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Pour en finir avec les monopoles sur les infrastructures du web

L’hégémonie américaine ne se manifeste pas seulement sur le contenu. Microsoft, Verisign ou AOL tiennent l’architecture technique du web. Au grand dam des promoteurs de la diversité.

Oubliez le couple Messier-Tasca et leur duel sur l’“exception culturelle “. À l’ère des réseaux, les libertés dépendent au moins autant des infrastructures techniques que des contenus. Voilà, en résumé, la version française du livre du très distingué professeur américain de Stanford Lawrence Lessig, intitulé The Future of Ideas. L’ouvrage, paru en début d’année, s’est imposé comme la lecture de premier choix de l’intelligentsia hexagonale, qui se pique de gouvernance numérique. “Enfin, les décisions techniques qui encadrent le web sortent de l’ombre”, se réjouit Bernard Benhamou, maître de conférence à l’Institut d’études politiques de Paris, spécialiste de la société de l’information. Et de continuer, en pédagogue : “Les libertés sur internet sont aujourd’hui menacées par des standards techniques qui confient de manière abusive les clés de la régulation des réseaux à des monopoles privés.” Sur le banc des accusés : les Microsoft, AOL et autre Verisign, qui, chacun à sa façon, exercent un empire sur une partie de l’architecture du web, des logiciels d’exploitation aux noms de domaine, en passant par l’accès et les systèmes de paiement.

Refuser d’enfermer le web

Ce point de vue d’un “internet libre” est aujourd’hui celui que défend le Comité d’étude des monopoles informatiques, récemment constitué au sein de la branche française de l’Internet Society (Isoc). “Les ressources essentielles du web, c’est-à-dire celles dont tous les internautes ont besoin, s’apparentent à des infrastructures collectives. Et, en tant que telles, le pouvoir régulateur est en droit de forcer les détenteurs de ces ressources à maintenir un certain degré d’ouverture”, explique Éric Brousseau, l’économiste français membre du comité.Invoquée pour les logiciels et toutes les normes techniques, cette logique d’ouverture et de partage des architectures a déjà prévalu dans le domaine des “tuyaux” à l’occasion de la fusion entre AOL et Time Warner. En 2000, la Federal Trade Commission (l’un des régulateurs américains de la concurrence) avait ainsi interdit l’accès exclusif du premier fournisseur d’accès AOL aux câbles haut débit détenus par Time Warner. “Un Microsoft doit rendre public les formats de fichiers, les interfaces et les protocoles de ses logiciels pour ne pas verrouiller à son profit l’innovation et l’économie d’échange du web”, déclare Jean-Paul Smets, vice-président de l’Association française des utilisateurs de Linux et des logiciels libres (Aful). En tout cas, celui-ci n’hésite pas à imaginer une agence publique pour la régulation du logiciel, chargée de faire prévaloir le droit à la compatibilité des normes. Pour l’heure, Jean-Paul Smets, proche du député PS Jean-Yves Le Déau, se félicite de la position officielle retenue par le parti du Premier ministre Lionel Jospin contre la brevetabilité des logiciels et pour l’utilisation de standards ouverts dans l’Administration.

Les noms de domaines confisqués

Mais le principal verrou qui bloque l’avènement de cet “internet libre” réside dans les procédures d’acquisition des adresses internet. “L’administration américaine conserve le monopole mondial d’attribution des noms de domaines. L’Icann [Internet Corporation for Assigned Names and Numbers, ndlr] instruit les dossiers, mais c’est le département du Commerce extérieur américain qui donne l’autorisation de mise en ?”uvre des nouveaux noms dans les routeurs”, explique-t-on à Bruxelles. Autrement dit, la suppression du “.zaire” ou la création du “.croatie” dépend du bon vouloir des États-Unis. Pour l’avocat Olivier Itéanu, président de l’Isoc France, et seul membre français de l’Icann, “ce plein-pouvoir américain contribue à consolider la position dominante d’une société comme Verisign, qui dispose du monopole du “.com” jusqu’en 2006 et du “.net” jusqu’en 2007.” Les négociations en cours pour l’adoption du “.eu”, garant d’un espace commercial relevant du droit européen, suffisent à illustrer les rapports de force. Après le vote attendu pour la fin février du règlement du “.eu” par le Parlement européen, Bruxelles devra attendre l’autorisation du département américain du Commerce pour avoir son territoire sur le web. Suivra un appel à manifestation d’intérêt pour la gestion du “.eu”, où l’Américain Verisign, déplore-t-on déjà à la Commission, est bien placé pour s’imposer.

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Sébastien Fumaroli