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Le gouvernement veut un Numérique plus vert, mais manque d’ambition… et de maîtrise des enjeux

Comment rendre la tech plus verte ? Selon la feuille de route gouvernementale, il s’agit de créer des indicateurs, saisir des commissions, opérer des concertations, etc. en espérant que le public suive. Mais peu de dispositions peuvent (vraiment) changer les choses.

Rendre la tech plus verte : voilà le bel objectif de la feuille de route « Numérique et environnement » qui réunit les équipes de Barbara Pompili (Ministre de la Transition écologique) et de Cédric O, Secrétaire d’Etat chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques.
Un rapport conçu autour de trois axes présentés comme un programme scolaire : « Connaître pour agir », « Soutenir un numérique plus sobre » et « Innover ». Un aspect didactique façon manuel scolaire de 3e qui cache mal, hélas,  de graves lacunes, non pas d’envie ni de compréhension des enjeux, mais de connaissances techniques.

S’il n’y a rien à reprocher au premier volet de la partie qui vise à informer et sensibiliser les citoyens en matière d’empreinte numérique, le deuxième volet s’écrase littéralement sur deux réalités : la France ne produit quasiment aucun appareil high tech et les objectifs paraissent à côté de la plaque.
Soulignant que « plus des trois quarts de l’impact environnemental de l’empreinte environnementale numérique provient de la production des produits », les propositions développées ont l’apparence de bouts de sparadrap posés à la va-vite sur une blessure béante à la jugulaire.

On trouve de bonnes idées bien sûr, comme des campagnes de sensibilisation, la volonté de mettre en place une collecte de données fiables auprès des acteurs du numérique pour établir un baromètre environnemental (fabricants d’équipement, producteurs de contenus, opérateurs téléphoniques, etc.). Mais aussi des dispositions qui tirent à côté de la cible. Voire des oublis majeurs.

Smartphones : le renouvellement des forfaits avec engagement dans le viseur

De la Convention Citoyenne pour le climat qui s’est tenue l’an dernier, une idée a émergé : passer au crible l’impact de la mécanique de renouvellement des terminaux des forfaits téléphoniques avec engagement. Au bout de 12 ou 24 mois, les détenteurs de ce type de forfait sont-ils trop incités à changer de téléphone ?

L’idée est bonne et il est certain que les comportements consommateurs méritent d’être étudiés – et les leçons tirées. Le souci étant l’impact des décisions : les forfaits avec engagement sont minoritaires.
En 2019, les abonnés engagés ne représentaient que 29% du marché, les 71% restant des 69 millions (2020) de lignes mobiles étant des forfaits sans engagement.

On s’attaque donc à la plus petite frange du marché. Une frange qui est, au passage, plus âgée et qui cède moins facilement aux sirènes des nouveaux terminaux.
De quoi mettre en lumière les limites de ce genre de consultation : demander leur avis au gens c’est bien, mais il faut aussi saupoudrer le tout de recommandations de spécialistes des technologies.

Ces derniers semblaient être en vacances quand il a fallu soulever le vrai problème : le déclenchement du mécanisme d’insatisfaction qui mène à l’achat d’un nouveau smartphone se joue en grande partie au niveau des parties matérielles et logicielles.

Absence de coercition logicielle et matérielle

Donnons crédit à la feuille de route de mettre en avant les mots « écoconception » et « économie circulaire ». La volonté de bien faire est là, mais quand on pose la question du comment mettre la pression aux constructeurs, la réponse botte en touche à base d’indice de réparabilité qui inciterait les consommateurs à acheter des terminaux plus vertueux et, par ricochet, les constructeurs asiatiques à être de gentils élèves. Quand on voit que le prix est bien souvent l’argument numéro un d’achat d’un terminal, on sourit.

Pourtant, il y aurait bien eu quelque chose à faire du côté du cœur du problème : on renouvelle surtout son smartphone quand celui-ci ralentit trop, n’a plus de mémoire ou qu’il n’y a plus de mises à jour possibles. Qu’y faire ?

Côté matériel, imposer par exemple des spécifications techniques minimales en matière de RAM et de quantité de stockage pour les terminaux vendus sur le territoire. Les terminaux bas de gamme avec 2 Go de RAM et 16 Go de stockage polluent quasiment autant à la production que les modèles un peu plus chers, mais leur obsolescence matérielle est visible dès le début de leur vie, leur réparabilité inférieur (où trouver les pièces ?) et ils ne feront pas l’objet d’une revente. Imposer une fiche technique minimale permettant d’envisager un usage confortable plus longtemps aurait du sens.

L’autre volet, au moins aussi important et dépendant en partie du matériel, est la partie logicielle. Face à un Apple qui propose cinq années pleines de mises à jour du système, Android fait pâle figure.
Coincés dans un modèle où le système d’exploitation est d’abord validé par Google puis compilé et poussé par les marques, les terminaux Android offrent, au mieux, 3 ans de mises à jour pour les modèles haut de gamme. Et d’à peine un an pour l’entrée de gamme. Même si tout récemment Samsung, géant du domaine, a annoncé offrir quatre ans de mises à jour de sécurité.

Quand on rappelle qu’Android équipe 75,4% des terminaux vendus en France en 2020, on imagine l’impact qu’aurait une fiche technique minimale couplée à une obligation de maintien à jour du système. Mais manque de chance, cette donne est totalement absente de la feuille de route.

Les commandes d’État pour promouvoir le reconditionnement

Dans la thématique « produits », une démarche est plus fouillée que les autres : le reconditionnement. A un abondement de 21 millions d’euros supplémentaires au fond d’économie circulaire de l’ADEME visant à soutenir la filière en France, s’ajoute un engagement autour des commandes publiques.

Concrètement, dès cette année, « les acheteurs publics ont l’obligation d’acquérir des produits numériques reconditionnés ou de seconde main ». Avec comme objectif d’atteindre « 20% des achats de téléphones fixes et portables et 20% du matériel informatique », sans précision de quand ce quota devrait être atteint…

A cela s’ajoutent moult « lettres de cadrage », « concertation », « formalisation de code de bonne conduite », et autres rallonges d’aides financières. Bien maigres cependant : le renforcement du financement des GreenTech se fera via la création d’un fond de 300 millions d’euros pour aider les start-up du segment. Quand on voit qu’une seule usine de semi-conducteurs peut coûter 12 milliards de dollars et que la France n’a aucun pouvoir sur la production (pourtant très polluante) des puces, ces 300 millions font un peu pâle figure. Ils montrent à quel point ce plan manque d’ambitions, de moyens, ou de réalisme.

A moins qu’il ne démontre tout simplement l’impuissance de la France face à un marché et des géants qui croissent et évoluent, sans sa participation active. A vouloir jouer les mouches du coche sans être prête et armée, la France prouve qu’elle ne peut même plus être la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le boeuf. Loin des rêves de start-up nation de certains…

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