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NTT Docomo passe au mobile ” turbo “

Le géant japonais des télécommunications lance en mai la troisième génération de téléphonie mobile. Et annonce, dans la foulée, la quatrième génération pour 2006 !

Une fois de plus, Keiji Tachikawa, président de NTT Docomo, a pris tout le monde de vitesse en annonçant, la semaine dernière, que sa société passerait à la quatrième génération (4G) de téléphonie mobile dès 2006, avec quatre ans d’avance sur le calendrier initial.Ce brutal coup d’accélérateur a laissé littéralement sur place ses rivaux européens, tout en irritant les équipementiers, dès lors forcés de se préoccuper de la 4G. Alors que la troisième génération, plus connue en Europe sous l’acronyme UMTS (Universal Mobile Telecommunication System), relève encore du projet incertain. Or, dans l’archipel nippon, internet pourrait se déverser à très haut débit sur le mobile en mai prochain.Les plus sceptiques des observateurs relèvent que NTT Docomo n’en est pas à son premier effet d’annonce. L’opérateur japonais a toujours joué sur les déclarations spectaculaires pour asseoir sa domination, effective ou supposée.Dernier coup d’éclat en date, l’annonce, en janvier, du lancement du premier téléphone capable de faire du roaming dans le monde entier, c’est-à-dire d'” accrocher ” n’importe quel réseau. Mais l’appareil présenté était si onéreux (2 300 euros, soit 15 000 francs) et si rudimentaire qu’il a immédiatement disparu du marché.Pour autant, il ne faudrait pas croire que l’opérateur ait pour seule religion cette stratégie d’innovation à tous crins. Ces temps-ci, NTT Docomo se méfie plutôt de l’introduction des nouvelles normes de télécommunications.Ainsi, s’il lance bien la troisième génération de téléphonie mobile en première mondiale, en mai prochain, un an avant son introduction supposée en Europe (avec 1 % du marché d’internet mobile, les États-Unis ne sont pas encore prioritaires), le groupe avance à pas très mesurés. C’est pourquoi NTT Docomo limitera son offre à des zones urbaines très peuplées, comme Tokyo ou Osaka.

Des tarifs d’accès élevés

Pourquoi une telle prudence ? Parce que le phénoménal succès de l’I-mode, son service de connexion permanente à internet, surnommé ” génération 2,5 ” par l’industrie, risque de pâtir d’un service plus performant, mais plus coûteux. Certes la troisième génération permettra le transfert de données à un débit cinq fois supérieur à la vitesse actuelle. Elle offrira des services de téléconférence et le téléchargement d’images animées, par exemple.Mais Keiji Tachikawa a déjà prévenu : la clientèle visée par la 3G est pour l’instant une clientèle d’hommes d’affaires et de personnes aisées. Par conséquent, les tarifs d’accès seront élevés et les terminaux coûteront entre 30 % et 50 % plus cher que les mobiles actuellement utilisés.“Il n’y aura pas d’effet de masse pour la 3G “, a récemment indiqué le président de NTT Docomo, qui investira tout de même 1000 milliards de yens (un peu plus de 9 milliards d’euros) sur trois ans dans la troisième génération.Pendant ce temps, l’I-mode continue de se développer. En deux ans, cette plateforme de services a fidélisé 21 millions de Japonais. NTT Docomo détient, à lui tout seul, plus de la moitié du marché mondial d’internet mobile. Et il a mis au point le premier mode de facturation viable pour l’utilisation nomade du réseau.Pour l’heure, la stratégie internationale de NTT Docomo se focalise exclusivement sur l’adaptation locale de l’I-mode, comme l’a souligné Keiji Tachikawa, lors d’une conférence de presse, jeudi 22 mars. “Pour lancer l’I-mode [en Europe], nous devons avoir un réseau GPRS [standard intermédiaire entre le GSM actuel et l’UMTS, ndlr] en place, et nous sommes en train de l’installer. Nous devrions l’avoir terminé cet été. Ensuite nous devons résoudre le problème des terminaux. Nous pensons que des terminaux pouvant aller à la fois sur des sites WAP et sur des sites HTML [le format internet des sites compatibles I-mode] sont nécessaires. Nous pensons que nous serons prêts à l’automne.”L’année dernière, NTT Docomo s’est lancé dans une multitude de prises de participations minoritaires, s’invitant dans le capital des opérateurs étrangers pour, en douceur, imposer son point de vue. En Asie, l’opérateur est déjà dans le capital du Hongkongais Hutchinson. Il lorgne aussi la Corée, et serait dans la phase finale de pourparlers avec le Coréen SK Telecom (des négociations gênées par les susceptibilités nationales entre les deux pays).Sans oublier, enfin, le marché chinois et les tractations en cours avec China Unicom, le deuxième opérateur du pays. En Europe, il s’est allié avec le Hollandais KPN Mobile et l’Italien Tim (Telecom Italia), et prévoit de lancer l’I-mode en Belgique, en Allemagne, en Italie et dans les Pays-Bas, pour commencer.Une stratégie qui, aux yeux des concurrents, frise parfois l’incohérence. Aux États-Unis, par exemple, l’opérateur a acquis 16 % de AT&T Wireless pour la somme colossale de 10 milliards de dollars (11,2 milliards d’euros), alors que le marché d’internet mobile ne devrait pas y démarrer avant trois ans.

