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Les campus numériques, une vraie stratégie d’ouverture des universités

Encouragées par l’Etat, qui reste sélectif dans ses aides financières, les universités françaises développent à vive allure l’enseignement en ligne, avec une volonté de décloisonnement administratif et géographique.

C’est un fait, le e-learning fait aujourd’hui profil bas. Tout au moins dans les discours. Il reste que les campus numériques, financés ou non par l’Etat, prennent rapidement forme dans les universités. L’ambition de ces plate-formes dépasse largement la simple banque de cours en ligne. D’autant que, généralement, ces projets sont le fruit de la coopération de plusieurs établissements. Il s’agit de faire profiter chaque partenaire des compétences des autres. Et de fédérer, à un même point d’entrée, des contenus et des outils d’origines diverses pour les rendre plus accessibles. Une stratégie d’ouverture, donc, et au sens large (étudiants, enseignants, monde professionnel, international), mais de longue haleine.

Des expertises mutualisées en cours

Le projet Insa-Virtuel, un campus virtuel commun à tous les Insa et consacré aux sciences de l’ingénieur, est ainsi, de l’aveu de Patrick Prévôt, directeur du département Génie productique de l’Insa Lyon, un projet d’une bonne dizaine d’années. Initié en 2000 entre Lyon et Rouen, sous le nom de Mecagora, Insa-Virtuel n’a d’ailleurs ouvert l’enseignement en ligne proprement dit qu’au mois d’octobre cette année, avec un mastère spécialisé (MS) de génie industriel en formation continue. Un MS environnement et un autre sur les télécoms sont en chantier, des formations en informatique et sur l’ingénierie internet devraient suivre. L’intérêt étant de faire jouer les expertises de chaque établissement. “Sur le fond, détaille Patrick Prévôt, c’est un expert de l’Insa Rennes qui s’occupe du MS télécoms. Du génie industriel, l’Insa Lyon était la seule à en faire et pour l’informatique, ce sera du ressort de Rennes, Toulouse et Rouen.”L’UNS(1), projet des trois universités strasbourgeoises, a ouvert, elle, deux diplômes en ligne de l’université Louis Pasteur et un troisième de l’université Robert Schuman. Une douzaine de formations sont en développement pour une mise en ligne cette année. “Louis Pasteur a développé la plate-forme de formation en ligne Acolad et la gère. Robert Schuman, qui est une université de tradition juridique et de gestion, s’occupe de la réflexion juridique, des droits d’auteur, du modèle économique et Marc Bloch, université de sciences humaines, pilote le volet des langues”, résume René de Quenaudon, vice-président informatique et système d’information de l’université Robert Schuman.

Fédérer les énergies des divers partenaires

Ces deux projets sont assez représentatifs de deux philosophies de départ. Pour la première, il s’agit de fédérer du contenu pour avoir un panorama complet de formations spécialisées à l’intention d’établissements somme toute assez proches (les Insa). Le projet CampuSciences est même plus resserré, puisqu’il rassemble six universités scientifiques (2) et le Centre national d’enseignement à distance autour du premier cycle de sciences en ligne. “L’intérêt des sciences dures, justifie Pierre Jarraud, chef de projet à Paris VI, est qu’il y a un noyau dur, une cohérence forte sans beaucoup de querelles de chapelle.” Dans la seconde optique, les universités mettent en commun des compétences disparates (UNS), credo surtout valable pour la formation continue. Appliqué à la formation initiale, ce système permet aux étudiants de compléter leur formation de base de modules plus spécifiques. C’est ce qu’on trouve dans le projet Eden3. Piloté par l’école d’ingénieurs universitaire de Saint-Etienne, l’Istase, il s’adresse aux étudiants de troisième années de huit écoles universitaires (3), mais de diverses spécialités. “Les étudiants sont diplômés de leur école d’origine, explique Jacques Fayolle à l’Istase. Ils ont dix-huit modules obligatoires mais peuvent en prendre douze au choix. Cela permet aux étudiants d’individualiser leurs parcours et de coller à leur projet professionnel.” Ces efforts ont aussi un autre but : rationaliser les énergies. “La dynamique inter-universitaire et commune de l’UNS évite que chacun bricole dans son coin”, résume Alain Jaillet à l’université Louis Pasteur de Strasbourg. De fait, les trois établissements doivent regrouper toute une série de compétences (services d’enseignements à distance, production audiovisuelle et multimédia, informatique de gestion, gestion des réseaux universitaires) dans un même lieu, la tour de chimie.

