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Le statut d’hébergeur du Web 2.0 remis en cause

Un arrêt de la Cour de cassation fait d’un fournisseur de pages personnelles un éditeur de contenu. Explications et interprétation avec le juriste Jean-Claude Patin.

Hébergeur ou éditeur ? La question est cruciale pour tous les sites du Web 2.0, qui ne se voient pas faire la police et surveiller ce que postent les internautes. Jusque là, en cas de litige (souvent des problèmes de droit d’auteur, sur YouTube ou Dailymotion notamment), la justice a estimé que les sites proposant des contenus mis en ligne par les internautes n’étaient que des hébergeurs. D’où une responsabilité juridique moindre.

Or, le 14 janvier 2010, la Cour de cassation, la plus haute juridiction française, a rendu un avis contraire dans une affaire opposant depuis 2002 Tiscali (racheté par Telecom Italia en 2005) et les éditeurs de bandes dessinées Dargaud et Lucky Comics. A l’époque, le FAI proposait aux internautes de créer gratuitement des pages personnelles. L’un d’eux avait alors mis en ligne illégalement des planches de Blake et Mortimer et de Lucky Luke. Dans son arrêt (à lire sur Legalis.net), la Cour de cassation estime que Tiscali avait une responsabilité d’éditeur. Eclairage avec le juriste Jean-Claude Patin, responsable du site Juritel.

01net. : cet arrêt de la Cour de cassation agite beaucoup les juristes et le Web 2.0. Que dit-il ?
Jean-Claude Patin :
au départ, vous avez un opérateur, Tiscali, qui propose aux internautes de créer leur site Web. Un peu comme aujourd’hui des prestataires vous permettent de créer votre blog. Un jour, Dargaud s’aperçoit que quelqu’un a reproduit des planches de ses bandes dessinées. Or, sur le site, il n’y a aucune mention légale, aucun contact. Du coup, on se rabat sur le fournisseur du service et une ordonnance du juge demande à Tiscali de donner les coordonnées de l’internaute.
Là, on s’aperçoit que ces données sont du genre « Nom : bande », « Prénom : dessinée », « Adresse : rue de la BD ». De plus, sur tous les sites personnels, Tiscali réserve une place pour des bannières publicitaires. La société exploite donc commercialement le site et intervient sur la définition du contenu : pour la Cour, Tiscali est donc éditeur.
Mais si l’opérateur avait fourni des données valables pour identifier l’internaute, il n’y aurait jamais eu d’affaire ! C’est parce qu’on n’avait rien sur l’internaute que la justice s’est retourné vers Tiscali et s’est interrogé sur sa responsabilité.

Est-ce que cela peut changer quelque chose pour les internautes ?
L’enseignement de cette affaire, c’est que les fournisseurs de services en ligne proposant un formulaire d’inscription ont intérêt à vérifier les données saisies par les internautes. Sinon, ils s’exposent à ce que la justice cherche d’autres moyens de trouver un responsable. C’est bien parce que l’éditeur du site n’avait pas fourni ses coordonnées que la justice est allée voir Tiscali et lui a fait endosser la responsabilité d’éditeur. Le vide juridique, ça n’existe pas, il y a toujours une solution.

Les sites vont être plus attentifs aux renseignements que donnent les internautes ?
Cela va remettre au goût du jour une obligation de traçabilité, oui. La justice est obligée d’aller voir les prestataires techniques pour qu’ils donnent les coordonnées des personnes ayant posté des contenus répréhensibles. De toute façon, la Loi pour la confiance dans l’économie numérique [votée en 2004, NDLR] dit que tout éditeur de site doit fournir ses coordonnées.

Pourtant, cet arrêté est contesté et de nombreux jugements ont déjà établi que des sites comme YouTube ou Dailymotion n’étaient que des hébergeurs.
Oui, on lit ici ou là que, grosso modo, la Cour de cassation est une assemblée de vieillards qui n’y connaissent rien. On cite à l’appui une dizaine de jugements de tribunaux d’instance reconnaissant le statut d’éditeur aux sites du Web 2.0. Mais tout le monde sait qu’un seul arrêt de la Cour de cassation écrase tous les jugements de juridictions inférieures.
En fait, la Cour de cassation est en train de réparer le travail fait par les tribunaux d’instance et de corriger la définition de ce qu’est un hébergeur. A l’origine, l’exemption de responsabilité des hébergeurs prévue dans la LCEN était faite pour protéger les hébergeurs de forums. Il y a eu dérive, si bien qu’aujourd’hui, on ne sait plus très bien ce que sont un hébergeur et un éditeur sur Internet. Mais moi-même, je n’ai pas la solution pour définir précisément ces statuts.

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Propos recueillis par Arnaud Devillard