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Pourquoi la blockchain risque de bouleverser la vente d’art numérique

Un nouveau cryptoactif, le « token non fongible », crée l’engouement. C’est un concept magique qui permet de rendre unique et authentique des œuvres numériques que l’on peut pourtant copier à l’infini.

Les chiffres sont à peine croyables. Jeudi 11 mars, un JPEG baptisé « Everydays – The first 5000 days », réalisé par l’artiste Mike Winkelmann alias Beeple, a été vendu aux enchères pour presque 70 millions de dollars, chez la vénérable maison Christie’s.
Quelques semaines auparavant, une version remastérisée de Nyancat, un mème créé il y a dix ans, a été vendue pour plus de 500 000 dollars sur la plate-forme Foundation.app. Et ce n’est pas tout… Le premier tweet de l’histoire de l’humanité, un message écrit par le fondateur de Twitter Jack Dorsey, a également été mis en vente et a été acheté… 2,9 millions de dollars. Ca fait peut-être un peu cher les 24 caractères… Même Elon Musk, qui ose tout, a failli mettre en vente un GIF musical (et particulièrement horrible) avant de se rétracter.

Cette nouvelle fièvre d’achat et de vente s’appuie sur une technologie déjà bien éprouvée : la blockchain. En effet, toutes ces transactions s’appuient sur la technologie du « non-fongible token » (NFT), c’est-à-dire le token non fongible.
Il s’agit là d’un cryptoactif spécial, dédié à l’échange d’entités numériques uniques et non interchangeables. La première application notable qui a émergé de ce concept est celle des « CryptoKitties ». C’est un jeu créé en 2017 qui permet d’acheter et de vendre des chats virtuels, voire d’en créer de nouveaux par accouplement.

Au fond, c’est une version numérique et sophistiquée des cartes à collectionner. Techniquement, ce jeu est implémenté sur Ethereum, une blockchain qui a la particularité de pouvoir stocker des données et du code exécutable (« smart contracts »). Ce jeu a rapidement créé un fort engouement. Il compte aujourd’hui plus 100 000 collectionneurs et a généré des transactions pour plus de 37 millions de dollars au total. C’est l’application la plus utilisée sur Ethereum.

CryptoKitties

Quelques marques se sont également engouffrées dans le commerce d’objets numériques à collectionner, comme la NBA ou Nike. Mais là où les NFT risquent de provoquer un véritable bouleversement, c’est sur le marché de l’Art.
Jusqu’à présent, un créateur ne pouvait que difficilement commercialiser un JPEG ou un GIF. Les NFT créent pour eux un nouveau marché potentiellement très lucratif, comme le prouvent les récentes ventes.

Un concept abstrait et peu naturel

Le problème, c’est que le principe du NFT est quand même un peu difficile à appréhender, car il rend le commerce d’œuvres d’art particulièrement abstrait. On pourrait dire, au final, que l’acheteur n’acquiert rien d’autre qu’une poignée de bits, attribuée à son portefeuille, dans une blockchain.
Ces quelques bits ne sont pas l’œuvre elle-même, mais sa représentation. Et c’est là que se trouve toute la magie. C’est grâce à cette poignée de bits qu’une œuvre qui peut être dupliquée à l’infini devient unique et authentique.

Mais concrètement, comment ça marche ? Dans une note de blog, le chercheur en sécurité Robert Graham a dévoilé la mécanique cryptographique qui se cache derrière la vente de l’œuvre de Beeple.
Ce dernier a d’abord sauvegardé son œuvre dans un système de fichiers distribués appelé InterPlanetary Filesystem (IPFS), dans sa taille originale et sous forme compressée. Les noms de ces deux fichiers ne sont rien d’autre que leurs empreintes SHA-256.
Beeple a ensuite créé dans IPFS un fichier de métadonnées qui rassemble ces deux liens, ainsi qu’un descriptif de son travail artistique. Puis il s’est connecté sur la blockchain d’Ethereum pour exécuter le smart contract MakersTokenV2 et créer le token n°40913, qui pointe vers le fichier de métadonnées.
Ce token a ensuite été transféré vers le compte de l’utilisateur « Metakovan » pour 69 millions de dollars. Dis comme ça, on se rend bien compte du côté artificiel de la chose.

« Ce que Metakovan a acheté pour ses 69 millions de dollars se résume à ceci : la possibilité de transférer MakersTokenV2 # 40913 à quelqu’un d’autre. C’est tout. C’est tout ce qu’il a acheté. Il n’a pas acheté l’œuvre d’art, il n’a pas acheté les droits d’auteur, il n’a rien acheté de plus que la possibilité de transférer ce jeton.
Même dire qu’il possède le jeton est un abus de langage, car le jeton réside sur la blockchain. Au lieu de cela, puisque seul Metakovan connaît la clé privée qui contrôle son portefeuille, tout ce qu’il possède est la possibilité de transférer le jeton sous le contrôle d’une autre clé privée »,
explique Robert Graham.

Nous sommes donc très loin du marché classique de l’art. Avec une peinture ou une sculpture, le collectionneur dispose au moins d’un droit de jouissance exclusif. Il est le seul à posséder physiquement l’œuvre et il peut en faire ce qu’il veut.
L’acheteur de l’œuvre de Beeple, à l’inverse, est « propriétaire » d’un JPEG qui peut-être téléchargé par n’importe qui. Il n’a aucun droit de jouissance exclusif. Pour les gens très terre à terre, un NFT s’apparente donc à du vent et représente surtout le comble de l’absurdité.

Mais pour un vrai collectionneur, la jouissance exclusive est-elle forcément très importante ? Collectionner de l’art est peut-être surtout une manière de briller en société, de se vanter, de se créer une identité.
Les NFT pourraient très bien remplir ces fonctions, à condition de créer une effervescence suffisante autour des œuvres, par exemple au travers d’espaces d’exposition virtuels. Mais avouons que dans le cas du Nyancat, ce n’est pas nécessaire : ce GIF animé est déjà l’un des plus connus de la planète.

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Gilbert KALLENBORN