I-mode est-il exportable ?

Dans ce jeu de ” Risk ” grandeur nature, NTT Docomo n’a qu’une crainte : que les spécificités japonaises de l’I-mode manquent à séduire le reste du monde. Car le succès de ce système tient essentiellement à des facteurs caractéristiques au Japon. En effet, les heures que passent les Nippons dans les trains, par exemple, occupées désormais à s’envoyer des e-mails par téléphone portable. Tout comme l’engouement typiquement japonais pour le gadget, qui est assez étranger aux Européens ou aux Américains. Ou encore le coût extrêmement élevé des communications fixes.En tout cas, les industriels européens peuvent apprendre beaucoup de l’I-mode, et surtout de son système de répartition des revenus entre l’opérateur et les exploitants de sites. C’est ce modèle, financé essentiellement par les abonnements, qui a permis un développement exceptionnel de l’offre de contenus. Il y a aujourd’hui près de 35 000 sites internet consultables sur I-mode. “Tandis qu’en Europe, il y a vraiment peu de raisons financières d’ouvrir un site WAP “, explique Takayoshi Koike, analyste du secteur pour la Société Générale.Autre application très pratique qui pourrait inspirer les Européens pour les futurs services à la norme UMTS : les achats réalisés par I-mode sont sécurisés au moyen d’un code à quatre chiffres qui dispense de donner sur le réseau des réseaux son numéro de carte bancaire. Ensuite, l’achat est automatiquement porté sur la facture de téléphone.L’annonce du passage à la 4G n’en a pas moins irrité le reste de la planète télécoms. D’autant que Keiji Tachikawa a l’habitude de faire ce qu’il dit. “Pour les constructeurs, tout ça n’est pas encore important, parce que nous n’allons pas au-delà de deux ans dans l’anticipation de nos stratégies. Mais pour les opérateurs et pour les marchés, cette déclaration est vraiment embarrassante, explique ce cadre d’un opérateur européen.Que voulez-vous ? En Europe, les opérateurs ont dépensé des centaines de milliards d’euros pour acheter des licences de 3G qui ne seront pas exploitables avant 2002. Et encore, pour la plupart des opérateurs, cette date de lancement sera repoussée. À peine va-t-on commencer à utiliser l’UMTS que NTT Docomo en sera à la 4G. “Reste que 2006 sera l’année cruciale pour les télécoms au Japon. Outre la 4G, cette année verra celle de l’achèvement de la pose d’un réseau en fibre optique dans tout le pays par NTT, l’opérateur historique dominant dans le téléphone fixe japonais et maison mère de NTT Docomo. Chaque foyer nippon pourra recevoir des données à la vitesse d’un gigabit par seconde, soit 500 fois la vitesse d’une ligne ISDN (RNIS, en France).De son salon, monsieur Tanaka ?” le monsieur Dupont japonais ?” pourra suivre l’enseignement à distance d’une université américaine, recevoir une consultation médicale, faire ses courses dans une grande surface de Berlin ou jouer au casino en Afrique du Sud. Gageons que d’ici-là, Keiji Tachikawa aura trouvé une autre déclaration fracassante pour irriter ses concurrents européens et américains.

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Régis Arnaud à Tokyo