il montre aussi ses limites : ces candidats n’ont pas toujours de connaissances dans les nouvelles technologies, ils ont parfois la tête dans le guidon et risquent de penser l’entreprise de manière trop traditionnelle. Certaines sociétés préfèrent, dès lors, aller voir ailleurs. “C’est difficile de trouver au sein même de l’entreprise une personne capable d’évangéliser l’e-business et d’avoir une démarche de pionnier, argumente Pierre Cannet, PDG fondateur de Blue Search, cabinet conseil en recrutement dans les domaines de l’internet, des nouvelles technologies et des médias. Je préconise souvent à mes clients de privilégier des compétences dans la vente à distance, plus primordiales à mon goût que la connaissance du métier ou même celle d’internet.”Dautres raisons peuvent motiver la recherche de compétences extérieures au groupe. “Cela peut créer un électrochoc dans certaines sociétés traditionnelles, apporter du sang neuf et un regard extérieur sur les choses”, explique Pierre Reboul, le secrétaire général de l’EBG (European Business Group). Qui prévient cependant : “Ces hommes doivent absolument éviter d’arriver en révolutionnaires pour ne pas se mettre à dos les directeurs d’entités opérationnelles.”Guilbert, l’un des leaders européens de la distribution de fournitures et mobilier de bureau pour l’entreprise (groupe PPR), a ainsi dû chercher son responsable e-business hors de ses murs. “Il n’y avait pas en interne de personne qui regroupait les différentes facettes du poste : la stratégie, le marketing et l’e-procurement”, explique l’intéressé, Patrick Lasfargues, nommé en juillet 2000 directeur marketing et stratégie pour l’Europe. Auparavant, il a travaillé quatre ans dans la grande distribution à des fonctions de marketing et de commerce et trois ans pour le Boston Consulting Group comme consultant en stratégie.

Débauche d’expert

Certaines entreprises préfèrent se tourner vers des experts de leur secteur d’activité, si possible déjà fortement sensibilisés à l’apport des nouvelles technologies.Adecco, le leader mondial des ressources humaines et numéro 1 du travail temporaire, a ainsi nommé à ce poste une femme, Sandra Bellier, à la fois experte en gestion des ressources humaines et dotée d’un solide bagage dans les nouvelles technologies. Ancienne directrice recherche et développement de la Cegos, en charge des projets TIC (technologies de l’information et de la communication) et pédagogie, elle a participé à de nombreuses initiatives relevant de la formation à distance.Même démarche au Crédit lyonnais, où Olivier de Conihout, le directeur e-business, s’apprêtait à intégrer un grand cabinet de conseil lorsque l’un des membres du comité exécutif de la banque l’a contacté. La proposition d’embauche n’a pas tardé : on la lui a faite en deux jours ! “J’avais une bonne connaissance du secteur bancaire et j’avais déjà utilisé les TIC pour développer de nouveaux business, notamment lors de mes expériences chez SRI [Stanford Research Institute, ndlr] International et dans le groupe CPR, spécialisé dans la gestion d’actifs et les services financiers spécialisés, où j’ai été, entre autres, directeur du marketing et des nouvelles technologies”, analyse-t-il.Pour diriger Laredoute.fr, le groupe PPR a, cette fois, choisi de recruter un expert du net, Jean-Marie Boucher, issu du milieu de la communication. ” Un créatif “, assure-t-on dans son entourage. En 1993, il a pris en charge les questions de nouvelles technologies au sein des NMPP, les Nouvelles messageries de la presse parisienne. Quatre ans plus tard, il a intégré BBDP Interactive et cocréé Orangeart. Il a donc participé à de nombreux projets internet, de création de sites ou d’extranet et connaît à la fois les grandes et les petites structures.Interne ou externe, le débat sur le choix du meilleur candidat n’est donc pas tranché. Qu’ils viennent du Minitel, du conseil, de l’univers des start-up, du marketing ou de l’interne, tous doivent cependant réunir les mêmes compétences. Et là, les directeurs e-business sont unanimes : s’il n’est pas obligatoire d’avoir un profil de technicien très pointu, il faut absolument être convaincu de l’apport du réseau des réseaux dans le développement de son entreprise.

“Business first”

De même, comme ils aiment à le rappeler, l’e-business est avant tout une ” histoire de business “, qui exige une vraie fibre commerciale et un grand sens des affaires. ” Il faut être capable d’appliquer des stratégies commerciales et savoir s’entourer des bons prestataires “, rappelle Sébastien Bompard, manager au sein de la division informatique de Michael Page, un cabinet de recrutement. Outre un bagage technique, commercial et de marketing, il doit savoir bien manager ses équipes.Mais, c’est finalement la personnalité qui prime et les qualités d’écoute, de diplomatie et de force de conviction. Car, pour mobiliser ses troupes (qui n’ont souvent aucun lien hiérarchique avec lui), le directeur ou la directrice e-business doit être doté d’une très forte capacité de résistance. Pour garder le cap en permanence et bousculer les habitudes, le métier requiert aussi une grande dose d’énergie et une large ouverture d’esprit.“Il faut pouvoir comprendre les problématiques des différents métiers de l’entreprise, mais aussi sortir des sentiers battus en imaginant des nouveaux modes de fonctionnement dans l’entreprise, explique Vincent Carré chez PSA Peugeot Citroën. L’e-business évolue très vite et nous n’avons pas encore le recul nécessaire pour savoir s’il existe une stratégie gagnante.” On l’aura compris, pour insuffler un tel changement, le directeur e-business doit pouvoir se remettre sans cesse en cause. Et rester innovant.

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Sandrine Chicaud