Atteindre rapidement l’équilibre financier

Les universités aboutissent donc peu à peu à un décloisonnement, à la fois de leurs organisations et de leur public. Ambitions plus difficiles à atteindre dans d’autres conditions. Dans cet esprit, le projet Insecte (pour Insertion socio-économique des thésards et enseignants) de l’université de technologie de Compiègne s’adresse exclusivement aux doctorants et jeunes enseignants-chercheurs en quête de reconversion. “Fin 2000, nous avons pris conscience qu’un tiers de ce public ne travaillerait pas dans le secteur public, faute de poste, explique Anne-Claire Prévost. Insecte leur propose des formations professionnalisantes pour leur permettre d’intégrer le monde de l’entreprise.” Contrairement à d’autres projets de campus, 90 % des modules sont créés pour l’occasion avec l’INPL (Institut national polytechnique de Lorraine). Deux sont ouverts, sur les treize que doit compter Insecte à terme.En voulant se donner une dimension au moins européenne, ce projet respecte une autre constante des campus numériques: l’ouverture internationale, qu’elle soit effective ou à venir. “C’est une dimension qui doit être envisagée d’emblée”, affirme Patrick Prévôt. Insa-Virtuel tisse ainsi ses liens dans le monde hispanophone, notamment au Mexique où l’Insa a repéré d’énormes besoins en contenu de formation. Eden3 compte mettre en chantier des formations de formateurs francophones du Tchad, de Roumanie et de l’université française du Liban. Le projet UNS est, lui, en lien avec une cinquantaine d’universités dans le monde.Ces initiatives mobilisent évidemment beaucoup de temps et d’énergies, passés en comité de pilotage, groupes de travail, concertation… Sans parler de la conception et du développement. Cela coûte cher, d’autant que les projets retenus par le ministère lors des appels d’offres ne le sont pas forcément l’année d’après. Dès le départ, les universités doivent penser à un modèle économique pour arriver assez rapidement à un équilibre financier. La solution privilégiée alors est la formation continue. “On ne peut pas toujours vivre de subventions, reconnaît Patrick Prévôt. Si on avait commencé par bâtir Insa-Virtuel sur la formation initiale, il aurait fallu fermer boutique.” C’est également la priorité de l’UNS. Non seulement les formations sont payantes, mais elles sont plus rapidement rentabilisées puisque les apprenants sont a priori des gens plus motivés, avec un objectif professionnel précis. Enfin, ce choix accorde plus de pertinence aux développements. L’université peut se permettre de mettre en ligne les formations les plus demandées, les plus porteuses.Il reste que certains se sont attaqués d’emblée à la formation initiale. CampuSciences a mis en ligne la première année du Deug de sciences et projette d’aller jusqu’à la licence, en 2004. Mais le projet propose aussi ses modules pour la formation continue équivalente. Cas particulier, Eden3 a, jusque-là, fonctionné avec la formation initiale tout en ayant déjà atteint l’équilibre. “Les étudiants de dernière année partent maintenant en stage beaucoup plus tôt dans l’année, détaille Jacques Fayolle, et ils ont une journée de libre pour suivre leur formation à distance. On demande alors aux entreprises une participation de quatre mille euros par étudiants. C’est ce qui nous finance.” L’enjeu est de taille puisque, avec internet, les universités françaises vont devoir faire face à la concurrence, notamment américaine, dont les formations sont potentiellement aussi faciles d’accès que les leurs.(1) Université numérique Strasbourg.


(2) Paris VI, Aix-Marseille I, Franche-Comté, Bordeaux I, Grenoble I et Lille I.


(3) Le Cust (Clermont-Ferrand), l’ENS Limoge, l’Esia (Annecy), l’Esigec (Chambéry), l’IsiTV (Toulon), l’Istase (Saint-Etienne), l’Istil (Lyon) Polytech Grenoble (ex-ISTG).

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Arnaud Devillard