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Mauvais temps pour les voyantes

Coca-Cola ne communiquera plus ses prévisions de chiffre d’affaires aux analystes. Peut-être qu’un jour les chefs d’entreprise vont, de nouveau, avoir le temps de se concentrer sur l’essentiel : développer leur société.

Coca-Cola a décidé de jouer au cachottier ! Le roi des boissons à bulles a décidé, unilatéralement, de ne plus publier de prévisions trimestrielles ou annuelles sur ses résultats à venir. Il n’est pas le premier toutes catégories confondues, mais il est certainement le plus important (financièrement).Ce qui est intéressant, dans cette affaire, n’est pas tant le fait mais le pourquoi. Rien n’oblige en effet Coca à publier des prévisions : c’est une coutume que tout le monde respecte, mais pas une loi. Non, le plus croustillant là-dedans c’est la raison invoquée : “Établir des estimations à court terme empêche de se concentrer sur ce qui importe davantage, c’est-à-dire les initiatives stratégiques qui permettent de développer l’activité et de réussir sur le long terme.”Bref, en une phrase, Coca-Cola a réussi à descendre le métier de dizaines de milliers d’analystes boursiers et de chargés d’études. Parce que ce que ça veut dire, traduit en langage non diplomatique c’est : “A force de nous prendre le chou avec vos prévisions à deux balles, on oublie complètement de s’occuper de ce pourquoi on est payé, c’est-à-dire faire tourner une boîte.”Du coup, je ne peux m’empêcher de repenser aux scandales, réels ou supposés, autour des comptes de WorldCom, Vivendi et autres. Regardez-moi dans les yeux : si WorldCom a jugé utile de truquer ses comptes, c’est bien parce qu’il croyait que ça aurait une influence sur ceux qui les lisent, non ? Si Messier a vraiment présenté un bilan “non sincère “, comme certains croient le savoir, c’était pour le plaisir ? Il s’est dit : “Tiens j’ai un peu de temps, si je m’amusais à modifier tous ces chiffres ?”Ben non. Depuis quelques années, les analystes de tous poils ont cru que leurs méthodes devaient être partagées par tout le monde. C’est-à-dire que tout (une entreprise, un produit ou la couleur de votre robe de chambre) devait être jugé selon des prévisions faites au doigt mouillé. Une nouvelle technologie apparaît : “C’est génial, dans dix ans tout le monde l’utilisera “, ou “C’est pourri, ça intéressera jamais personne.”Vous créez une entreprise et vous cherchez de l’argent : ah non, votre Ebitda positif ne couvrira pas vos frais fixes avant 2008 et ça c’est embêtant. Malheureusement ces fameux génies des chiffres n’ont jamais remarqué que certaines entreprises leur présentaient des données truquées. Parfois parce que ces entreprises étaient malhonnêtes, parfois parce qu’elles savaient pertinemment qu’elles ne pourraient pas mener leur stratégie à bien sans convaincre les analystes.Ces analystes n’ont d’ailleurs pas su non plus anticiper que 80 % des prévisions faites en 2001 étaient trop optimistes. Bref, on ne peut penser que du bien de la décision de Coca. Que les analystes fassent leur travail et établissent des prévisions pour les marchés financiers. Et qu’on laisse les patrons d’entreprises faire le leur : explorer des marchés et des produits, prendre des décisions et développer leur entreprise.On les jugera sur des résultats plutôt que sur des prévisions. Ma prévision perso : il se vendra moins de bouteilles de ” champ ” pour Noël et le Nouvel An que les années précédentes, crise oblige. Le jus de pomme, c’est sympa aussi…Rendez-vous le 16 janvier 2003 pour une prochaine chronique, et, d’ici là, bonnes fêtes !

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Alain Steinmann