Arte vient de fêter ses dix ans. Alors ? Rien. Dans un paysage audiovisuel européen en pleine tempête, où personne n’est à l’abri d’une faillite, où le spectateur regarde sa donne télévisuelle évoluer silencieusement sur son poste, Arte fait figure de folie à la Louis II de Bavière. Une chaîne pour célébrer l’amitié franco-allemande. Généreux projet politique s’il en est, conçu en un temps où l’on ne privilégiait pas encore le tout économique, par des gens cultivés qui avaient vécu la Seconde guerre mondiale, qui avaient envie de se dire : “Plus jamais ça” et de le faire savoir. Lisant son Faust traduit par Gérard de Nerval, G?”the affirmait mieux comprendre ce qu’il avait voulu écrire en lisant son ?”uvre en français. Voilà. Arte : une chaîne tout entière, comme pour illustrer cette pensée de G?”the. Mais elle est finalement un bon thermomètre pour mesurer tout ce qui aura changé en dix ans. Les hommes qui l’ont désirée sont morts. L’Europe est faite. L’euro (surnommé le Teuro, de “teuer”, cher, par des Allemands blagueurs, même s’il arrive que leur humour nous échappe en partie), a rendu l’Europe irrévocable. Ce qui rend au demeurant Arte un peu plus obsolète, dans la mesure où l’on sent bien que l’Europe sera de moins en moins conçue comme celle des nations, et de plus en plus comme celle des régions. Si bien qu’aujourd’hui, une télévision franco-allemande a moins de sens qu’une télévision bretonne. Le petit écran est devenu un secteur économique comme un autre, avec ses licenciements, ses plans de restructuration. Par fainéantise ou par franche démagogie, certains continuent de lui attribuer des pouvoirs, comme celui d’influencer le vote des gens. Mais, au fond de soi, chacun sait que la télé n’est plus qu’un maillon dans la chaîne du froid de la culture de masse, un simple réfrigérateur à images. Et qu’une télévision symbolique n’aurait pas plus de sens qu’un réfrigérateur symbolique. En même temps, dix ans après, nous aimons toujours Arte pour cela : sa gratuité, sa poésie économique. Contrairement à tout ce qu’on nous dit, il faut savoir folie garder. Et d’ailleurs, ce n’est pas en cassant le thermomètre quon guérit la maladie.* Journaliste et essayiste
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