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Les opérateurs mobiles pris en flagrant délit de copinage

Selon une enquête de la Direction de la répression des fraudes, Orange, SFR et Bouygues Telecom se seraient mis d’accord entre 1997 et 2003 pour ‘ pacifier ‘ le marché de la téléphonie mobile, et s’en partager
les fruits.

C’est une sacrée bombe qui a éclaté dans le ciel de la téléphonie mobile française, après la parution d’un article dans le Canard enchaîné ce 24 août. Les trois opérateurs ?” Orange, SFR et Bouygues
Telecom ?”auraient conclu entre 1997 et 2003 un pacte de paix, afin de se répartir, de façon concertée, ce juteux marché des télécoms. L’entente devait éviter une guerre des prix qui aurait été profitable aux consommateurs.C’est la conclusion d’une enquête de la Direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF), pour le compte du Conseil de la concurrence, et dont l’hebdomadaire satirique publie des
extraits. Ce service dépendant du ministère de l’Economie et des Finances aurait acquis les preuves manifestes de la formation d’un cartel entre les trois entreprises, suite à
une descente dans les bureaux des opérateurs en août 2003.D’après Le Monde, le rapporteur du Conseil serait arrivé aux mêmes conclusions que la DGCCRF. La notification de griefs a été envoyée aux opérateurs fin 2004, qui ont, toujours selon Le Monde,
jusqu’à la fin du mois pour envoyer leur argumentaire de défense. D’autres acteurs du marché, comme l’UFC-Que Choisir, sont aussi consultés et sont invités à s’exprimer.Selon les extraits de l’enquête de la DGCCRF, publiés par Le Canard,
‘ les trois opérateurs reconnaissent avoir échangé mensuellement depuis 1997 leurs données de marché sur la métropole. Les
données échangées ont servi à de nombreuses reprises lors des comités de direction (…), notamment pour surveiller la pacification du marché intervenue depuis 2000 ‘.
Lors de ces réunions régulières, qui ont cessé à la
fin de 2003, c’est un ‘ Yalta ‘ du portable qui a été organisé, selon un terme utilisé par un haut dirigeant d’Orange. Mis en place en 2000, il aurait été maintenu en 2001, d’après une note de SFR. Elle
indique que Michel Bon, à l’époque patron de France Télécom, ‘ est OK pour reconduire en 2001 l’accord parts de marché de 2000 ‘.Ce ‘ Yalta ‘, Thierry Breton, actuel ministre des Finances, en aurait entendu parler en octobre 2002 lors d’un comité exécutif de France Télécom, dont il avait pris les rênes en tant que PDG quelques jours
auparavant. Bercy souligne aujourd’hui l’indépendance du Conseil de la concurrence.

Verdict attendu en fin d’année

L’accord aurait perduré jusqu’en 2003. Selon la DGCCRF, les trois opérateurs auraient convenu, l’année précédente, d’aider Bouygues Telecom à surmonter une mauvaise passe. ‘ Il faut que Bytel [Bouygues
Telecom] remonte à 20 % ‘, indique une note d’Orange. Le but : éviter à Orange de monter à plus de 50 %, ce qui lui aurait valu un contrôle réglementaire plus strict. ‘ La
dérive baissière ‘
de Bouygues Telecom ‘ a bien été renversée au second semestre 2002 ‘, note la DGCCRF.La fin de la procédure du Conseil de la concurrence, ouverte suite à une auto-saisine de ce dernier (portant sur les tarifs pratiqués lors d’un déplacement à l’étranger), et une saisine de l’UFC-Que Choisir (à propos des ressemblances
tarifaires entre opérateurs), est attendue à la fin de l’année. Le verdict pourrait aboutir à de fortes amendes, jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires.De quoi inquiéter les opérateurs mobiles, qui nient tout cartel. Orange note ‘ qu’à aucun moment il n’a été mentionné ou évoqué un quelconque “Yalta Part de Marché” à l’occasion d’une réunion de son
comité exécutif ‘.
Il rappelle que ‘ le niveau de prix pour le panier moyen de consommation mobile d’un client français est plus faible en France que dans les principaux pays européens, y compris le
Royaume-Uni ‘
et que ‘ le prix des forfaits [SMS, NDLR] a baissé de 50 % en deux ans ‘.De son côté, SFR, qui veut réserver ‘ sa défense au Conseil de la concurrence ‘, conteste ‘ vigoureusement l’existence de toute entente ou d’un
quelconque “contrôle” du marché de la téléphonie mobile en France ‘
et qualifie de ‘ fantaisie ‘ l’affirmation de ‘ réunions secrètes
mensuelles ‘
qui ‘ ne correspondent à aucune accusation du dossier ‘. Une des preuves de l’absence d’entente serait, selon le numéro deux du marché, des taux de profitabilité des
opérateurs français ‘ sensiblement inférieurs à ceux observés dans les principaux pays d’Europe ‘ ainsi que des tarifs ‘ systématiquement en dessous de la moyenne
européenne ‘.

‘ Absurde ‘ pour Bouygues Telecom

Bouygues Telecom, pour sa part, ‘ conteste formellement les conclusions de l’enquêteur de la Direction générale de la concurrence ‘. Le plus petit opérateur français estime
absurde ‘ d’affirmer qu’il ait pu participer à une entente ‘ qui aurait eu pour effet de cantonner sa part de marché (17 %) à un niveau très inférieur à celui des
opérateurs comparables en Europe ‘.
Et de dire s’être toujours battu ‘ contre les pratiques du duopôle Orange-SFR (83 % du marché) ‘ contre lequel il a
‘ déposé une plainte devant le Conseil de la concurrence ‘.Du côté de l’UFC-Que Choisir, qui est en partie à l’origine de la procédure, on dit ne pas vouloir commenter un dossier en cours. Néanmoins, pour Jean-François Poitut, chargé de mission de l’association, ‘ en
dehors de la procédure, des études, notamment celle de l’Arcep
[le régulateur du marché des télécoms, NDLR], montrent qu’il y a un mimétisme de comportement entre les opérateurs. Depuis 2000, les parts de marché ne bougent plus,
les prix ne baissent pas, et la rentabilité des opérateurs est phénoménale ‘.
Et d’ajouter que, ‘ comme par hasard, au moment où l’Arcep a conclu à une position dominante conjointe de la part des trois
opérateurs, ceux-ci ont accepté d’ouvrir leurs réseaux aux opérateurs virtuels, les MVNO, ce qu’ils refusaient jusque-là ‘.
Une ouverture à ce point contrôlée, que
les MVNO n’ont pas encore réussi à dynamiser le marché des mobiles.

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Guillaume Deleurence