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Le partage d’abonnement, nouveau sport national français

Un tiers des internautes français consomment des œuvres dématérialisées grâce à l’abonnement de quelqu’un d’autre. Un phénomène qui attise les convoitises auprès des acteurs du web… plus ou moins douteux.

Pierre, Yann et Fabrice sont des utilisateurs YouTube Premium (*). Et ils ont de la chance, car chacun d’entre eux ne paie que trois euros pour accéder au service sans publicité ainsi qu’au contenu exclusif du service SVoD de Google… Soit quatre fois moins que le tarif individuel normal. Pourtant, ils n’ont bénéficié d’aucune promotion. Comment ont-ils fait ? C’est simple : ils font partie d’un groupe de six personnes qui se partagent un abonnement familial à 17,99 euros. Fabrice s’est inscrit comme administrateur et règle l’abonnement auprès de Google. Et les autres lui paient chaque mois leur quote-part par virement bancaire.

Ce n’est pas la première fois que Fabrice participe à ce genre de combine. Il faisait déjà partie d’un pool Netflix et d’un pool Deezer. « Un compte Youtube Premium, c’est très pratique. Il n’y a pas de pub, on a accès au catalogue Youtube Music, à des contenus 4K, etc. Mais je trouvais que c’était quand même un peu cher. J’ai donc opté pour le partage », nous explique Fabrice. Un choix raisonné et assumé.

Les ados et les jeunes adultes partagent le plus

Gwenaëlle, 15 ans, a également trouvé son système D. Elle s’est abonnée au Cinépass Pathé Gaumont pour 16,90 euros, ce qui lui donne un accès illimité aux séances de ce réseau de salles. Mais cet abonnement profite également à ses copains de classe qui, pour 4 euros, peuvent obtenir auprès d’elle une place de cinéma. « En théorie, ces billets sont associés à mon identité, mais il n’y a jamais de contrôle », nous explique-t-elle. Au-delà de quatre tickets revendus par mois, son abonnement est remboursé, la bonne affaire. Marie, de son côté, se montre plus généreuse. Ses amis peuvent utiliser gratuitement son pass cinéma, question de principe.

Il ne faut pas croire que ces exemples constituent une exception. Le partage d’abonnements est très largement répandu en France. Selon une étude publiée par la Hadopi en 2018, 29 % des internautes français utilisent les codes ou les abonnements de personnes de leur entourage pour accéder à des œuvres dématérialisées au moins une fois par mois. Ce taux monte à 32 % si l’on se restreint aux 15-24 ans. Par ailleurs, un noyau dur de 7 % d’internautes utilise des codes ou des abonnements partagés plus d’une fois par semaine.

Spliiit, la cagnotte récurrente

Face à ce vivier de radins, certains ont flairé la bonne affaire. C’est le cas de Jonathan Lalinec, PDG de Spliiit. Créée il y a neuf mois, cette start-up s’est donné comme mission de faciliter le partage d’abonnement. Le principal abonné indique le montant à partager et les adresses e-mail des participants. Le système se charge ensuite de les contacter et de récupérer l’argent, moyennant 4 % de commission. Les transferts se font par carte bancaire ou Paypal. C’est comme une cagnotte Leetchi, mais de façon récurrente. Jonathan et ses deux autres associés ont eu l’idée pendant leur colocation. « On se partageait une box ADSL et des abonnements BeIN et Netflix. Mais le partage des coûts réels n’est pas si simple. Cela crée toujours des histoires », explique Jonathan Lalinec.

A ce jour, Spliiit revendique déjà plus de 4 000 cagnottes sur sa plateforme. Les abonnements les plus partagés sont ceux de Netflix. Mais sinon, il y a un peu de tout, y compris des partages non-numériques : des journaux, des salles de sports, des cinépass, des grilles de loto… La multiplication des services sur abonnement joue en la faveur de Spliiit, car les gens rechignent à augmenter leurs coûts fixes mensuels.

Mais en vrai, Spliiit ne cherche pas trop à savoir à connaître les raisons de son utilisation. L’entreprise veut se cantonner à son rôle d’intermédiaire de paiement. Et pour cause : le partage d’abonnements est souvent illicite. Les abonnements multiples de Netflix, Youtube Premium, Spotify et consorts se limitent généralement au foyer, c’est-à-dire à des gens qui vivent à la même adresse. Par conséquent, cela ne couvre pas une bande de potes répartis aux quatre coins d’une ville ou du pays. Et encore moins des inconnus qui partageraient un même abonnement au travers d’un fournisseur douteux.

Ces offres-là se développent également. Pour les trouver, il suffit d’aller sur Aliexpress.com et d’effectuer une recherche de type « <nom du service> account ». Un compte Netflix partagé de cette manière ne vaut qu’une poignée de dollars.

Que risquent vraiment les utilisateurs ? Rien, ou pas grand-chose. Les outils coercitifs de la Hadopi ne visent que le piratage peer-to-peer. Quant aux fournisseurs et ayants-droit, ils n’ont pas l’air de trop s’en occuper. Pendant longtemps, le PDG de Netflix a même publiquement dit que le partage sauvage d’abonnements ne le dérangeait pas. Il y a quelques mois, la plateforme SVOD a tout de même modifié ses conditions générales pour préciser que le partage ne pouvait être fait qu’au sein d’un même foyer. Pour autant, Netflix n’a jamais mis aucune mesure technique en place pour lutter contre ce phénomène.

Ce n’est pas le cas de Spotify. En 2018, l’entreprise suédoise a demandé aux utilisateurs d’un compte Family de transmettre leur géolocalisation, histoire d’éjecter les fraudeurs. Mais la mesure n’a pas du tout été appréciée par ceux qui partageaient l’abonnement au sein d’une famille éclatée. Un modèle, il est vrai, de plus en plus fréquent. Résultat : Spotify a été contraint de faire un rétropédalage. Mais de nouvelles solutions apparaissent désormais, comme celles de Synamedia. Basées sur l’intelligence artificielle, elles seraient capables de détecter des comportements inhabituels et détecter les fraudes. Le début de la fin de la collectivisation des abonnements ?

(*) les prénoms ont été changés par la rédaction

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Gilbert KALLENBORN